A.
Réponse autrichienne à la demande de cessation temporaire
des hostilités, faite par le roi le 10 janvier 1916.
Sur la position, le 12 janvier 1916
Au haut commandement monténégrin,
À la demande du ministère monténégrin
de cesser temporairement les hostilités, il est fait la réponse
suivante;
Toute l'armée monténégrine doit déposer
les armes et sans pourparler; toutes les armées serbes qui
se trouvent sur le territoire monténégrin doivent
être livrées. À ce moment-là seulement,
le commandement supérieur sera prêt à cesser
les hostilités.
Jusquau moment où ces conditions seront remplies, les
troupes austro-hongroises ont l'ordre de continuer les opérations
sans arrêt. Le gouvernement impérial et royal en est
informé.
Par ordre du commandement supérieur
De l'armée impériale et royale d'opération
Colonel Chloross
Télégramme tiré de, le rôle de la
France dans l'annexion forcée du Monténégro,
le ministère des affaires étrangères monténégrin,
1921, p 148
B.
Lettre de démission du gouvernement Miouchkovitch, le 12 janvier
à la suite du refus du roi de donner suite aux exigences autrichiennes.
Sire,
Le gouvernement de votre majesté estime que votre majesté
et votre gouvernement ne doivent pas quitter le pays, en des moments
aussi critiques. Leur départ ne serait justifié à
aucun point de vue. Ils doivent, au contraire, rester dans le pays
et partager avec le peuple la mauvaise fortune qui nous accable.
Comme votre gouvernement sait que notre armée est absolument
incapable de résister à l'ennemi, il vous a, il y
a un instant, propose de demander la paix.
Votre majesté a résisté à la proposition
du gouvernement.
C'est pour cela que celui-ci est obligé, par la présente,
de vous remettre respectueusement sa démission et de déclarer
qu'à partir de ce moment il cesse de fonctionner et de porter
la responsabilité des événements qui pourront
suivre.
De votre majesté les plus dévoués:
Miouchkovitch, président du conseil
Radoulovitch, ministre de la justice
Popovitch, ministre de l'intérieur
Général Vechovitch, ministre de la guerre
Ibidem p 148-149
C.
Rapport du colonel serbe Pechitch, alors chef de l'état-major
de l'armée monténégrine.
Sire,
Tous les commandants des armées, sur le front de l'Ouest,
affirment que dans notre armée il se manifeste une telle
démoralisation que toute résistance ultérieure
est absolument impossible contre l'ennemi.
L'armée de Cattaro, commandée par le général
de division M. Martinovitch, est complètement dissoute et
n'existe pour ainsi dire plus.
L'armée d'Herzégovine est aussi dans un mauvais état
et les soldats ne veulent plus se battre. Dans l'armée du
Lovtchen, on ne peut plus compter que sur la brigade Koutchi-Bratonogitchi.
Les commandants des armées de Cattaro et du Lovtchen n'ont
plus un seul canon. L'armée a faim; elle a très peu
de munitions, on ne peut plus espérer changer cet état
de choses.
En vous montrant dans la réalité cet état de
l'armée, j'ai l'honneur de signaler à l'attention
de votre majesté qu'il est absolument impossible, dans des
conditions pareilles, de continuer la lutte et qu'il faut, tout
de suite et le plus rapidement possible, faire ceci:
- Premièrement, demander la paix à l'ennemi, puisqu'il
n'a pas voulu accepter la proposition du gouvernement royal, faite
il y a deux jours, concernant l'armistice.
- Deuxièmement, la famille royale, le corps diplomatique,
le gouvernement royal et le commandement supérieur doivent
partir pour Scutari, au plus tard demain.
- Troisièmement, près de Scutari, il faut organiser
la défense de l'armée qui s'y trouve et celle que
nous pourrions éventuellement tirer du pays. Elle doit, sous
la protection des forts et du Drin, continuer la lutte si l'ennemi
n'accepte pas une paix honorable.
31 décembre 1915-13 janvier 1916
Krouchevatz (palais royal de Podgoritza)
Le chef d'état-major colonel-serdar
Pierre Pechitch
Ibidem p 149
D.
Article de Georges Clemenceau publié dans LHomme Enchaîné
en janvier 1916 sous le titre "l'unité d'action".
La preuve manifeste en est dans le fait que l'Italie
ne s'est pas plus préoccupée de défendre le
mont Lovtchen, nécessaire à l'existence du Monténégro
ami, et redoutable menace aux mains des Autrichiens pour la liberté
de l'Adriatique, que de ravitailler l'armée serbe, dans les
pires extrémités du malheur.
Nous mêmes, d'ailleurs, si pitoyables aux Serbes, qu'avons-nous
fait pour les Monténégrins? (...)
Depuis ce temps, le mont Lovtchen, abondamment pourvu d'une artillerie
préhistorique, attendait tranquillement que quelqu'un vînt
le prendre. (...)
La fameuse concentration des troupes russes en Bessarabie, abandonnée
aussitôt que commencée, sans cause connue, les promesses
non tenues de l'Italie, qui paye sa passivité de la chute
du mont Lovtchen, ouvrent décidément à l'Autriche
les portes de l'Albanie, après la capitulation du roi de
Monténégro (...). Tout cela n'est pas un indice en
faveur d'une unité d'action.
Ibidem p 155-156
E.
Interview de Nicolas Obnorsky, chargé daffaire russe
à Cettigné, parue dans Novoie Vremia de Petrograd le
11 mai 1916.
La défaite de la Serbie a incontestablement
dû ruiner aussi le Monténégro. Lorsque la force
militaire de la Serbie fut brisée, l'armée monténégrine,
complètement abandonnée à elle-même,
n'a pas pu résister aux efforts d'un ennemi plusieurs fois
supérieur en nombre. Il faut se rendre compte que l'armée
monténégrine s'élevait à 45 000 hommes
et que par son "organisation", c'est plutôt une milice. Mais
la cause principale, qui a précipité la fin tragique
de ce pays, fut le manque de vivres et de munitions. La Russie avait
adressé au Monténégro des provisions et du
matériel de guerre, mais, malheureusement, ils n'arrivèrent
jamais à leur destination. La plus grande partie fut coulée
par les sous-marins autrichiens, et le reste fut pillé par
les Albanais, à Saint-Jean-de-Médua. Cependant, dans
le pays même, il n'était demeuré aucune réserve
de vivres pour l'armée ou pour la population. Les derniers
restes furent épuisés pendant la retraite serbe. La
famine et le manque de matériel de guerre influencèrent
l'esprit de l'armée monténégrine, qui faisait
des efforts inouïs pour résister à la pression
d'un ennemi supérieur en nombre et armé à la
moderne.
Avant tout, les Monténégrins furent laissés
à eux-mêmes et sans aucun secours du côté
des Serbes. En novembre 1915, on a donné l'ordre le plus
catégorique aux soldats serbes et aux réfugiés
de quitter le Monténégro. Je ne sais pas de façon
certaine qui est l'auteur de cet ordre. C'est pour cette raison
que fut rompue l'étroite union des armées serbe et
monténégrine pour la lutte contre le vieil ennemi
du slavisme.
La capitulation de l'armée monténégrine se
produisit comme un résultat inévitable. Comme elle
s'était concentrée au centre du pays, l'armée
autrichienne réussit à s'emparer des positions importantes
de Virpazar, Taraboch et Scutari. Les Monténégrins
se trouvèrent encerclés dans un espace restreint,
délimité par les armées ennemies. Ainsi leur
retraite vers l'Albanie se trouva coupée.
Ibidem p 154-155
F.
Extrait du livre Le Drame serbe, (Paris, 1916, p 104), Ferri
Pisani, correspondant de guerre auprès de l'armée serbe.
Seuls parmi les Balkaniques, les Monténégrins
ont répondu à l'appel de leurs frères de Serbie.
(...)
La situation apparaissait désespérée. Les plus
braves auraient hésité. Les Monténégrins
ont crié: "nous voilà" ! (...)
Quel faible appoint ! Mais quelle leçon aussi donnée
aux autres faux alliés. (...)
Les Monténégrins, non sans raison, auraient pu dire:
"nous manquons de tout. Les navires autrichiens bloquent nos côtes.
Nous n'avons ni pain, ni cartouche, ni uniformes. Nous sommes réduits
à vêtir nos soldats avec de vieilles défroques
de pompiers que la France nous envoya. Nous ne sommes que quelques
milliers. Que pourrions-nous faire pour vous?" Les Monténégrins,
au lieu de tenir ce langage, sont accourus. L'histoire en tiendra
compte !
Cité dans le plus grand crime de l'histoire, de Jean Ciubranovitch,
1928, p 7
G.
Article du journal Le Matin de Paris, le 14 mars 1916, intitulé
"Retour d'Albanie - Nos coloniaux racontent ce qu'ils ont
vu".
Marseille, 13. Du correspondant particulier du Matin.
Les soldats coloniaux français envoyés, en Albanie
pour maintenir l'ordre avec les autres troupes du contingent international,
viennent de rentrer à Marseille, après 32 mois de
séjour dans les Balkans. Le détachement qui appartient
au régiment colonial, revient presque complet; à peine
manque-t-il une dizaine d'hommes sur l'effectif de 300, qui, malade
en Albanie, furent évacués sur la France et l'Italie.
C'est en 1913 que cette compagnie s'embarqua à Toulon pour
les Balkans.
Le détachement resta d'abord à Scutari jusquau
moment de l'agression austro-allemande; il fut mis alors à
la disposition du Monténégro et se rendit à
Cettigné, où il demeura jusqu'en janvier dernier.
Bien que ne participant pas aux opérations, nos coloniaux
purent en suivre toutes les péripéties et ils sont
unanimes à reconnaître que les vaillants montagnards
défendirent énergiquement leur patrie; mais après
que la Serbie fut envahie, la petite armée monténégrine,
qui comptait près de 40 000 hommes au début de la
campagne, avait vu ses forces réduites au cours des actions
sur la frontière d'Herzégovine. Elle ne possédait
plus d'artillerie et encore moins de munitions et le front qu'elle
avait à couvrir s'étendait sur un espace de près
de 250 kilomètres; le Lovtchen, considéré comme
inexpugnable, devenait lui-même intenable devant une armée
ennemie nombreuse, bien équipée et pourvue de batteries
de montagnes démontables. Les quelques canons de marine envoyés
par la France n'avaient eux-mêmes qu'un rôle éphémère
à remplir. Eh bien ! Malgré toutes les difficultés
le malheureux Monténégro, en proie a la disette, demeura
jusquau bout avec un moral excellent.
La sobriété extraordinaire du peuple lui permit de
résister aux plus dures fatigues, avec quelques galettes
de maïs et un peu d'eau.
Des vieillards, des femmes, des enfants moururent de privations
à la fin de l'année dernière. Les arrivages
de vivres ne parvenaient qu'irrégulièrement en raison
des nombreuses difficultés qu'il fallait vaincre et la disette
qui s'était établie dans le pays presque au début
de la guerre devint plus grande encore dans les derniers mois de
1915 et les souffrances du peuple furent alors terribles; les pommes
de terre se payaient 1 franc 50 l'oka (un kilo et demi), la faine
et le riz valaient 3 francs l'oka; plus tard, il n'y eut plus de
prix et une bouteille de vin ordinaire valait de 10 à 15
francs. Le détachement de nos coloniaux, lui, recevait assez
fréquemment des envois de farine et alimenta sur ses propres
réserves un certain nombre de pauvres gens. Dans les derniers
jours de 1915, on vit des gens affamés se ruer à l'assaut
des rares boulangeries, il fallut établir des réseaux
de fils de fer barbelés dans les rues pour interdire à
ces malheureux l'accès des boutiques; les soldats continuaient
pourtant à se battre ayant chacun une galette de mais a la
ceinture.
Lorsque la retraite devint inévitable, le roi réunit
le détachement français et pris congé de lui.
Il était fier de nous, me dit un colonial, il nous avait
déjà réunis après la bataille de la
Marne pour féliciter en nous les soldats de la France, dont
ses frères venaient de sauver la civilisation.
Le détachement français quitta Cettigné le
13 janvier, pris part à la retraite des Serbes réfugiés
au Monténégro. Après des marches pénibles
qui durèrent 12 jours, ils arrivèrent à Durazzo
où ils furent reçus par les troupes italiennes; deux
jours après, le détachement partait pour Corfou à
bord du Memphis qui fut coulé peu après, nos soldats
restèrent un mois à Corfou et dans l'île voisine
de Palo dont on avait décidé l'occupation, croyant
qu'elle servirait de base de ravitaillement aux sous-marins ennemis;
ils partirent ensuite pour Marseille ou ils arrivèrent avant-hier
sans incident notable.
Cité dans le rôle de la France dans l'annexion forcée
du Monténégro, publié par le ministère
des affaires étrangères monténégrin,
1921, p 157-158
H.
Andriya Radovitch et la question des 500000 francs. Réponse
de P. Voutchkovitch à V. Popovitch
M. Vladimir G. Popovitch, avocat, Paris.
À propos de la question que vous nous avez adressée
aujourd'hui, nous déclarons que ce que vous avez publié
dans la Voix du Monténégrin, n°25, dans votre
première réponse à M. Radovitch, est exact:
que M. Radovitch a déclaré, à la fin de votre
entretien, que l'argent (500 000 francs) qu'il a reçu, fut
offert par certains bienfaiteurs; que des fonds son administrés
par le gouvernement serbe et que lui, M. Radovitch, les a touchés
avec le consentement de ce dernier.
Ce sont les propres paroles de M. Radovitch.
Veuillez agréer, etc.
P. Voutchkovitch, ministre en disponibilité
K. Loutchitch, directeur de la société "Rossio" pour
le Monténégro
A. Perlya, étudiant es lettres
Paris, le 24 octobre 1917
Citée dans [censure...] ou M. André Radovitch,
de Vladimir Popovitch, 1917, p 46
I.
Dépêche de M. Radovitch de Brindisi à Corfou le
6 février 1916, à propos de la reformation d'une armée
monténégrine.
Consulat français, Corfou.
Veuillez communiquer cette dépêche au capitaine de
l'armée monténégrine Radisave Vouksanovitch:
j'apprends votre arrivée. Prière d'informer vos collègues
officiers monténégrins de former avec les volontaires
et les autres Monténégrins bien portants une division
monténégrine spéciale, dont s'occupera la mission
française, ainsi qu'elle le fait pour l'armée serbe...
...informez-moi si vous avez besoin d'argent et de combien. À
plusieurs reprises j'ai voulu vous en envoyer N.N. Avec quelque
argent et le charger de vous faire certaines communications, mais
ce n'est qu'hier que j'ai reçu pour lui l'autorisation de
s'embarquer sur un torpilleur à destination de Durazzo.
Envoyez-moi les noms des officiers monténégrins et
le nombre des soldats.
Il serait utile que le général Petar Martinovitch
et vous veniez le plus tôt possible à Brindisi pour
nous entendre. Répondez si vous avez un chiffre et lequel.
Délégué monténégrin Radovitch
Hôtel Central
Ibidem p 50
J.
Déclaration de Radovitch au journal italien L'Idea Nazionale
du 4 février 1916, sur la prétendue trahison du Monténégro
Je vous déclare nettement que les renseignements
puisés par votre correspondant son complètement faux
en ce qui concerne les derniers événements qui ont
eu lieu au Monténégro. Dans les renseignements de
votre correspondant se reflètent, en autres, les calomnies
répandues par les réactionnaires du pays contre les
gouvernements monténégrin actuel et précédent,
connus par leur dévouement à la cause de l'Entente.
On ajoute foi à un traité secret qu'aurait conclu
le Monténégro avec l'Autriche lors de l'occupation
de Scutari par les Monténégrins en 1915. Nous sommes
accusés d'avoir procédé à cette occupation
après entente préalable avec l'Autriche. Il y a quelque
temps, dans une interview avec le Giornale d'Italia, j'ai démontré
la fausseté des bruits répandus quant aux circonstances
dans lesquelles l'occupation de Scutari a eu lieu. Je déclare
ici qu'en 1913 le Monténégro aurait pu librement rester
à Scutari, son ancienne capitale, reconquise par le sang
des meilleurs de ses enfants, si notre vieux souverain avait consenti
à la rectification des frontières du côté
de l'Autriche...(c'est-à-dire à la cession du mont
Lovtchen).
En 1913, le Monténégro a rejeté toute proposition
autrichienne concernant la cession du Lovtchen. S'il y avait des
accords, comme la presse l'affirme, le Monténégro
aurait dû agir différemment.
Ainsi donc une foi aveugle dans ces bruits mensongers et diffamatoires,
répandus partout, a contribué puissamment à
la fin de ma patrie.
Nos ennemis ont réussi à persuader le public des Alliés
de la vérité des bruits tendancieusement répandus;
c'était l'arme la plus envenimée contre le Monténégro.
On verra bientôt quelle lourde responsabilité pèse
de ce chef sur la presse Alliée; d'ailleurs on en voit un
premier résultat dans le sort atroce du Monténégro.
Dans l'Idea Nazionale du 27.01.1916, on lit: que les ministres monténégrins
et certains personnages haut placés de l'entourage du roi
Nicolas, comme par exemple le maréchal de la cour D. Gregovitch
et l'ancien président du conseil A. Radovitch, ont conclu
un accord avec trois délégués autrichiens,
et précisément avec l'ancien ministre plénipotentiaire
à Cettigné, le baron Giesel, l'attaché militaire
Hubka et le commandant des Bouches de Cattaro. On affirme en outre
quà la conclusion de ce traité assistait le
Premier ministre, M. Pachitch. Tout ceci n'est qu'une infâme
calomnie.
À l'appui de ce que j'avance, je rappelle la récente
dépêche que sa majesté le roi Nicolas a adressé
à M. Le président de la république française
en l'assurant de son dévouement à la cause des Alliés,
à l'égard desquels son attitude n'a jamais varié
et ne variera pas dans l'avenir. (...)
La fin tragique de mon pays est l'une des conséquences des
fautes commises dans les Balkans. Nous sommes des victimes, et il
est inhumain d'envenimer nos plaies et de nous forcer à faire
la lumière sur ces événements, ce qui peut-être
utile pour nous, mais pas pour les autres
Si nous nous taisons maintenant c'est pour ne pas provoquer des
polémiques, qui ne contenteraient que nos ennemis.
Ibidem p 7-9
K.
Interview de Radovitch sur l'entrevue de Budua. Giornale d'Italia,
le 10 octobre 1915.
Chaque jour les aéroplanes autrichiens survolaient
Cettigné et les autres villes monténégrines
et jetaient des bombes. C'était pour nous des jours difficiles,
car nous ne pouvions pas riposter à nos ennemis de la même
façon. Dans une seule journée les aéroplanes
autrichiens ont tué à Podgoritza une centaine de personnes.
Que pouvions-nous faire? Bombarder les Bouches de Cattaro, rien
de plus facile... Mais les habitants de Cattaro sont presque tous
des Monténégrins et massacrer nos frères nous
était impossible.
Il était nécessaire que le commandant de nos troupes
dans le secteur des Bouches de Cattaro, le prince Pierre, informât
les Autrichiens qu'il désirait une entrevue avec l'ex-attaché
militaire à Cettigné, le major Hubka. Le prince pensait
que celui-ci se trouvait à Castel-Nuovo (Bouches de Cattaro)
où quelque autre port près des positions monténégrines
et, le connaissant personnellement, a préféré
traiter avec lui qu'avec un inconnu.
Pendant ce temps-la, Hubka était sur l'Isonzo. L'Autriche,
croyant que le Monténégro avait des propositions spéciales
à faire, avait autorisé le major Hubka à venir
du nouveau front et il s'est présenté en automobile
devant nos positions. Le prince Pierre a déclaré au
parlementaire autrichien que, si les Autrichiens ne cessaient pas
de bombarder les villes ouvertes et non défendues, les Monténégrins
de leur côté bombarderaient sans merci Cattaro et ses
bourgs environnants. Hubka a été désappointé,
car il s'attendait à des propositions de nature différente.
La menace a eu son effet et, depuis lors, les Autrichiens n'ont
bombardé que des objectifs militaires.
Ibidem p 9-10
L.
Mémorandum de Radovitch au roi Nicolas, le 18 août 1916.
Sire,
Les événements qui se déroulèrent sur
les divers champs de la bataille me fournissent l'occasion d'attirer,
en sujet dévoué, la haute attention de votre majesté
sur les destinés de notre patrie à l'avenir.
Sire,
Il n'existe plus aucun doute quant à la victoire complète
de nos Alliés qui mènera inévitablement la
chute définitive de l'Empire turc en Europe, la défaite
de l'Autriche-Hongrie et la libération du peuple serbe. Il
a, du reste, plus que tout autre, acheté par son sang et
mérité sa délivrance. Il est probable que cette
libération soit suivie de celle des Croates et des Slovènes
qui, d'accord avec les Serbes, tendent à créer un
État yougoslave. Cette idée représente l'idéal
d'un peuple tout entier; c'est une exigence de la justice aussi
bien que des temps que nous traversons; c'est l'idée salutaire
dont la masse s'est enthousiasmée et pour laquelle elle a
supporté - et aurait encore la force de le faire - des sacrifices
de tout genre. Celui qui voudra combattre ce mouvement sera tôt
ou tard vaincu car il se trouvera face à un torrent qui emporte
tout ce qu'il rencontre sur sa route.
Il se pourrait, uniquement par égard pour l'auguste personne
de votre majesté, que le Monténégro fut de
nouveau rétabli tandis que les autres territoires yougoslaves
formeraient un état sous le sceptre des Karageorgevitch.
Dans les circonstances les plus favorables le Monténégro
s'étendrait en Herzégovine jusquà la
Narenta et formerait avec Raguse, les Bouches de Cattaro et Scutari
un état d'à peu près un million d'habitants.
Ce pays pauvre est peuplé par l'élément le
plus énergique que l'on rencontre chez les Serbes, mais la
richesse de ces territoires ne correspondant pas à l'esprit
et à l'élan du peuple, il s'ensuivrait un mécontentement
et de jour en jour croîtrait le désir de s'unir aux
frères de la riche Serbie et de la Bosnie.
Par cette guerre terrible il sera, dans tous les pays, très
difficile de gouverner car on se heurtera à l'impossibilité
de satisfaire les prétentions individuelles. La démocratie
deviendra dangereuse et brisera comme un torrent tous les obstacles
qu'on voudra lui opposer. Aux hommes d'état incombera la
lourde tâche de la mener pour l'empêcher de sortir de
son sillon et de provoquer des bouleversements.
Il est hors de doute que les événements qui se sont
déroulés dans notre patrie avant et après la
catastrophe amèneront le Monténégro a se laisser
gouverner plus difficilement qu'un autre État; à ces
raisons il faut ajouter encore le récent internement des
Monténégrins ainsi que la faim, à laquelle
une grande partie de notre malheureuse population succombera inévitablement.
Dans la meilleure des hypothèses, l'union financière
devra être certainement suivie d'une union militaire et politique
avec la Serbie ou l'État yougoslave. Mais, malgré
cette nécessité impérieuse les esprits agités
de l'un et de l'autre état serbe, exaltées par l'idée
de l'union, ne s'arrêteraient devant aucun moyen pour la réaliser,
en sorte que les deux États deviendraient les théâtres
des intrigues les plus diverses qu'encourageraient encore, à
moins de les créer, nos ennemis communs. Au lieu de la paix
et du bien-être, si justement mérités par le
peuple serbe après tant de sacrifices, la discorde et les
troubles régneraient dans ces pays.
L'issue d'une pareille situation est facile à prévoir,
surtout après votre majesté. Elle se verrait, du reste,
dans l'impossibilité d'adhérer aux prétentions
exorbitantes de la démocratie et passerait dans le mécontentement
la fin de son règne, qui a été, surtout pendant
les premiers 45 ans, riche en gloire et en grandeur.
Les derniers événements, cependant, demandent à
être mis à l'ombre par l'éclat d'un acte qui
couronnerait si dignement le règne de votre majesté.
Sire,
Le Monténégro a été tant de siècle
l'intrépide champion de la liberté du peuple serbe
et l'avant-poste slave vers l'Occident. Le jour où, avec
l'aide de Dieu, les territoires yougoslaves seront libérés,
ce rôle sera glorieusement achevé.
Le grand ancêtre de votre majesté, le grand poète
serbe l'évêque et le souverain du Monténégro,
Pierre Petrovitch-Niegoch, a offert au ban Jelacic, croate et catholique,
de se mettre à la tête de l'État yougoslave.
Votre grand prédécesseur le prince Danilo mettait
son trône à la disposition du prince Michel, uniquement
pour réaliser l'union des Serbes.
Votre majesté a donné dans sa jeunesse libre cours
à son âme et à ses sentiments patriotiques dans
l'hymne, si chéri de tous les Serbes: "Onamo, ô"; dans
ses uvres: "l'impératrice des Balkans", "le poète
et la villa" et dans tant d'autres, votre majesté a réveillé
la conscience de notre peuple; elle l'a animé et exalté
avec la sainte idée de la réalisation du vu
solennel de tous les Serbes.
Le moment heureux est venu pour votre majesté de réaliser
personnellement ce rêve; de laisser un des plus beaux noms
dans l'histoire serbe; elle deviendrait une des personnalités
les plus aimées non seulement des Serbes, des Croates et
des Slovènes. Mais de tous les Slaves et gagnerait en même
temps la plus grande estime dans les Balkans et auprès de
nos Alliés.
Votre majesté devrait se faire le champion d'un État
yougoslave fort et compact, dans lequel entreraient: les Serbes
les Croates les Slovènes et peut-être plus tard aussi
les Bulgares, comme une unité autonome.
Cet état devrait se constituer à l'exemple de l'Italie:
un état compact avec l'égalité des ressortissants.
Les Croates sont plus proches des Serbes que ne l'étaient
les Piémontais des Napolitains; les uns et les autres ont
plus d'affinité avec les Slovènes que les Piémontais
avec les Siciliens.
Jusquà la rédaction de lois communes, les diverses
régions devraient se servir des législations suivies
jusquà présent par elles. Les différences
qui existent entre ces régions s'aplaniraient bientôt
comme cela a eu lieu en Italie. La vigueur des Serbes de Serbie
et du Monténégro serait modérée par
la culture et l'esprit des Serbes, des Croates et des Slovènes,
qui ont été sous la monarchie des Habsbourg.
Les Croates ne peuvent pas souhaiter une Croatie indépendante
car elle serait sous la tutelle de la Hongrie. Un partage en Croatie:
Croatie, Bosnie et Herzégovine, Serbie, Dalmatie et Monténégro
autonomes ne leur serait pas plus profitable car les Croates seraient
partout, sauf en Croatie, en minorité; nos ennemis s'appliqueraient
à y semer la discorde dont la première victime serait
les Croates en raison de leur minorité. D'autre part, les
Croates, unis à grand nombre de Serbes orthodoxes, se déferaient
peu à peu de l'influence de leur clergé et deviendraient
aux yeux même des Russes de grands patriotes salves; nous
aussi, du reste, nous devons pour une grande part à notre
religion orthodoxe d'avoir maintenu intacte pendant des siècles
la conscience de notre peuple de même qu'au fait que nous
avons constamment été secourus par notre puissante
protectrice la Russie, dont les tendances ont toujours porté
vers la libération de notre peuple tant pour des raisons
nationales que religieuses.
Une Croatie indépendante, probablement affaiblie par une
partie des Croates qui seraient englobés par l'Italie et
une autre partie par la grande Serbie, serait, en tant qu'État
catholique, sous l'influence de Vienne et Budapest; elle serait
donc perdue pour la Russie, les Slaves du Sud et les Alliés.
Il semble que la France et l'Angleterre partagent cette opinion;
beaucoup de Russes aussi craignent que les Croates, comme catholiques
n'exercent une mauvaise influence religieuse sur les Serbes orthodoxes,
quoique cette crainte n'ait aucun fondement réel.
Beaucoup d'Italiens considèrent, d'un autre côté,
un si grand État slave comme un danger pour leurs intérêts,
ce qui ne saurait être car cet État serait, comme le
professait le grand italien Mazzini, l'allié naturel du royaume
latin en même temps que le meilleur débouché
à ses produits.
En dernier lieu, en dépit de toutes les difficultés
et de tous les obstacles qui semblent entraver la formation d'un
état yougoslave, les Alliés le constitueront dans
l'intérêt même de la paix européenne.
Comme conséquence de l'union du Monténégro
et de la Serbie avec les autres territoires yougoslaves découle
la fusion des deux dynasties qui sans aucun doute ont rendu de grands
services à la cause serbe et slave; le fait que le petit-fils
de votre majesté est aujourd'hui le régent de Serbie
facilite encore l'exécution de ce projet.
Sa majesté le roi Pierre, en raison de sa santé précaire,
a remis son pouvoir royal à l'héritier du trône
Alexandre qui s'est acquis les sympathies du monde civilisé
et qui, à la tête de ses troupes rappelle les glorieux
jours de Voutchi-do et tant d'autres ou votre majesté menait
à la victoire ses intrépides héros.
À lui comme au représentant d'un État qui a
apporté les plus lourds sacrifices et qui par sa puissance,
sa culture et sa richesse a le pas sur les autres pays yougoslaves,
revient la première place parmi les jeunes princes des deux
dynasties serbes.
Votre majesté, après presque 60 ans de règne,
et S.M. le glorieux roi Pierre, par suite de son âge avancé
et de sa santé délicate, méritent du repos,
pour suivre, l'âme réjouie et en véritables
pères de la patrie, le développement du jeune État
yougoslave aux destinées duquel présiderait le petit-fils
de votre majesté et le fils de sa majesté le roi Pierre.
Autour du jeune souverain yougoslave se réunirait les princes
Petrovitch-Niegoch et Karageorgevitch. Sa majesté la reine
Miléna occuperait la première place honoraire dans
l'État, c'est-à-dire celle de la reine-mère.
La succession sur le trône pourrait être établie
de la façon la plus équitable et comme suit: d'abord
le prince Danilo, les descendants du prince Alexandre actuel ensuite,
et puis l'alternativement les autres princes des deux dynasties.
La providence a voulu que dans cette dynastie yougoslave il y ait
des princes dans les veines desquels coule du sang des Obrénovitch,
dynastie qui elle aussi a rendu des services appréciables
à la nation serbe.
Depuis longtemps, sire, il a été dit: "la concorde
seule sauve le Serbe"; et vraiment la concorde et l'union des dynasties
serbes les sauveront elles et préserveront le peuple de troubles.
Ne devait-il pas en être ainsi, il faudra s'attendre à
des difficultés et à des malentendus dont les conséquences
pourraient être dangereuses pour la dynastie et pour le peuple,
qui se verrait poussé à chercher son salut dans une
autre forme de gouvernement pour laquelle il est aussi peu mur que
les petites républiques américaines.
Dans un pays riche tel que le serait l'état yougoslave, la
dynastie aurait les moyens suffisants pour représenter dignement
l'autorité suprême à l'intérieur du pays
et à l'extérieur, ce qui actuellement est impossible
dans le Monténégro pauvre, et même en Serbie.
Leurs Majestés, les pères de la patrie auraient les
plus hauts honneurs ainsi que de larges moyens de représentation
et seraient adorés de tout le monde. Les villes et les provinces
rivaliseraient pour faire le meilleur accueil à leurs pères
de la patrie.
Comme suite de l'idée que je me suis permis d'exprimer dans
le plus profond sentiment de dévouement, votre majesté,
en champion de l'idéal yougoslave, aurait à faire
part de sa décision à sa majesté l'empereur
de Russie.
Afin de pouvoir fournir quelques renseignements nécessaires
le ministre des affaires étrangères de votre majesté
devrait, sous le prétexte d'une visite de courtoisie, due
au gouvernement russe, remettre cette lettre à sa haute destination.
Il serait également désirable d'ajouter à la
lettre de votre majesté une déclaration ou une lettre
de S.A.R. Le prince héritier Danilo à sa majesté
l'empereur Nicolas.
Après cela et d'accord avec le gouvernement impérial
russe, la Serbie officielle devrait être mis au courant de
cette question et le traité relatif signé. La communication
de cette lettre aux autres puissances Alliées devrait être
fait après cette entente.
Le moment venu il est évident que l'avis des Monténégrins
sur cette question devrait être requis par suffrage universel;
ils ne manqueront certainement pas de donner l'approbation à
l'acte par lequel leur rêve et leur idéal si ardemment
désirés se réaliseraient.
Sire,
Il n'y a pas de Serbe et en général de Slave qui ne
saluerait avec enthousiasme cet acte de si haute portée de
votre majesté. Dans l'histoire du peuple serbe, votre majesté
deviendrait le rival en gloire de l'empereur Douchan le Grand.
Une heureuse occasion est fournie à votre majesté
de se couvrir de gloire; c'est aujourd'hui le moment de faire ce
geste de la plus haute importance dans l'histoire de notre peuple;
il est à craindre qu'après il ne soit trop tard.
Non seulement comme Premier ministre et ministre des affaires étrangères
de votre majesté, mais comme Serbe et comme fils de cette
famille qui de tout temps a été fidèle aux
glorieux ancêtres de votre majesté et à vous,
sire, je me suis permis de soumettre ce projet si important à
l'approbation de mon auguste souverain. Mes vues, telles que je
viens de les exposer, sont aussi partagées de mes collègues
et votre majesté peut les considérer comme la partie
principale du programme de son gouvernement; c'est pour cette raison
que nous attendrons avec impatience la haute décision de
votre majesté.
Sire,
D'un seul trait de plume daignez fonder aujourd'hui, à la
fête de la transfiguration, le bonheur des Yougoslaves; assurez
l'avenir à votre glorieuse dynastie et rendez votre nom à
jamais immortel.
Avec le plus profond dévouement d'un sujet, j'ai l'honneur
d'être de votre majesté le fidèle serviteur.
V. Radovitch
Paris le 6/18 août 1916
Mémorandum tiré des archives diplomatiques françaises,
série guerre 1914-1918, n¯327, p 83-89
M.
Dépêche du Quai dOrsay au ministre de la guerre
sur la situation des Monténégrins engagés dans
l'armée serbe, le 28 mai 1917.
En effet, nous avons adopté en ce qui concerne
les enrôlements de sujets étrangers dans l'armée
serbe une attitude de partialité bienveillante pour le gouvernement
serbe en permettant à celui-ci de recruter des volontaires
yougo-slaves étrangers à la nationalité serbe,
tandis que nous interdisions au roi de Monténégro
des volontaires de cette sorte en ce qui concerne les enrôlements
dans l'armée monténégrine, elle n'en constitue
pas moins à l'égard du roi Nicolas une disposition
restrictive.
Il s'ensuit qu'il paraît difficile de refuser à ce
souverain en matière de compensation d'exercer vis-à-vis
de ses sujets une sorte de veto en ce qui concerne leur service
dans l'armée serbe.
D'autre part, il ne nous appartient pas de faire rechercher dans
l'armée serbe les Monténégrins qui s'y trouveraient
et n'auraient pas excipé de leur qualité pour faire
annuler leur engagement.
Dépêche MAE au ministère de la guerre, AMAE,gu14-18,n¯334,
p 151
N.
Lettre du ministre des affaires étrangère français
M. Pichon à S.M. Le roi de Monténégro, le 4 novembre
1918.
Sire,
Votre majesté a bien voulu m'exposer, par sa lettre du 2
novembre, les raisons pour lesquelles elle aurait désiré
se rendre immédiatement au Monténégro.
Votre majesté ajoutait que le ministre de la république,
accrédité auprès d'elle, lui avait fait connaître
le sentiment du gouvernement français partagé par
les autres gouvernements Alliés, concernant l'opportunité
de ce déplacement dans les circonstances présentes.
À la suite de cette communication, votre majesté s'est
persuadé qu'en effet, il était préférable
pour elle de renoncer à entreprendre ce voyage, et qu'elle
ne pouvait avoir de meilleures garanties, pour la quiétude
de son pays, que les ordres donnés au général
commandant en chef les armées d'Orient.
Je remercie votre majesté d'avoir bien voulu me faire part
de sa décision, dans laquelle je reconnais la sagesse avisée
dont elle a donné tant de preuves.
Vous pouvez être certain, sire, que les troupes placées
sous le commandement du général Franchet d'Esperey
ne négligeront rien pour assurer dans votre royaume le maintien
de l'ordre, et qu'elles pratiqueront le respect des autorités
constitutionnelles ainsi que des libertés du peuple monténégrin.
Je prie votre majesté d'agréer les assurances de mon
profond respect.
Paris le 4 novembre 1918.
S. Pichon
Dépêche tirée de "Le rôle de la France
dans l'annexion forcée du Monténégro", ministère
des affaires étrangères monténégrin,
1921, p 40
O.
Lettre du président de la république française
M. Poincaré à S.M. Le roi de Monténégro,
24 novembre 1918.
Très cher et grand ami,
J'ai été très sensible à la démarche
que vous avez bien voulu faire auprès de moi. La France n'a
pas oublié la vaillance, avec laquelle le Monténégro
s'est levé, à l'appel de votre majesté, pour
la défense de son indépendance. Elle connaît
les souffrances du peuple de la montagne noire et elle s'emploie
de son mieux à les soulager.
Votre majesté peut-être assurée que le gouvernement
de la république, dont elle évoque, avec raison, la
sollicitude pour les petits États, ne se prêtera, pour
sa part, à aucune tentative qui aurait pour objet de contraindre
la volonté de la nation monténégrine et de
contrarier ses aspirations légitimes.
En ce qui concerne les troupes françaises appelées
à occuper provisoirement le territoire de votre royaume,
respectueuses des institutions établies, elles s'emploieront
à maintenir l'ordre, en assistant de leur mieux les populations,
de manière à préparer le rétablissement
de la vie normale, qui a été profondément troublée
par les douloureuses épreuves résultant de l'occupation
ennemie.
Il paraît préférable que votre majesté
attendît, pour regagner son royaume, que ce but ait été
atteint et que l'existence ait repris au Monténégro
son cours accoutumé.
La présence des troupes Alliées, le concours qu'elles
apporteront aux habitants contribueront sans doute à hâter
ce moment que votre majesté appelle de tous ses vux.
Dès qu'il sera venu, le gouvernement de la république
sera heureux, sire, de faciliter votre voyage de retour.
Je suis heureux de me dire, très cher et grand ami, votre
sincère ami.
Paris, le 24 novembre 1918
R. Poincaré
Ibidem p 41
P.
Résolution de la Grande Skoupchtina du 26 novembre 1918 proclamant
l'union du Monténégro à la Serbie et la déchéance
des Petrovitch-Niegoch.
En vertu du principe que tout peuple se détermine
librement, principe admis et proclamé comme condition de
la paix future, universelle, par l'apôtre de l'humanité,
le président des États-Unis d'Amérique du Nord,
M. Wilson et adopté par nos puissants alliés et grands
amis: l'Angleterre, la France et l'Italie, la Grande Skoupchtina
du peuple serbe du Monténégro, élue librement
et réunie le 11/24 novembre 1918 à Podgoritza en vue
de se prononcer là-dessus, déclare:
1. Le peuple serbe de Monténégro est de même
sang, à la même langue, les mêmes aspirations,
la même religion, les mêmes murs que le peuple
qui habite la Serbie et autres contrées serbes. Le glorieux
passé, qui les enthousiasme, leur idéal, leurs héros
nationaux, leurs souffrances leur sont communes. Enfin tout ce qui
caractérise un peuple leur est commun.
Lorsqu'on a au Moyen Âge formé l'État serbe
sous le règne de la dynastie des célèbres Némanjides,
le peuple monténégrin y est entré dès
le début et y a joué un rôle important. L'invasion
turque a mis fin à l'existence de notre état et a
réduit notre peuple à l'esclavage. Des efforts suprêmes
ont été tentes par le peuple pour se libérer.
Des insurrections ont eu lieu à diverses reprises, mais elles
ont été étouffées d'une manière
sanglante. Le peuple serbe de Monténégro y portait
l'étendard. C'est lui qui a réussi le premier à
se délivrer du joug turc, à reconquérir sa
liberté. Dès lors datent ses aspirations et son idéal:
la libération et l'union de tout le peuple serbe; c'était
son rêve séculaire.
Au commencement du XIX siècle s'insurgent les Serbes de Serbie
de l'héroïque Karageorges, se débarrassent de
la domination ottomane et posent les fondations de la Serbie contemporaine.
À partir de cette date, les Serbes de la Serbie et ceux du
Monténégro collaborent toujours à l'idéal
commun: la libération et l'union du peuple serbe. C'est bien
à cause de ce grand idéal - et toujours ensemble -
que les guerres de délivrance ont été faites.
Mais le succès a été insignifiant car l'Empire
ottoman était toujours assez fort pour empêcher notre
libération et notre union, d'autant plus qu'il disposait
d'un collaborateur sincère, l'ennemi séculaire de
notre peuple, la perfide Autriche-Hongrie, qui voyait toujours dans
notre succès son insuccès, dans notre bonheur son
malheur, dans notre union son démembrement.
Au Congrès de Berlin, tenu peu après la guerre sanglante
faite par la Serbie et le Monténégro à l'aide
de leurs frères russes pour la libération et l'union
de leurs conationaux, l'Autriche-Hongrie a réussi à
nous priver de tous les fruits de cette grande lutte et d'annexer
deux contrées classiques serbes: la Bosnie et l'Herzégovine,
contrées dans lesquelles le premier coup de fusil a été
tiré pour cette libération. De plus le Sandjak de
Novi-Pazar, peuplé par une masse compacte de la population
serbe, elle est parvenue à maintenir la souveraineté
ottomane doublée des garnisons austro-hongroise. Ainsi l'Autriche
et la Turquie montent la garde ensemble, afin que la Serbie et le
Monténégro ne s'unissent pas.
La guerre balkanique avait aussi le même but: la libération
et l'union des Serbes. La Serbie et le Monténégro
sont entrés ensemble dans cette guerre. Elles ont versé
des torrents de sang et obtenu de brillants résultats; la
majeure partie de notre peuple a été délivrée
du joug turc et uni à la Serbie et au Monténégro.
La barrière, qui les séparait jusque-là, a
disparu et le peuple s'est mis vivement à réaliser
la grande uvre: l'union.
Des raisons dynastiques, ainsi que l'Autriche-Hongrie, décidée
à intervenir même par les armes, s'y sont opposées.
C'est bien à cause de cela qu'elle nous a attaqué
et qu'elle a provoqué cette guerre sous prétexte du
meurtre de l'héritier austro-hongrois à Sarajevo.
Cependant tout notre peuple sait fort bien que l'Autriche-Hongrie,
nous aurait attaqué même si ce meurtre n'avait pas
eu lieu. Il n'ignore non plus qu'elle s'y préparait activement
de beaucoup avant le meurtre.
2. Les intérêts économiques du Monténégro
sont étroitement liés à ceux de la Serbie et
des autres contrées serbes. Séparé d'elles,
le Monténégro, dont le sol est l'un des plus pauvre
du monde entier, n'offre aucune condition pour être indépendant.
Il serait d'avance condamné à périr. Il est
notoire qu'il était très difficile de vivre au Monténégro
jusquà l'esclavage austro-hongrois et qu'une partie
de notre main-d'uvre était obligée à
s'en aller en Amérique en vue d'y gagner son pain quotidien
et celui des siens. Après cette guerre, durant laquelle l'ennemi
a tout pillé et enlevé à notre peuple, le laissant
dans la misère la plus noire, l'existence du Monténégro
comme pays indépendant est devenue encore moins possible.
Donc même les intérêts économiques du
Monténégro exigent d'une manière impérative
l'union du Monténégro avec la Serbie et les autres
contrées serbes.
3. Les raisons politiques imposent aussi l'union. Il serait
superflu d'accentuer quelle misérable signification politique
aurait le Monténégro à côté de
la grande Yougoslavie.
En somme toutes les raisons précitées montrent clairement
que l'unique manière de sauver notre peuple gît dans
l'union.
L'union ou la mort: c'est le cri général qui se répercute
au long et au large de notre patrie. Le peuple entier de Monténégro
demande l'union. Seule la dynastie monténégrine ne
la désire pas, ne la veut pas. Elle considère que
cela est au détriment de ses intérêts, qui lui
ont été toujours plus sacrés que ceux de notre
peuple. On a essayé de la décider à venir au-devant
du désir du peuple dans cette grande question de l'avenir
national. On lui a fait entendre que ce sacrifice lui serait largement
récompensé - mais en vain!...
Le roi Nicolas, le représentant actuel de la dynastie, est
le type le plus expressif du plus dur absolutisme. Durant tout son
long règne, pour lui, à l'instar de Louis XIV, valait
un dogme, dont il ne s'est jamais départi et qui est exprimé
dans la fameuse phrase "l'État - c'est moi".
Même la capitulation du Monténégro, par laquelle
on a entaché les armes monténégrines, qui se
sont couvertes de gloire pendant des siècles, est son uvre.
Il a jeté son peuple dans un esclavage pire et plus honteux
que celui des Turcs. N'étant pas sur qui sortira vainqueur
de cette grande guerre, il a laissé en esclavage l'un de
ses fils en vue d'entretenir par son entremise des relations avec
les Puissances Centrales et d'assurer ses intérêts
en cas de leur victoire. Quant à lui, il a pris la fuite
et s'est fait martyr qui, comme lui-même l'a déclaré,
a été délaissé par son peuple, peuple
qui s'est rendu à l'ennemi, tandis que lui seul fidèle
aux Alliés a réussi à s'enfuir! Cela lui rapportait
au cas où les Alliés remportent la victoire sur les
Puissances Centrales. Cependant on sait chez nous qu'il n'a pas
sincèrement mené cette guerre. Bien des preuves existent.
Quand après l'occupation les Monténégrins,
tant dans le pays qu'à l'étranger, ont continué
le mouvement pour la libération et l'union, les autorités
austro-hongroises s'y sont opposées énergiquement,
ont fait une vive propagande pour le roi Nicolas, ont permis la
libre distribution des journaux publiés en France et en Suisse
à ses frais. Elles ont travaillé par tous les moyens
en faveur de la séparation du Monténégro et
des intérêts du roi Nicolas.
Tandis que les Monténégrins souffraient dans l'esclavage
le plus terrible qu'ait connu l'histoire et qu'ils étaient
opprimés, tués, pendus, déshonorés de
toutes les façons qu'a pu imaginer cet état perfide
et corrompu, le roi Nicolas vivait aisément à Paris.
Il n'a rien fait pour adoucir le triste sort de son peuple. Il n'a
jamais levé la voix, ni protesté contre le traitement
inhumain et l'extermination de son peuple par l'Autriche-Hongrie.
Il s'est gardé, cela se conçoit aisément, d'être
désagréable à son amie l'Autriche-Hongrie et
cela dans l'unique but de ne pas nuire à ses propres intérêts
- sans tenir compte de ceux de son peuple.
En base de tout ce sui précède la Grande Skoupchtina
du peuple serbe de Monténégro, comme fidèle
interprète des désirs et de la volonté de ce
peuple, fidèle à ses traditions historiques et aux
vux de ses ancêtres, qui ont combattu pour eux pendant
des siècles, décide à l'unanimité et
par voix personnelle:
1. Le détrônement du roi Nicolas Ier Petrovitch-Niegoch
et de sa dynastie 2. L'union du Monténégro avec la Serbie en
un seul et unique état sous le règne de la dynastie
des Karageorgevitch et qui, ainsi unie, entre dans la patrie commune
de notre peuple aux trois noms: Serbes, Croates et Slovènes 3. L'élection d'un directoire de cinq membres, qui
auront à mener les affaires jusqu'à ce que l'union
complète soit achevée 4. Informer de cette résolution l'ex-roi de Monténégro
Nicolas Petrovitch, le gouvernement du royaume de Serbie, les puissances
Alliées de l'Entente, ainsi que tous les états neutres.
Déclaration tirée de la Formation de l'État
yougoslave, par Z.Tomitch, 1927, p 132-136
Q.
Résolution de la Grande Skoupchtina du 29 novembre 1918 proclamant
la confiscation des biens royaux>
La grande assemblée nationale consciente de
la responsabilité politique et criminelle de l'ex-roi Nicolas
à l'égard de son peuple et guidée par l'opinion
et la conviction de tout le monde que les biens de l'ex-roi proviennent
des biens injustement et illégalement enlevés au peuple,
décide sous l'impulsion de motifs de droit précités:
La confiscation au profit du peuple de tous les biens, meubles et
immeubles de l'ex-roi Nicolas Petrovitch-Niegoch.
Et l'interdiction a jamais d'entrer dans notre pays à l'ex-roi
Nicolas Petrovitch-Niegoch, ainsi qu'à tous les membres de
sa dynastie.
le président: Savo Tzerovitch
les vice-présidents: Lazare Damianovitch, Savo Fatitch
Les secrétaires: Lioubomir Vouksanovitch, Milan Baitch, Radovan
Bochkovitch, Louka Voukotich, Novitza Chtchepanovitch, Mihailo Jovanovitch
Ibidem p 136
R.
Rapport de Paul Mantoux, directeur de la section politique du secrétariat
général de la S.D.N. à la cinquième commission
de la société.
n°20-65-6
La question de l'existence actuelle d'un État indépendant
du Monténégro n'a jamais été réglée.
À la Conférence de la Paix, en 1919, le Monténégro
était inscrit sur la liste des États qui devaient
prendre part aux négociations, mais personne n'a été
reconnu comme qualifié pour le représenter.
M. Y. Plamenatz, signataire de la lettre ci-jointe, représente
le roi de Monténégro. Celui-ci est en exil. Une assemblée
monténégrine réunie en 1918, a proclamé
sa déchéance et l'union avec l'État yougoslave.
Il est vrai que la validité de cette décision et du
mandat même de l'assemblée, élue, disent ses
adversaires, sous la pression des Serbes et entourée de baïonnettes
serbes, est contestée. Il est vrai qu'une opposition indivisible
s'est manifestée contre l'annexion pure et simple de l'État
yougoslave. Mais il est impossible de mesurer la force et d'apprécier
la sincérité des opinions énoncées de
part et d'autre, et, aux yeux des Yougoslaves, le Monténégro
est devenu aujourd'hui partie intégrante du royaume serbe-croate-slovène.
Sans préjuger de cette question, il apparaît prudent
de ne pas admettre le Monténégro dans la société,
sur la demande d'un gouvernement pour le moins contesté,
et résidant actuellement à l'étranger.
25 novembre 1920
Paul Mantoux
Rapport tiré de la S.D.N. restera-t-elle
complice du plus grand crime de la guerre mondiale, de V. Popovitch
et A. Prlia, 1924, p 13
S.
Dépêche envoyée par Delaroche-Vernet à
Y. Plamenatz lui faisant savoir la rupture des relations diplomatiques,
le 20 décembre 1920
Paris, le 20 décembre 1920
Son excellence M. Yovan Plamenatz
Président du conseil et ministre des affaires étrangères
du Monténégro
Neuilly-sur-Seine
Monsieur le président,
D'ordre du gouvernement de la république française,
j'ai l'honneur d'adresser à votre excellence la communication
ci-après: des élections à l'assemblée
Constituante ayant eu lieu récemment en Yougoslavie, les
populations du Monténégro se sont prononcées:
on ne peut, désormais douter de leur désir de rester
unies aux autres populations serbes dans le royaume serbe-croate-slovène
dont nous avons reconnu officiellement l'existence. Le gouvernement
de la république estime donc, que la réunion du Monténégro
au royaume susdit est maintenant un fait accompli.
Dans ces conditions le gouvernement de la république française
n'aperçoit pas de raisons de continuer à entretenir
des relations diplomatiques avec sa majesté le roi Nicolas
et il a, en conséquence décidé de supprimer
la légation de France au Monténégro. Ma mission
se trouve donc, ainsi, prendre fin. En même temps, la qualité
diplomatique ne sera plus désormais reconnue au chargé
daffaires accrédité près le gouvernement
français par le gouvernement monténégrin. D'autres
part, les autorités intéressées ont été
averties que les agents auxquels le gouvernement monténégrin
avait confié les fonctions consulaires en France ne sont
plus admis à les exercer.
Je serais reconnaissant à votre excellence de bien vouloir
porter ce qui précède à la connaissance de
sa majesté le roi Nicolas et du gouvernement monténégrin.
Veuillez agréer, monsieur le président, les assurances
de ma haute considération.
H. Delaroche-Vernet
Dépêche tirée de la Formation de l'État
yougoslave, Z. Tomitch, 1927, p 144-145