Mensonges sur l'Irak
LE MONDE | 17.06.04 | 18h43
L'histoire risque de se montrer sévère lorsqu'elle se penchera
sur la politique de George W. Bush à l'égard de l'Irak. Peut-être
réussira-t-il à pacifier et à stabiliser ce pays, même
si, sur le terrain, la situation n'incite guère à l'optimisme.
Mais il aura réussi à diviser durablement ses alliés
et à ternir l'image de son pays.
Plus grave encore pour sa crédibilité, le rapport intermédiaire
rendu public, mercredi 16 juin, par la commission d'enquête paritaire
du Sénat a démoli sans appel le second des arguments avec
lesquels le président américain avait justifié sa guerre
contre Saddam Hussein : sa connivence supposée avec Oussama Ben Laden
et Al-Qaida. On se souvient que les affirmations de la Maison Blanche, reprises
par ses alliés de l'époque - en premier lieu par Tony Blair
- selon lesquelles le régime de Bagdad disposait d'armes de destruction
massive et qu'il était prêt à les utiliser n'ont jamais
pu être prouvées.
Les conclusions de la commission, qui n'a trouvé "aucune
preuve crédible d'une collaboration entre le régime de Saddam
Hussein et Al-Qaida pour attaquer les Etats-Unis", ont d'autant
plus de poids qu'elles n'auraient pu être adoptées sans l'accord
de membres républicains de la commission. Elles s'inscrivent en faux
contre les assertions répétées du vice-président
Dick Cheney sur de prétendus "liens de longue date"
et contre l'argumentation utilisée par M. Bush pour convaincre
ses compatriotes de la justesse de cette guerre.
L'argument de la connivence Saddam-Ben Laden apparaît donc pour le
moins controuvé. Il avait pourtant eu un immense impact aux Etats-Unis
au point d'être cru par près d'un Américain sur deux.
Le réveil de l'opinion risque d'être brutal à cinq mois
de la prochaine présidentielle. John Kerry, le candidat démocrate,
qui avait soutenu la guerre à son début, en a profité
pour accuser son rival d'avoir "trompé" le peuple
américain. Cela lui suffira-t-il pour l'emporter ?
Les arguments de M. Bush ayant fait la preuve de leur inanité, on
est porté à se demander s'il a menti, emporté par une
stratégie belliciste contre un Saddam Hussein dont il avait fait
son ennemi numéro un avant même d'entrer à la Maison
Blanche. Ou bien s'il a enrobé sa politique sous un emballage "vendable"
à une opinion traumatisée par les attentats du 11 Septembre.
Ce serait plus grave encore si, comme ne l'exclut pas le New York Times,
"il savait qu'il ne disait pas la vérité ou s'il avait
une capacité à s'auto-illusionner pour des raisons politiques,
ce qui serait terrifiant dans le monde de l'après-11 Septembre".
Le résultat de tout cela est une Amérique décrédibilisée
et une vague sans précédent de haine dans le monde musulman.
Mais surtout, et c'est beaucoup plus inexcusable, cette guerre sans justifications
légales ou factuelles a détourné le monde d'une tâche
bien plus cruciale : la vraie guerre contre le terrorisme.
Ben Laden court toujours, Al-Qaida a essaimé comme une métastase
à travers un univers qui est encore moins sûr aujourd'hui qu'il
ne l'était hier.
retour Irak
retour vers résumé "IV. Dangers et incertitudes du
monde actuel."
retour sommaire "documents sur l'actualité"
retour vers page
d'accueil