La victoire
des Centraux dans les Balkans en janvier 1916 a obligé les
deux États balkaniques Alliés que sont la Serbie et
le Monténégro à trouver refuge chez leurs alliés.
Ou tout du moins, dans des régions contrôlées
par eux, puisque le gouvernement serbe en exil s'installa sur l'île
grecque de Corfou alors que ce pays était officiellement neutre.
Cette épreuve que constitue l'exil aurait dû normalement
rapprocher ces deux pays que des divergences avaient séparés
au moment de la défaite. Il n'en fut rien. Et ces deux pays
dont les relations achoppaient sur le problème de l'union,
se divisèrent et s'affrontèrent directement à
travers le problème de la légion monténégrine
ou bien indirectement à travers le Comité Monténégrin
pour lUnion Nationale d'Andriya Radovitch. La Serbie mis donc
tout en uvre pour discréditer le Monténégro
et son souverain aux yeux des Alliés, pour pouvoir ensuite
justifier le rattachement du Monténégro à la
couronne des Karageorgevitch, au moment de la libération du
pays.
A.
La Serbie, le Monténégro et l'union
La prise de
conscience de l'existence de nations yougoslaves prend naissance au
début du XIX siècle, dans deux foyers bien distincts.
Tout d'abord dans l'Empire habsbourgeois avec l'illyrisme et la prise
de conscience d'une communauté de destin entre Slovènes
et Croates, après l'expérience des provinces illyriennes
de l'Empire napoléonien. L'autre foyer tourne autour de l'orbite
serbe et de la lutte pour l'indépendance contre les Ottomans;
c'est l'idée pan serbe. L'union du Monténégro
à la Serbie se rattache à cette conception qui fait
de la nation serbe le pôle fédérateur des nations
sud-slaves. Cette idée trouve ses racines dans l'histoire médiévale
de la Serbie et de la vision quasi mythique qu'en ont les Serbes;
l'Empire de Douchan. Celui-ci regroupait toute la nation serbe en
un seul état, avant d'être séparé en deux
branches; les Serbes de Serbie et les Serbes du Monténégro,
par l'invasion turque. Si le Monténégro réussit
à préserver son indépendance, la Serbie quant
à elle vécut sous la domination ottomane jusquau
XIX siècle. Le but des deux branches était donc de repousser
les Turcs et de reconstruire cette unité perdue. Une fois son
autonomie (en 1829) puis son indépendance acquise (en 1878),
la Serbie et le Monténégro purent s'atteler à
cette mission. Ainsi par deux fois les deux principautés s'y
essayèrent. Une première fois lorsque Danilo II déclare
à propos du prince Michel Obrénovitch "je monterais
la garde devant la tente du prince Michel, pourvu que la nation serbe
fût libérée et unie" [1].
Cette politique d'alliance entre les deux nations se poursuit avec
le successeur de Danilo qui n'est autre que Nicolas Ier. Celui-ci
signe avec Michel de Serbie en 1865, un traité qui prévoyait
l'union des deux pays. Le jeune Nicolas promettait de renoncer au
trône et Michel s'engageait à le prendre comme héritier,
s'il n'avait pas de descendance directe. Mais l'assassinat de ce dernier
en 1869 vient interrompre ce processus, puisque Michel est remplacé
par son cousin Milan [2]
en contradiction avec l'accord précédemment conclu [3].
À partir
de cette période, l'antagonisme entre les deux principautés
ira croissant, même s'ils se retrouvent lors des conflits qui
les opposent aux Turcs en 1878 et 1912-1913 ou lors du conflit présent
contre les Autrichiens. Cet antagonisme est entretenu par l'orientation
austrophile que prennent le roi Milan et son successeur Alexandre
[4].
Le Monténégro attire donc à cette époque-là,
les aspirations du peuple serbe, grâce notamment à son
alliance longue de deux siècles avec la Russie, ce qui n'est
pas pour déplaire au prince Nicolas. L'assassinat d'Alexandre
en 1903 et son remplacement par Pierre Ier Karageorgevitch [5]
changent cet état de fait. La Serbie redevient le pôle
d'attraction des Serbes, rôle que jouait imparfaitement le Monténégro
du fait de sa pauvreté.
Ce changement
des rôles n'est pas pour satisfaire Nicolas qui y voit là
un danger pour sa dynastie. Ainsi faut-il voir l'érection de
la principauté en royaume en 1910, comme une volonté
de s'affirmer face aux prétentions fédératrices
du royaume de Serbie. En effet, l'arrivée au pouvoir des Karageorgevitch
n'a fait que renforcer les divergences entre les deux branches du
peuple serbe, tout du moins entre les deux dynasties, puisque chacune
d'elle peut prétendre à l'héritage de l'Empire
de Douchan. Dans cette optique le roi qui a accordé une constitution
doit faire face à une opposition naissante qui réclame
l'union à la Serbie. Cette lutte entre les deux dynasties trouva,
avant-guerre, son paroxysme avec l'affaire des bombes en 1907, dans
laquelle furent impliqués Radovitch et à travers lui,
la Serbie qui finançait et armait cette opposition. Machination
de Nicolas ou complot de la Serbie, les relations entre les deux pays
s'en ressentirent jusquaux Guerres Balkaniques. Cette guerre
qui donna des frontières communes aux deux pays relança
le débat sur l'union et à la demande de la Skoupchtina
monténégrine, des négociations entre les deux
pays furent entreprises à propos d'une union douanière
et d'une meilleure coopération entre les deux pays. La Première
Guerre Mondiale vint les interrompre.
Le premier
conflit mondial posait donc la question de l'union de manière
encore plus évidente. La Serbie voulait profiter de cette occasion
pour la rendre inévitable et s'employa donc à le démontrer
aux Alliés, en discréditant à leurs yeux le Monténégro.
Cette entreprise de déstabilisation commença durant
le conflit et trouva un de ses aboutissements dans la suspicion des
Alliés à l'encontre du roi après la défaite
de janvier 1916, puis se poursuivit tout au long de l'exil.
À cet
égard la politique ambiguë du roi ne fit que renforcer
ces doutes. D'abord résolument contre toute idée d'union;
trois gouvernements successifs tombèrent car le roi ne voulait
pas aborder le problème, le roi se ravisa petit a petit. Ainsi
en décembre 1916, lors d'une discussion avec Islavine, le roi
évoque-t-il une abdication si on lui assurait une position
conforme à son rang [6],
c'est-à-dire une rente et un apanage. Mais les "pressions"
italiennes y mirent un terme. Durant l'année 1917, constatant
que le mouvement devenait de plus en plus inévitable, l'entourage
royal, pour montrer la volonté unioniste du roi, émit
l'idée d'une fédération de tous les peuples yougoslaves
et que, dans cette idée, il reconnaissait l'utilité
d'un rapprochement entre les deux pays [7],
provoquant ainsi la fureur de la Serbie qui était ainsi obligée
de dévoiler ses projets et de dire son opposition à
toute idée fédératrice qui selon elle ferait
le jeu des Centraux.
En effet, la
politique serbe suivait deux axes; à la fois l'union avec le
Monténégro et la création d'une Grande Serbie,
regroupant les Slaves du sud. Cette dernière devait être
conçue autour de la Serbie avec un pouvoir central fort qui
modèlerait les différents peuples pour n'en faire qu'un,
selon le modèle français de l'état unitaire.
Mais cette conception faisait peur aux populations slaves de l'Empire
habsbourgeois. Rejeter l'idée de fédération c'était
se mettre à dos ces populations. L'union de la Serbie et du
Monténégro relevait d'une autre optique. Pour elle en
effet, quelle que soit l'issue du conflit, le maintient du statu quo
ante entre les deux pays n'est plus possible. Ainsi la Serbie ne lie
pas victoire et union au Monténégro.
Elle n'hésitera
donc pas à utiliser tous les moyens pour y parvenir [8]
et ce, malgré les déclarations de M. Pachitch qui "...
estime donc que dans ces conditions le mieux est de laisser dormir
la question de l'union du Monténégro à la Serbie;
la question est posée et du fait des Monténégrins
eux-mêmes (...). L'union est fatale et elle se fera en dépit
de l'opposition de l'Italie" [9].
Ainsi tout en continuant à reconnaître le gouvernement
monténégrin, elle réduit sa représentation
auprès du roi Nicolas en remplaçant son ministre plénipotentiaire
par un simple chargé daffaire, "à quoi serviraient
ces agents, puisque le roi Nicolas n'agit qu'à sa guise (...).
Nous avons un chargé d'affaire auprès de son gouvernement;
cela suffit pour marquer que nos relations ne sont pas rompues..."
(Pachitch) [10]
ou en rappelant son attaché militaire en avril 1917 [11].
Dans un but de propagande et pour contrecarrer les projets monténégrins,
elle n'hésite pas à demander au gouvernement américain,
une subvention pour secourir la population monténégrine
[12].
Son action
va jusquà infiltrer l'entourage royal. Soit en débauchant
l'entourage du roi comme le docteur Iliytch ministre des finances
et de la justice du cabinet Matanovitch [13]
ou Veliko Militchevitch, ministre de la justice démissionnaire
du gouvernement d'Eugène Popovitch le 18 septembre 1917 [14].
Soit en y introduisant des agents provocateurs comme Guenchitch qui
excite le roi contre la Serbie "... afin de lui faire faire des
gaffes" [15]
ou des informateurs comme Spassoyevitch [16].
Ce dernier rejoindra d'ailleurs plus tard le Comité Monténégrin
pour lUnion Nationale de Radovitch. Comité qu'elle soutient
financièrement [17]
et politiquement en le considérant de plus en plus comme le
représentant légal des aspirations du peuple monténégrin
[18].
Petit à petit donc, à travers ce comité, la Serbie
se prépare à rompre avec le Monténégro,
en plaçant les pays de l'Entente devant le fait accompli de
l'annexion au moment de la victoire finale.
B.
Radovitch et le Comité Monténégrin pour lUnion
Nationale
Un "parti"
unioniste existait déjà au Monténégro
avant-guerre, mais celui-ci ne prend une véritable ampleur
qu'au cours du conflit, avec la création le 4 avril 1917, à
Genève, d'un Comité Monténégrin pour lUnion
Nationale par Andriya Radovitch, Premier Ministre démissionnaire
trois mois plutôt. Par son action, il s'attira toutes les haines
du "parti" royaliste. Ainsi, importe-t-il de connaître le personnage
avant de voir son action au sein du Comité.
À plus
d'un titre, son attitude fut aussi ambiguë que celle du roi,
qu'il avait pris pour cible de ses attaques. Fils d'un serviteur du
roi, Radovitch est envoyé, au frais du prince Nicolas, en Italie
pour poursuivre ses études. Une fois rentré au Monténégro,
il devient officier d'ordonnance dans l'entourage princier. Il sera
même nommé ministre. Pourtant en 1907 un complot contre
le roi est découvert (affaire des bombes). À l'occasion
de celui-ci, le roi devait être tué ainsi que ses fils
et le rattachement à la Serbie aussitôt proclamée.
Radovitch y aurait pris part, et se retrouve ainsi condamné
à 15 ans de travaux forcés. Cependant, il est gracié
six ans plus tard.
Avec la guerre
et malgré cette affaire, Radovitch rentre de nouveau dans les
faveurs du roi. Il devient conseiller d'état charger du ravitaillement,
ce qui lui vaut d'être remarqué et apprécié
par le commandant Grellier et Delaroche-Vernet [19].
Jugement que Delaroche réitérera à plusieurs
reprises [20].
Ceci ne l'empêche pas de succéder à Miouchkovitch
au poste de président du conseil, le 13 mai 1916, à
la suite d'intrigues menées avec l'aide de Pierre Plamenatz
qui avait été son avocat pendant l'affaire des bombes.
Cette amitié lui vaut alors d'être qualifie d'italophile
[21].
Si, au début de sa présidence, il s'efforce de prouver
l'innocence de son pays, en combattant les accusations de l'administration
serbe, en déclarant notamment à Islavine et Delaroche
qu'il possédait la lettre du colonel Pechitch du 12 janvier
1916, dans laquelle celui-ci conseillait au roi de demander la paix
[22].
Très vite, dès le mois d'août, on assiste à
un retournement dans ses positions. Ainsi déclare-t-il de retour
d'une visite du front français "nous n'avons qu'un seul
chef, c'est le prince Alexandre." [23]
puis il envoie deux mémorandums, prônant les bienfaits
d'une union avec la Serbie, l'un à la reine Hélène
d'Italie, l'autre au roi Nicolas. Pour lui la mission du Monténégro
est finie, la race serbe doit vivre au sein d'un même état,
pour des raisons historiques et économiques, puisque dans le
monde à venir le Monténégro ne pourrait survivre
seul [24].
Ce mémorandum
ne reçut aucune réponse de la part du roi qui en accord
avec l'Italie, refuse toute idée d'union avec la Serbie. Ainsi
réitère-t-il une nouvelle fois, en menaçant de
démissionner [25]
ce qu'il fait le 11 janvier 1917 devant le refus du roi d'évoquer
la question de l'union [26],
provoquant le mécontentement des Russes et des Français.
En avril, il fonde avec d'autres Monténégrins le Comité
Monténégrin pour lUnion Nationale et alors, n'aura
de cesse de se présenter comme le seul représentant
légal du Monténégro auprès des puissances
de l'Entente.
Quelles sont
les raisons de ce profond revirement qui lui ont fait accepter la
charge de président du conseil en mai 1916, pour huit mois
plus tard, se ranger résolument dans le camp des adversaires
du roi Nicolas? Pour se justifier dans la polémique qui l'opposera
à Vladimir Popovitch, par journaux interposés, Radovitch
évoquera que c'est au cours de son passage au gouvernement
qu'il fut convaincu de la déloyauté des princes, puisque
n'étant pas retourné au Monténégro durant
l'année 1915, il était alors en mission de ravitaillement
en Italie en France et en Grande-Bretagne, il n'était pas au
courant des tractations austro-monténégrines de l'époque
[27].
Or, cette affirmation s'avère être fausse selon Popovitch
puisqu'il serait revenu en novembre 1915 avec la mission anglaise
de ravitaillement. Il était donc au courant de l'entrevue du
prince Pierre et du colonel Hubka et d'ailleurs répondit par
deux fois dans des journaux italiens aux accusations de trahison lancées
par ces journaux [28].
Ces deux articles contredisent par ailleurs les déclarations
que Radovitch fera plus tard en dénonçant la trahison
lors de l'entrevue de Budua lors de laquelle le roi aurait vendu le
mont Lovtchen, expliquant ainsi la défaite éclair [29].
Pour V. Popovitch,
ce retournement de Radovitch serait uniquement dû à une
avance de 500 000 francs faite par le gouvernement serbe par l'intermédiaire
de M. Vechnitch. En effet Radovitch ne voulut jamais révéler
l'origine des fonds qui lui ont permis de créer le Comité
ainsi qu'une demi-douzaine de publications, en plusieurs langues,
s'y rapportant. Il évoquait les dons de riches marchands serbes
[30].
Les débauchages effectués par le gouvernement serbe
dans l'entourage du roi, évoqués plus haut, peuvent
nous amener à en douter, surtout après les déclarations
de P. Voutchkovitch, membre du Comité Monténégrin
pour lUnion Nationale [31],
qui tendent à prouver les suppositions de Popovitch [32].
Reprochant
au roi ses compromissions avec les Centraux, on peut d'ailleurs se
poser la question de savoir comment et avec quelles aides la femme
et la belle-mère de Radovitch ont pu venir en France en passant
par l'Autriche [33].
Radovitch crée donc le Comité Monténégrin
pour lUnion Nationale. Ce Comité reprend les principes
que Radovitch avait évoqués dans ses deux mémorandums,
tout en les "extrémisants", puisqu'il ne parle plus de compromis
dynastique entre les Petrovitch-Niegoch et les Karageorgevitch. Parmi
les membres fondateurs, on retrouve deux de ses anciens ministres
Y. Spassoyevitch et P. Voutchkovitch, un ancien ministre de la guerre
Gatalo et M. Ivanovitch condamné en même temps que lui
lors de l'affaire des bombes.
Bien que n'agissant
pas selon eux par vengeance personnelle [34]
ils cherchent en cela à justifier l'union du Monténégro
à la Serbie par d'autres raisons que la trahison du roi. En
dehors des raisons historiques, ils évoquent aussi bien des
raisons économiques que les intérêts qu'ils y
auraient pour les Alliés, à la création d'un
grand État yougoslave faisant barrage à la poussée
germanique [35],
alors qu'un Monténégro indépendant serait en
proie à des luttes intérieures dont les Centraux pourraient
tirer profit. Ils reprennent en cela l'idée des dirigeants
serbes qui, après la Déclaration de Corfou [36],
se veulent les garants de la stabilité des Balkans à
travers l'union de tous les Slaves du sud et non plus des Serbes uniquement.
Il est à remarquer d'ailleurs que cette déclaration
qui dispose du Monténégro sans que ses représentants
y participent [37],
ne fait même pas place au Comité, alors que celui-ci
a été voulu et créé par la Serbie. Ce
qui veut dire que dès cette date, le 20 juillet 1917, la Serbie
considère l'annexion comme une chose acquise. Le Comité
s'y associera le 17 août [38].
Mais l'argumentation
principale reste quand même la duplicité du roi. Ce qui
amènera de vives polémiques entre partisans et adversaires
de l'union par presse helvétique interposée, ce qui
amena le gouvernement à interdire l'entrée de ces journaux
sur le sol français [39].
Mais le Comité détourna cette interdiction en les faisant
publiés en France et ce sans que la censure ne s'en mêle,
au contraire des publications nicolaistes. Ce parti pris des autorités
françaises se retrouve aussi dans l'autre question qui empoisonne
les relations entre le Monténégro et la Serbie; le sort
de la légion monténégrine.
C.
La légion monténégrine
Après
sa retraite à travers les montagnes d'Albanie et du Monténégro,
l'armée Serbe fut recueillie par les Alliés, puis transférée
vers Corfou en vue de son rééquipement pour pouvoir
ensuite l'envoyer de nouveau sur le front. Conscients que le même
sort attendait l'armée monténégrine, les Alliés
décidèrent de prendre les mêmes dispositions pour
celle-ci [40].
Mais cette décision tout comme la promesse de ravitaillement,
intervenait bien tard, nous étions le 12 janvier. De plus si
l'évacuation de l'armée serbe avait été
rendue possible, les Alliés le devaient en partie aux troupes
monténégrines qui, constituant l'arrière-garde
des forces serbes, protégeaient la retraite serbe. Or personne
ne protégeait les arrières des Monténégrins.
Encore éloignée des points de départ situés
sur la côte et après la prise de Scutari par les Autrichiens
sans combats, alors que le siège de cette ville en 1913 avait
coûté 10 000 hommes au Monténégro, l'armée
monténégrine se retrouvait prise dans une nasse. Son
évacuation devenait impossible.
Abandonnés
par les Alliés et notamment les Serbes qui fuyaient en direction
de Durazzo, seuls quelques Monténégrins réussirent
à fuir et à rejoindre Durazzo en compagnie de 2 000
volontaires monténégrins originaires des territoires
autrichiens qui avaient fui pour ne pas être fusillés
comme déserteurs et traîtres [41].
En accord avec la décision du 12 janvier, il fut décider
de créer une unité monténégrine indépendante,
mais le peu de Monténégrins ne le permirent pas. Cherchant
à profiter de cette situation, les
Serbes et notamment le colonel Pechitch cherchèrent à
les incorporer dans leur armée [42],
provoquant une réaction de Radovitch qui était alors
pour la reconstitution d'une armée monténégrine
[43].
Il sera opposé à un tel projet d'incorporation jusqu'en
octobre 1916, c'est-à-dire après son premier mémorandum
pour l'union. Dans une dépêche qu'il fait parvenir à
Brunet, il parle d'intrigues qui ont abouti au changement de dénomination
du bataillon et au refus qui est fait à ces volontaires de
porter l'écusson et le drapeau monténégrin [44]
ainsi que de percevoir la solde versée par le roi [45].
Dans l'impossibilité
de créer une armée monténégrine et devant
l'hostilité russe à tout projet de ce type notamment
avec l'apport de Monténégrins venant d'Amérique
[46],
la France décide alors de ne pas insister. Le bataillon est
alors envoyé sur le front de Salonique sous la dénomination
de bataillon bosniaque attaché à la légion étrangère,
car la France refuse de recevoir des volontaires appartenant à
des pays belligérants et ce malgré leur demande. Se
reconnaissant comme faisant toujours partie de l'armée monténégrine,
ils demandent au représentant monténégrin sur
place; N. Haydoucovitch, de leur fournir des cocardes monténégrines.
Cette action provoque la fureur des représentants serbes qui
par l'intermédiaire du général en chef de la
mission serbe, Raditch porte l'affaire devant le grand quartier général
Allié. Ne voulant pas froisser ses alliés serbes, Joffre
refuse le port de la cocarde et dans une dépêche au général
Sarrail déclare; "je vous rappelle, à ce propos,
que l'armée monténégrine n'existe plus et que
le principe de la réorganisation d'unités monténégrines
distinctes a été écarté par le ministère
des affaires étrangères" [47].
Cette décision
et le renvoi de Haydoucovitch par Sarrail après que celui-ci
ait été accusé d'espionnage par les Serbes provoquèrent
dans le bataillon des troubles. Ce qui conduisit le général
Sarrail à les renvoyer en France, dans le camp d'internement
de Cervione en Corse [48].
Cette décision et l'internement de ces volontaires monténégrins
d'origine austro-hongroise qui s'étaient battu pour la cause
alliée dans les rangs monténégrins jusqu'en janvier
1916 déclenchèrent une nouvelle crise entre la Serbie
et le Monténégro. Chacun des deux pays cherchant à
s'attirer les faveurs de ces hommes, on assista alors à une
guerre des passeports de complaisance.
Ce problème
des internes de Cervione resurgira en 1918, lorsque le gouvernement
serbe voulut de nouveau les incorporer dans son armée. Ne se
cachant pas de leur partialité à l'égard du Monténégro
[49],
et ne voulant pas froisser le général Raditch, le gouvernement
français décide d'attribuer ces soldats à l'armée
serbe alors qu'il l'avait refusé au Monténégro
sous le prétexte que ces soldats étaient des sujets
autrichiens [50].
Le refus russe
puis le refus français de créer un corps monténégrin
indépendant avait pour finalité de contrarier les buts
de Nicolas. Celui-ci voulait en effet, à travers cette légion,
à la fois marquer qu'il était toujours partie prenante
dans le conflit et ainsi pouvoir participer aux négociations
finales en position de force. Mais aussi assurer son retour en créant
un "corps de janissaires" [51]
qui sous son commandement libérerait le Monténégro,
tuant ainsi dans l'uf les projets d'annexion de la Serbie, comme
le prouvera la victoire Alliée dans les Balkans ou malgré
les assurances données par la France, les troupes serbes libéreront
le pays et mettront les Alliés devant le fait accompli.