La victoire des Alliés sur le front de l'Ouest fut précédée par leur victoire dans les Balkans. En effet, le sort des Centraux dans cette région est scellé dès octobre 1918, soit un mois avant le front français. L'offensive de Ludendorff [1] du printemps avait obligé les Centraux à dégarnir leur flanc sud. Profitant de cette occasion, les Alliés allaient enfin pouvoir s'engager au-delà de la frontière gréco-serbe sur laquelle s'était fixée le front depuis deux ans. Une fois l'obstacle Bulgare passé, il fallut moins d'un mois pour atteindre Belgrade. Le Monténégro était quant à lui atteint dès le 12 octobre et 15 jours plus tard entièrement libéré. Mais libérer par des troupes serbes ou "yougoslaves" contrairement aux assurances faites par la France au roi Nicolas. Ses craintes, de ne pouvoir rentrer dans son royaume, se trouvèrent très vite justifiées, puisqu'une assemblée réunit à Podgoritza décrétait moins d'un mois après la libération du pays, la déchéance des Petrovitch-Niegoch et le rattachement du Monténégro à la Serbie. La victoire des Alliés se soldait donc par la disparition d'un des leurs.  
       
  A. La victoire Alliée dans les Balkans...    
       
  Lorsque les Alliés s'installent à Salonique en octobre 1915, la pérennité de ce nouveau front n'est pas acquise. Les Anglais et notamment le généralissime Kitchener y sont opposés. Pour eux l'on ne peut pas défendre Salonique et l'Égypte. Ce dernier réussit à convaincre Briand de la nécessité de quitter Salonique qui de plus est située dans un pays neutre, pour concentrer les forces Alliées d'Orient en Palestine. Berthelot [2] réussit de nouveau à le retourner, ainsi que Poincaré [3] et l'état-major de Joffre. Ces derniers ont en effet tout à craindre d'un échec de la politique de Briand, après celui de Delcassé. Son échec signifierait l'arrivée au pouvoir de Clemenceau [4] (alors président de la commission de l'armée au Sénat), or celui-ci est résolument contre toute dispersion des forces; la guerre doit se gagner en France. La Grande-Bretagne se ravise le 11 décembre et il est décidé de transférer les troupes du corps expéditionnaire de Gallipoli sur Salonique. Mais elles arrivent trop tard pour venir en aide aux Serbes, le front se fige déjà sur la frontière.  
     
  Dans le but de soutenir l'effort Allié à Verdun, une offensive est déclenchée par Sarrail. Monastir en territoire serbe est libérée le 17 octobre 1916. Mais cette victoire s'est faite au prix de lourds efforts. En effet, les obstacles naturels que constituent ici les Balkans, demande trop d'efforts en homme et matériel par rapport aux nécessités du front de l'Ouest. C'est ainsi que le front se fige de nouveau et cette fois-ci pour deux ans.    
       
  L'année 1917 sera donc une année d'attente, ce qui amènera Clemenceau à parler des "jardiniers de Salonique" en parlant des troupes de Sarrail. Ainsi qu'une année de trouble, marquée par, l'exécution du lieutenant-colonel serbe Dimitrievitch [5] pour complot contre le prince-régent Alexandre, des mutineries dans le corps expéditionnaire à cause de retard dans les permissions, ainsi que par la mise au pas de la Grèce, dont le roi Constantin est obligé d’abdiquer en faveur de son fils cadet Alexandre à la suite des pressions Alliées [6]. Ce changement permet à Venizélos de redevenir chef du gouvernement et de déclarer la guerre aux puissances centrales le 30 juin 1917. La Grèce fournit alors aux Alliés une aide de 15 divisions qui furent engagées sur le front de Salonique à côté de huit divisions françaises, six serbes, quatre anglaises et une italienne.    
       
  En décembre 1917, Sarrail est rappelé par le nouveau président du conseil Clemenceau pour prendre le commandement de la défense de Paris. Il est remplacé par Guillaumat [7] qui lui-même est remplacé en juin par Franchet d’Esperey [8] après avoir réussit à restructurer un corps expéditionnaire qui partait en déliquescence. Dès son arrivée à Salonique le 6 juin, Franchet d’Esperey reprend le plan de Sarrail qui prévoyait une attaque au centre dans la région des monts Dobropolje [9], dans le secteur serbe. Il réussit redonner confiance à ceux-ci en plaçant deux divisions françaises sous les ordres du prince Alexandre. Ce plan ne plait guère aux Anglais pour qui les Bulgares, après la démission du cabinet Radoslavov, sont près à se détacher des Centraux, ainsi que par les Italiens qui jalousent et craignent les ambitions serbes. Cependant, Guillaumat qui est retourné à Paris auprès de Clemenceau, réussit à soulever certaines des réticences du président du conseil à l'égard du front d'Orient.  
     
  Une offensive de Guillaumat en mai, dans la région de Skra-Gevgelija [10] avait déjà prouvé les faiblesses de l'armée de Ferdinand Ier et le 18 septembre après trois jours de combat les Serbes s'emparent des monts Dobropolje et enfoncent les lignes Bulgares qui entament leur retraite. Usküb est atteinte le 29, le jour même de l'armistice Bulgare signé à Salonique. La route de Belgrade était alors ouverte d'autant plus que le lendemain la Turquie signait un armistice à Moudros [11], ce qui permettait aux Britanniques de l'amiral Gough-Calthorpe [12] d'occuper Constantinople. Décidant de pousser son avantage Franchet d’Esperey veut marcher sur la Hongrie et Vienne. Mais Clemenceau ne voulant pas reconnaître son erreur à propos du front d'Orient, lui demande d'obliquer vers l'Est, vers la Roumanie. Empêchant ainsi la guerre de se terminer un peu plus tôt puisque l'Autriche ne capitulera que le 3 novembre sur le front italien.  
       
  B. ... Et ses conséquences sur le Monténégro    
       
  Lorsque les troupes Alliées arrivent au Monténégro, celui-ci est occupé depuis maintenant plus de deux ans par les Autrichiens. Pourtant celles-ci n'arrivent pas dans un pays entièrement sous occupation autrichienne. En effet malgré l'internement des hommes en Hongrie et la mise sous loi martiale du pays [13] et grâce à la configuration topographique du Monténégro, une résistance s'est mise en place dès le mois de juin 1916. Selon le Bosnich Post, organe officieux du gouvernement bosniaque, plusieurs mouvements de rébellion auraient vu le jour dès cette date. Ces mouvements se localisent principalement dans deux régions du royaume. Tout d'abord dans la région de Kolachin [14] où la tribu des Vassoyevitch qui s'était rebellée doit subir une dure répression de la part des autorités autrichiennes [15]. Et ensuite dans la région frontalière albanaise où le général Vechovitch, ancien commandant de la quatrième colonne, a pris les armes à la tête de 2 000 à 3 000 hommes [16] qui refusent d'être internés en Hongrie comme 35 000 à 50 000 de leurs compatriotes. Pour essayer de mettre fin à cette guérilla, les autorités autrichiennes iront jusqu’à prendre en otage le père et le frère du général. Ce dernier sera même fusillé devant le refus du général de déposer les armes et de se rendre [17]. Cependant au cours des mois, cette action des haydouks [18] contre la présence autrichienne, prend de plus en plus l'allure d'une lutte entre adversaires et partisans du roi, ces derniers étant considérés comme austrophiles [19]. En octobre 1918, le pays est donc retombé dans une anarchie où les tribus s'affrontent entre elles et où les Autrichiens contrôlent de moins en moins le territoire.    
     
  L'offensive Alliée dans cette région des Balkans suivit deux axes. L'un vient du Sud-Ouest par le Kosovo et l'autre du sud par l'Albanie. Ce dernier a à sa tête les troupes italiennes du général Ferrero qui stationnaient jusqu'ici dans le sud de l'Albanie, entre Valona et le lac d'Okrida [20] à l'Ouest de Monastir. Elles remontent donc le long de l'Albanie et atteignent Scutari le 3 novembre, mais trois jours après les troupes de l'Adriatique du colonel Fourtou [21]. Celles-ci qui composaient l'autre axe de pénétration dans le pays monténégrin étaient essentiellement formées de "Yougoslaves" encadrés par des Français. Les troupes de l'Adriatique avaient atteint le Monténégro dès le 12 octobre en libérant la région de Ipek et de Diakova, puis poursuivant leur avancée sur Scutari, avaient libéré Podgoritza le 1er novembre [22].    
       
  Une fois la capitale libérée le 4 et Cattaro occupée le 8 novembre, une nouvelle situation, dont allait dépendre la suite des événements dans cette région, se mit en place. En effet malgré l'unité de commandement Alliée deux zones d'occupations vont se mettre en place de facto. D'un côté les Italiens, soucieux de leurs intérêts et de leur hantise de voir des Serbes sur l'Adriatique, vont s'efforcer de contrôler le littoral monténégrin entre la frontière albanaise et Cattaro en occupant les ports [23]. De l'autre les "forces yougoslaves" qui venues de l'Est contrôlent l'intérieur du pays avec l'assentiment du commandement français. Pour le roi Nicolas, cette occupation de fait, par des troupes serbes, de son royaume, allait à l'encontre de ses intérêts. Aussi, pressentant cette situation, avait-il fait de nombreuses démarches pour revenir dans son pays.    
       
  Pour le roi, en effet la situation était claire; il lui fallait revenir dans son pays, parer à toute tentative de remise en cause de son pouvoir, "j'ai peur que mes Monténégrins ne fassent des bêtises (...). Il faut qu'ils me sentent près d'eux pour qu'ils soient raisonnables" [24]. Ainsi fait-il part à Delaroche de son désir de rentrer dans son pays en suivant la progression des troupes italiennes en Albanie, dès le lendemain de l'armistice bulgare [25]. Il réitérera cette demande à plusieurs reprises, sous de multiples formes, tout au long du mois d'octobre. Pour lui le danger venait des initiatives serbes "ce sont des révolutionnaires, des anarchistes" [26] et de leurs alliés du Comité Monténégrin pour l’Union Nationale dont il demande au gouvernement français, avec le soutien italien, de ne pas les autoriser à partir pour Salonique [27].    
     
  Ces derniers au contraire espéraient que le gouvernement français n'autoriserait pas le départ du roi [28]. Dans le but de rendre ce retour improbable, ils avaient fait part au Quai d’Orsay qu'ils riposteraient à un retour du roi par des bombes et des émeutes [29]. Devant ces risques de troubles que les déclarations antérieures de Nicolas ne démentaient pas "il faudra que nous revenions à Cettigné en automobile blindée (...). Vous me laisserez bien, n'est ce pas couper quelques têtes lorsque je serai de retour là-bas?", Delaroche préconisa au ministère des affaires étrangères de différer pour le moment le retour du roi.    
       
  Mais l'attitude de celui-ci restait équivoque. Reconnaissant toujours le gouvernement de Popovitch et le roi Nicolas comme les représentants légaux du Monténégro, le gouvernement français leur donna par deux fois l'assurance que son autorité serait respectée et que les autorités Alliées sur place agiraient en son nom [30]. Mais d'un autre côté, refusait de mettre par écrit les raisons du refus de ce retour [31], pour ne pas qu'on puisse lui reprocher plus tard, d'avoir mis des entraves au retour du roi. Dans cette même optique Delaroche demande une action concertée avec les autres Alliés, pour ne pas que cette décision incombe entièrement au gouvernement français [32].  
       
  Cette attitude devint encore plus compromettante, lorsque malgré les déclarations françaises faites au gouvernement italien [33], la France ne mit aucune entrave et même favorisa le retour par Salonique de Radovitch et de membres du Comité, en complète contradiction avec ses précédentes affirmations. Il en est de même pour les consignes qui sont données par Clemenceau à Franchet d’Esperey, qui doit agir au nom du roi, mais ne doit prendre aucune mesure politique pour faire respecter l'autorité royale au nom de laquelle il agit; "le sentiment de la population ne devra être violé en aucune manière et l'autorité militaire ne devra en aucun cas se faire l'instrument de mesures de représailles ou de répressions d'ordre politique, que le gouvernement du roi Nicolas tenterait d'exercer" [34] alors même que ce gouvernement est empêché de rentrer d'exil. De plus il n'est fait aucune mention de la conduite à tenir en cas de représailles serbes à l'encontre des partisans du roi et qui donc violeraient l'autorité d'un gouvernement toujours reconnu par la France.    
     
  Le gouvernement français a en effet refusé de certifier par écrit au roi que seules des troupes françaises pénètreraient au Monténégro [35], ce qui lui permettait ainsi d'utiliser des agents "yougoslaves" pour fomenter des mouvements insurrectionnels sur les arrières des Autrichiens. Mais une nouvelle fois, le gouvernement français ne veut pas prendre ses responsabilités et veut agir sous couvert serbe "il est à croire que les émissaires qui sont employés par le général Franchet d’Esperey, en raison de leurs origines, favoriseront cette dernière tendance (unioniste). Comme il s'agit, avant tout, d'échapper à la domination autrichienne, nous ne pouvons reculer devant les moyens à employer, mais il y aurait peut-être intérêt à laisser nos alliés serbes assumer au moins en apparence la direction et la responsabilité de ces manœuvres" [36]. Ainsi les troupes serbes purent-elles pénétrer au Monténégro et participer à sa libération en fomentant des rébellions qui aboutirent à la libération de Nikchitz, Berane et Andryevitza [37]. Si pour le gouvernement monténégrin ces révoltes sont le fruit des actions des comitadjis [38] serbes du commandant serbe Pavle Blajovitch [39], elles ont au contraire pour les unionistes, précédé l'arrivée des Alliés qui une fois sur place n'ont fait que respecter ces nouvelles autorités mises en place à la suite du soulèvement du peuple monténégrin [40]. Les décisions prises plus tard par ces autorités ne devaient donc rien, selon eux, à la présence de troupes serbes. Et les premières décisions prises par ce nouveau pouvoir seront lourdes de conséquence pour le roi, puisqu'elles signifieront la fin de sa dynastie.    
       
  C. La fin des Petrovitch-Niegoch    
       
  Les craintes du roi avaient donc été justifiées, la libération de son pays avait entraîné de facto le rattachement du Monténégro à la Serbie. Lorsque Radovitch évoque les nouvelles autorités mises en place avant l'arrivée des Alliés, il fait référence à la création d'un Comité National Provisoire Exécutif qui dès le 7 novembre décide de faire procéder à l'élection des députés d'une Grande Skoupchtina qui décidera du "futur statut national du Monténégro et afin de choisir un comité exécutif permanent national qui dirigera le travail et exécutera les décisions de l'assemblée" [41]. À la tête de ce comité provisoire se trouve Y. Spassoyevitch, membre du Comité Monténégrin pour l’Union Nationale de Genève ainsi que deux Serbes; R. Kosovitch et S. Tomitch, ce qui tendrait à prouver que ces nouvelles autorités, mises en place à la suite du soulèvement du peuple monténégrin, se sont en réalité installées à la suite de l'arrivée des Serbes, contrairement aux affirmations des unionistes.    
     
  Ces élections au suffrage indirect eurent lieu les 17 et 19 novembre. Par un jeu de proportionnalité, le Comité National Provisoire Exécutif accordait plus de poids aux nouvelles provinces de 1913 qu'au vieux Monténégro pourtant plus peuplé mais aussi peut-être plus fidèle à la dynastie. De plus le scrutin fut public, laissant ainsi libre cours à toutes formes de pression, car si le Comité c'était soi-disant formé avant l'arrivée des troupes yougoslaves, les élections quant à elles eurent lieu en leur présence. Les unionistes reprendront les conclusions de la commission internationale dirigée par Franchet d’Esperey le 2 février 1919, pour justifier de la bonne tenue des élections. À savoir que les troupes yougoslaves au nombre de 500 n'avaient pu exercer aucune influence sur "50 000 monténégrins armés" et que dans ces conditions les élections avaient été bien plus libres que sous Nicolas [42].    
       
  Sans vouloir remettre en cause les conclusions de Franchet d’Esperey dont on connaît l'amitié pour le prince-régent Alexandre de Serbie, on peut être amené à se poser des questions sur les profondes divergences entre ses conclusions et un rapport de l'état-major général effectué le 14 décembre. Celui-ci parle de l'empressement des autorités serbes à régler le sort de l'union en refusant d'attendre le retour des prisonniers (entre 35 000 et 50 000) et en fournissant elles mêmes les bulletins de votes ainsi que les différentes proclamations préalablement imprimées en Serbie. De plus dans ce rapport, il est fait allusion au fait que si les Monténégrins n'avaient pas été désarmés par les Autrichiens, il y aurait eu une véritable guerre civile. Ou sont donc les 50 000 Monténégrins armés face aux 500 pauvres soldats "yougoslaves"? [43]    
       
  Élue dans des conditions sujettes à caution [44], la Grande Skoupchtina se réunit donc le 24 novembre à Podgoritza dans le but de statuer sur le sort du Monténégro. Celle-ci dans sa première cession, le 26 décide:
- la déchéance de Nicolas Ier Petrovitch-Niegoch ainsi que de sa dynastie.
- l'union du Monténégro à la Serbie en un seul et unique état sous le règne de la dynastie des Karageorgevitch qui,
- ainsi unie, entre dans la patrie commune de notre peuple au trois noms; Serbes, Croates et Slovènes.
 
     
  Dans sa séance du 28, elle procède à l'élection d'un Comité Exécutif de cinq membres qui ont en charge de gouverner le pays jusqu'à ce que l'union rentre dans les faits. Ces cinq membres sont:
- le voïvode Stevo Voukotich (frère de la reine Miléna mais ennemi personnel des Petrovitch depuis l'affaire des bombes)
- Marko Dakovitch
- Spasoje Piletitch
- Lazare Damjanovitch
- Risto Joitch
   
       
  Le 7 décembre, ce comité informe les différentes chancelleries qu'il est désormais le seul pouvoir légal au Monténégro. Durant la clôture de cette première session de la Grande Skoupchtina le 29, une nouvelle décision est prise. Celle-ci ordonne la confiscation des biens de la couronne et interdiction est faite au roi et a sa dynastie d'entrer au Monténégro [45].  
       
  Selon les partisans de l'union, ces décisions auraient été prises à la quasi-unanimité et dans la liesse générale sans aucune forme de pression. Pourtant si l'on se réfère toujours au rapport de l'état-major général ces décisions n'ont pas été si unanimes. En effet lors de la première séance les représentants des Nahias [46] de Katounska, Rietchka, Tzeklinska, Tzermeniska et Zeta c’est-à-dire du vieux Monténégro, fidèles à la dynastie (et non au roi et ses fils mais au fils de Mirko) comprenant le vrai but de cette Grande Skoupchtina qui était d'entériner l'annexion du Monténégro, décidèrent de quitter la séance. Les Serbes durent verser des pots-de-vin aux députés restants et menacer d'utiliser la force pour s'assurer de la décision.    
     
  Pour entériner les résolutions prises par la Grande Skoupchtina, celles-ci furent communiquées au roi, aux gouvernements Alliés et neutres ainsi qu'au prince Alexandre qui reçut une délégation de députés dirigée par le métropolite d'Ipek le 19 décembre qui acquiesça "avec émotion et reconnaissance" à l'offre de la couronne monténégrine [47]. Les décisions de l'assemblée et la reconnaissance de celle-ci par le prince-régent marquaient de facto la suspension de relations diplomatiques entre la Serbie et le Monténégro, suspension qui fut annoncée officiellement le 30 décembre [48]. Cette décision provoqua des divergences parmi les Alliés, entre des Italiens toujours résolument contre, mais plus pour leur propres intérêts que pour ceux de Nicolas, des Britanniques qui par respect de la dignité royale voulaient condamner ce coup de force et des Français soucieux de ménager leur allié serbe. L'inaction des grandes puissances légitimait donc ce véritable coup de force des autorités serbes.    
       
  Trois années d'exil se soldaient donc par la victoire des Alliés mais aussi par la disparition du royaume monténégrin qui faisait, de fait, partie de la Serbie, même si les grandes puissances reconnaissaient toujours le gouvernement royal comme le représentant légitime du Monténégro. Cette annexion qui mettait fin à cinq siècles d'indépendance monténégrine avait pris forme dans la première partie du conflit qui avait vu le Monténégro déposer les armes dans des conditions qui parurent à l'époque suspectes. Elle profita donc de ces trois années d'exil pour mûrir sous l'action conjuguée des campagnes de diffamations du Comité Monténégrin pour l’Union Nationale d'Andriya Radovitch orchestrées en sous-main par la Serbie, des maladresses du roi et de son entourage dans lequel régnait une véritable atmosphère de cabale, ainsi que de "l'hypocrisie" des grandes puissances qui se servirent du Monténégro au gré de leurs intérêts comme l'Italie qui passe de l'hostilité à la compromission ou la France qui, sous couvert de respecter le droit et les valeurs de la justice, laisse faire son allié serbe et même l'encourage dans sa volonté de créer un "cordon sanitaire" slave sur le flanc sud du monde germanique, même si pour cela il lui faut utiliser des moyens plus que douteux. Le peu de manière que mettront les Serbes à respecter les traditions, les us et coutumes du Monténégro, allant même jusqu’à la répression cruelle ne pourra que favoriser un mouvement anti-annexionniste, et ce même si au départ une large partie de la population était hostile au retour du roi et favorable à l'union de tous les Serbes sous quelques formes que se soient.    
       
     
       

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