Notes sur la Bourgogne - 1869
Qui
parmi les milliers de voyageurs en France connaît Le Morvan ou pourrait même
en donner une définition précise ? Le lecteur aura
probablement la vague idée que le "Pagus Morvinus" mentionné dans les
"Commentaires" de César et Le Morvan sont la même chose et le parisien pendant l'hiver peut
connaître son nom moderne
parce que le feu qui le réchauffe, médiocrement comme il pense probablement,
provient du bois qui pousse dans cette région de France.
La
grande caractéristique du Morvan est en effet sa vaste forêt qui est pour
Paris ce que sont nos mines de houille nordiques pour Londres ; avec cette
différence cependant - tandis qu'heureusement l'épuisement de notre
combustible fossile est très éloigné, même avec la consommation la plus prodigue, les forêts du Morvan ne peuvent pas fournir Paris en carburant
pour de nombreuses générations.
Ne laissez personne penser qu’il connaît la
Bourgogne s'il la quitte sans voir Le Morvan.
Il est vrai que
la plus grande partie du Morvan n'est pas dans la province de Bourgogne ;
mais ses forêts sombres et denses revêtent une partie des sommets
bourguignons, et de la frontière de la Bourgogne, en regardant vers Nevers,
une courte promenade vous conduira dans la région.
Géographiquement, le Morvan comporte en parties les départements de la
Nièvre et de l’Yonne, entre la Bourgogne vineuse et les montagnes
nivernaises. De grande ampleur, ses productions agricoles sont des céréales
très nombreuses et variées, cultivées aussi bien que la vigne, alors que ses
vallées profondes et riches alimentent de grands troupeaux.
Mais la
spécialité du Morvan est sa forêt, plutôt ses forêts, parce qu’il y en a
plusieurs. Ensemble, elles couvrent 213.000 acres, et consistent, pour la
plus grande part, en chêne, bouleau, et érable, avec, par endroits, une
croissance dense de sous bois.
Ces noires
forêts semblent exercer sur les paysans bourguignons une influence un peu
semblable à ce que ressentait Dante et qu’il a exprimé dans ces lignes
immortelles :
"Au milieu du
chemin de notre vie
Je me trouvai dans une forêt obscure
Dont le droit chemin était perdu.
Ha, comme la décrire est chose dure.
Cette forêt sauvage et âpre et forte,
Qui, en y pensant, renouvelle ma peur !
Tant est amère, que mort n'est guère plus."
Telle est la
conclusion à laquelle je suis parvenu durant mes
vagabondages à la lisière de la forêt, et toujours en
Bourgogne, j’ai demandé à quelques paysans si j’étais dans
le Morvan. La réponse était toujours : « Pas encore – Ce
n’est pas le Morvan ». Comme le vigneron du Côte d'Or, qui
avait déclaré que le vent du Morvan est fatal pour sa
vigne et que rien de bon ne vient de là, les paysans à la
lisière de la forêt le tiennent en égale aversion . |