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Le Tintoret, L'origine de la Voie lactée, 1570 Mon grand-père avait fini par bourrer sa pipe malgré mes protestations. Je n'aimais guère l'odeur âcre de son tabac et je m'étais empressée de lui rappeler qu'il n'avait pas le droit de fumer sinon Mamie allait le gronder. Alors, plissant les yeux, il avait chuchoté : "Mais personne ne songerait à lui raconter cela, n'est-ce pas ?". J'avais tiqué. Ce n'était pas très gentil de sa part de piéger une enfant de neuf ans. Il avait dû sentir ma contrariété car, pour changer de sujet, il avait demandé, après un long souffle gris : - Dis-moi, ma belle, tu connais l'origine de la Voie lactée ?
L'histoire me fit tant rire que mon grand-père m'en conta une nouvelle, chaque soir après dîner. Au fil des légendes qu'il me narrait, les cieux se peuplaient d'animaux fabuleux comme le cheval Pégase, le terrible Lion de Némée ou le Bélier de la Toison d'or. Je découvrais aussi la nymphe Callisto, métamorphosée en Grande Ourse ou l'Aigle dont Zeus prit la forme pour enlever Ganymède, le séduisant berger promu échanson des dieux, qui à sa mort devint la constellation du Verseau. Certains mythes étaient plus graves ou cruels. Je pense à celui du centaure Chiron qui, grièvement blessé par une flèche empoisonnée, choisit de renoncer à son immortalité plutôt que de subir une souffrance éternelle ou aux inséparables jumeaux Castor et Pollux, l'un humain, l'autre divin, que Zeus réunit pour toujours en les fixant au firmament où ils forment la constellation des Gémeaux. Un autre récit, en revanche, m'amusa autant que celui de l'origine de la Voie lactée. Il s'agissait de la naissance du géant Orion. Un roi, qui se désespérait de n'avoir pas d'enfant, accueillit Zeus, Hermès et Poséidon dans sa demeure et les pria d'exaucer son souhait le plus cher. Aussitôt, les dieux se firent apporter la peau de la génisse qu'on venait de leur sacrifier, ils pissèrent dessus et l'enterrèrent. Neuf mois plus tard, Orion naquit à l'endroit précis où les dieux s'étaient soulagés ! Hélas, les vacances se finissaient. Je devais rentrer à Paris où je ne pourrais plus observer les étoiles, à cause de la pollution et des lumières de la ville qui masquaient en permanence, le somptueux crachat herculéen. Pour atténuer ma tristesse, mon grand-père m'offrit, le jour de mon départ, un livre relié de cuir rouge qui sentait un peu le moisi. Il s'intitulait : "Récits mythologiques". Je l'ai lu et relu, comme mon grand-père avait dû le faire au même âge. Mais rien ne remplacera ces douces nuits d'été où il m'apprenait les légendes du ciel, en fumant sa pipe, l'air dégagé. Momina Décembre 2004 |
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