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Paris : les universités du Quartier latin vont s'étendre jusqu'à la BNF

article paru dans LE MONDE | 23.10.01 | 10h20


La réhabilitation du campus de Jussieu, rendue nécessaire par la présence d'amiante dans les bâtiments, provoque le déplacement d'une partie de ses activités vers la ZAC Rive gauche. Les architectes veulent aussi installer des commerces pour créer une continuité urbaine, mais bien des obstacles subsistent.


 

L'université de Paris-VII débarque en force dans le 13e arrondissement. Une bonne partie de ses unités de physique et de chimie devrait être installée sur la zone Paris Rive gauche. Quatre concours d'architecture ont été lancés et leurs résultats seront connus en janvier 2002. Deux bâtiments neufs sont à construire du côté du médiocre immeuble Unibail planté au bord de la Seine, non loin du boulevard Masséna. Deux autres sont à réhabiliter : la Halle aux farines et les Grands Moulins de Paris. Ces édifices accueilleront laboratoires, salles de cours et bibliothèques universitaires, fréquentés par un public d'une bonne trentaine de milliers d'étudiants.
Profitant de la restructuration complète de Jussieu ­p; désamiantage oblige -, la refonte du campus conçu par Edouard Albert à la veille de 1968 permet d'étendre le Quartier latin vers l'est de Paris où la Bibliothèque nationale de France (BNF) constitue déjà un pôle du savoir et de la recherche.
Cette opération, encore dans les limbes, constitue un virage pour l'éducation nationale. Dès les années 1960, le ministère avait prôné le "campus à l'américaine", jugé plus moderne, aux conditions de vie "plus saines" et plus "détendues". Transposés en France, ces ensembles universitaires étaient devenus autant de petits ghettos. Les uns exilés loin des centres-villes, histoire d'éviter les débordements d'une population estudiantine contestataire; les autres, au cur des cités, mais bouclés sur eux-mêmes comme des forteresses. Jussieu, avec ses douves, ses murailles, ses cours intérieures et son donjon, est un exemple achevé de la seconde solution. Le plan de Jean Nouvel consiste à ouvrir la citadelle. Cette ancienne frontière du Quartier latin historique ­p; la Halle aux vins d'antan ­p; devrait donc être la première manifestation d'un retour à un urbanisme traditionnel. Puisqu'il s'agit de retrouver les vertus de l'antique montagne Sainte-Geneviève qui, depuis Abélard, a toujours mêlé les lieux d'enseignement au tumulte de la ville active, avec ses commerces, ses bistrots, ses jardins, ses librairies, ses lieux de divertissement, ses monuments (la Sorbonne, le Panthéon, Saint-Séverin) et ses officines à la réputation plus sulfureuse.
LE CASSE-TÊTE D'AUSTERLITZ

Pour pouvoir exister, ce Quartier latin en devenir devra d'abord éliminer toute une série d'obstacles. A commencer par le bastion de Jussieu que Jean Nouvel va revisiter. Puis le Jardin des Plantes, prestigieuse propriété du Museum d'histoire naturelle, qui a le défaut de n'être vraiment ouvert que du côté de la Seine. Il faudra lui assurer un lien avec le nouveau Jussieu, à travers la rue Cuvier : une opération délicate, l'artère bordée de hauts murs est une des rares voies parisiennes à conserver son côté campagnard. Vient ensuite la gare d'Austerlitz : ce "débarcadère" mal-aimé, sans façade monumentale, n'a jamais réussi à engendrer un quartier spécifique comme c'est le cas des autres gares parisiennes. Aujourd'hui, privée de trains à grande vitesse, Austerlitz a perdu plus de 50 % de son trafic. La SNCF a demandé à Jean-Marie Duthilleul, son architecte maison, de réfléchir à une rénovation de la gare ­p; un casse-tête.
Pour gagner la terre promise, c'est-à-dire les alentours de la Bibliothèque nationale de France, il faut encore franchir un autre verrou, celui de l'hôpital de la Salpêtrière dont la restructuration est depuis longtemps à l'ordre du jour. La course d'obstacles n'est pas gagnée pour autant. "Nous arrivons très tard sur cette zone gérée par la Semapa", note Christian Dupavillon, qui est chargé de suivre les questions d'architecture au sein du cabinet de Jack Lang, ministre de l'éducation nationale. "La plupart des choix sont faits et beaucoup de terrains sont désormais retenus. En dépit de la nouvelle station de métro et de RER, le quartier reste mal desservi par les transports en commun. Il subsiste enfin une série de handicaps, dont le principal est constitué par l'avenue de France." Cette voie, épine dorsale de la zone à aménager, surplombe en effet les voies ferrées et oblige à des ruptures de niveaux qui viennent rompre l'horizontalité de cette plaine alluviale.
"On a aussi beaucoup détruit,
constate Christian Dupavillon. Notamment des petits bâtiments qui, sans avoir un intérêt architectural de premier plan, avaient une présence, une épaisseur historique. Celle-ci permettait d'ancrer le nouveau quartier dans une continuité temporelle. La rue Watt, célébrée par Henry Miller, a entièrement disparu."
De trop rares édifices, préservés à grand-peine, joueront ce rôle de repère, de passeur de mémoire. La masse des Grands Moulins de Paris, même amputée de ses silos, dresse toujours sa silhouette pseudo-médiévale sur les bords de la Seine. Quelques-unes de ses anciennes machines, restées sur place, attesteront de l'ancienne vocation des lieux. La Halle aux farines sera réaménagée dans le même esprit. La belle architecture métallique de la Sudac, une ancienne usine d'air comprimée inscrite in extremis à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques, abritera peut-être une école d'architecture. Ne faut-il pas plutôt la reconvertir en un espace ludique, pour un public jeune, se demande Christian Dupavillon ? "Ce qui manque ici, explique-t-il, ce sont des lieux animés, y compris la nuit, des commerces, une vraie vie de quartier. La présence de l'université est nécessaire, mais pas suffisante. Actuellement, cette zone est une sorte de désert peu engageant où la Seine ne joue aucun rôle. L'environnement de la Bibliothèque nationale de France reste aussi réfrigérant."
La présence du Batofar, esquif culturel "alternatif" amarré sur les quais du fleuve, ou le complexe cinématographique de Marin Karmitz qui doit sortir de terre derrière la BNF sont des éléments jugés positifs par le conseiller de Jack Lang. Comme la présence des artistes qui se sont maintenus, contre vents et marées, dans les anciens entrepôts frigorifiques du quai Panhard, interdisant ainsi leur démolition. Une présence d'autant plus pertinente que la rue Louise-Weiss commence à être un des hauts lieux de l'art contemporain à Paris, grâce aux galeries qui se sont installées ici à l'invitation de Jacques Toubon, alors maire du 13e arrondissement. Ce no man's land encore informe réussira-t-il à se transformer, en quelques décennies, en carrefour de tous les savoirs ? On sait, hélas, qu'une telle mutation relève d'une alchimie largement imprévisible.
Emmanuel de Roux


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