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Vincent Van Gogh, La chambre de l'artiste
à Arles, 1889
huile sur toile, 57,5 x
74 cm
Une chambre bleue cachée derrière les murs d'une maison
jaune. Après-midi d'été. L'heure de la sieste.
Aucun bruit au dehors. Même le mistral s'est tu. La place est
vide. Les vieux ont quitté leur banc. Langueur de lézard,
paresse du lémurien. Surtout ne pas bouger, attendre la
fraîcheur du soir.
Elle a posé ses habits sur la chaise bancale avec son assise de
paille avachie. Elle ne connaissait pas sa chambre au mobilier
rudimentaire. La porte d'en bas ouverte, elle s'est infiltrée.
Voleuse d'intimité, elle profite de son absence mais demeure sur
le qui-vive. Elle sait qu'il doit revenir. Elle est couchée nue
sur ce lit étranger, le drap entortillé le long de sa
jambe. La couverture écarlate gît sur le plancher, comme
un coquelicot flétri. Elle renifle dans l'oreiller le parfum de
ses cheveux. Elle écrase sa bouche contre l'odeur et mord le
confident de ses rêves, laissant un peu de salive dans les plis
du tissu.
Elle entend ses pas sur le gravier, puis c'est la porte qu'il claque.
Des bruits confus et le grincement des marches. Elle repousse le drap,
il est là. Immobile sur le seuil de sa chambre. Une paralysie
temporaire, le mutisme de la surprise. Il finit par sourire. Il entre.
Trois heures au clocher de l'église. Les coups tombent,
lentement. Le silence à nouveau. Il marche vers la table de
toilette, hésite entre les flacons et les ustensiles. Il
prépare finalement un bol de mousse à raser et choisit un
blaireau. Il se retourne, le front soucieux et les lèvres
boudeuses.
Le parquet craque sous ses pieds nus. Il vient s'asseoir au bord du
lit. Il fouille les yeux de la visiteuse. Il semble attendre une
explication qu'elle ne donnera pas. Des jours qu'elle l'observe de
l'autre côté de la place. Leurs maisons voisines. La
curiosité de connaître son corps épié. Sa
course éperdue quand elle l'a vu partir. L'angoisse qu'il ne
revienne pas seul mais cet appétit de lui qui fait oublier la
peur.
Elle louche vers le bol de mousse à raser. Il agite le blaireau
dans le récipient métallique et lui coule un drôle
de regard. Elle a choisi de se jeter dans la gueule du loup, elle
acceptera ses caprices, ses lubies. Elle guette cependant ses moindres
gestes comme un animal tapi dans les fourrés. Dans un
frôlement sournois, il s'approche. Il lui écarte les bras.
La mousse pleut sur elle. Un barbouillage de peintre amateur.
D'étranges graffitis. Elle l'a privé du plaisir de
l'effeuiller, il l'habille d'un voile onctueux. Il réinvente
l'excitation de la découverte en dessinant des spirales
affolantes. Perfectionniste, il rectifie les traits de savon. Un
balayage gras dans la matière visqueuse. Les paupières
closes, elle suit les mouvements du pinceau sur la toile. A la fois
modèle et support.
Momina
Novembre 2003
Voir aussi : ( Musée
Van Gogh )
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