Vers une France sans industrie ?

extraits d'un article paru dans Le Monde daté du 21 février 2004


"Jacques Chirac a réuni à l'Elysée, jeudi 19  février, des économistes, des chefs d'entreprise, des EXPERTS pour discuter des moyens pour lutter contre la désindustrialisation. En trente ans, la France a perdu environ 1  500  000  emplois industriels, compensés par la CRÉATION D'ACTIVITÉSdans les services. Selon un rapport de la Datar, qui sera rendu public lundi 23  février, "le poids de l'industrie dans l'économie française ne baisse pas".
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Au début des années 1980, les emplois industriels représentaient 24  % des emplois salariés. Aujourd'hui, ils ne pèsent plus que 15  % avec une baisse sensible dans le textile et la métallurgie.
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Certains se refusent toutefois au catastrophisme. "La désindustrialisation n'est ni un problème nouveau, ni un problème propre à l'Europe", a rappelé l'économiste bruxellois André Sapir, conseiller du président de la Commission Romano Prodi, à l'issue de la réunion. La France n'est pas la plus mal placée. "  Depuis le début de 1996, relève le ministère de l'industrie, le Royaume-Uni a perdu 14,1  % de ses emplois industriels directs, l'Allemagne 9,7  %, le Japon 15,6  % et les Etats-Unis 10,5  %. La France affiche un recul beaucoup plus limité de 2,3  %".
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en 2003. Pour la première fois depuis dix ans, l'économie française a détruit des emplois. "Il y a une accélération depuis deux-trois ans des pertes d'emplois industriels", reconnaît M.  Jacob (chef de l'entreprise Legris Industries).(...) La concurrence de la Chine et de l'Inde est de plus en plus aiguë.(...)"Il y a une accélération dans ce domaine qui entraîne des réactions très rapides des grands groupes pour rester compétitifs. Les PME qui n'ont pas la même flexibilité pour s'adapter  ont un problème", explique M.  Jacob. L'économiste Michel Godet cite en outre un exemple inquiétant  : "Un constructeur automobile français impose à ses fournisseurs de premier rang d'avoir un minimum 25  % de ses fournisseurs dans les pays dits low cost -à bas coûts-.  " Quant à M.  Larose, (secrétaire général de la Fédération CGT du textile) il a rappelé que certains secteurs n'avaient jamais vu de décélération du mouvement  : "dans l'industrie textile, explique-t-il, nous perdons deux Metaleurop par mois. La moitié des entreprises ont disparu en dix ans".
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"Je pense qu'il faut essayer de soutenir au mieux les secteurs où la France est forte, comme l'aéronautique, l'automobile, l'espace, mais aussi l'énergie, la post-génomique, la pharmacie", cite aussi M.  Jacob."

Sophie Fay

extraits d'un article paru dans Le Monde daté du 21 février 2004

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" (...) Le sénateur Christian Gaudin (Union centriste, Maine-et-Loire) préside un groupe de travail "sur la délocalisation des industries de main-d'oeuvre", mis en place le 18  décembre 2003. Il rendra son rapport en juin. Pour avoir vu dans sa circonscription, autour de Cholet, les conséquences de la délocalisation de l'industrie de l'habillement et de la chaussure, M.  Gaudin souligne deux phénomènes. Premièrement, la difficulté de s'adapter aux mutations industrielles  : "Nous avons perdu beaucoup d'emplois et nous en avons aussi beaucoup créé. Mais les premiers étaient peu qualifiés et les seconds le sont beaucoup plus. Se pose donc un problème de formation et de requalification."

Deuxièmement, une évolution du mouvement de délocalisation  : "Au départ, il portait surtout sur les biens manufacturés sans haute valeur ajoutée. Puis il y a eu une progression rapide vers les biens de consommation ou d'équipement qui font appel à une technologie plus avancée. On constate en outre que, dans une filière, lorsqu'on abandonne la production, on perd peu à peu toute la compétence y compris la conception. Surtout, les pays à bas salaires - Inde et Chine - sont aujourd'hui capables d'intégrer toute la chaîne, y compris cette conception. (...)"

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Près des trois quarts des salariés français travaillent aujourd'hui dans les services


Les pertes d'emplois dans l'industrie sont compensées par les créations de postes dans les secteurs technologiques qui assurent la croissance


L'industrie française est-elle menacée de disparition  ? Déjà, en 1993, le transfert en Ecosse de l'usine Hoover de Longvic (Côte-d'Or) avait ému l'opinion. Dans un rapport retentissant, le sénateur (UDC) Jean Arthuis avait tiré la sonnette d'alarme, réduisant la mondialisation aux délocalisations. Ces dernières années, l'inquiétude des Français a été ravivée, notamment après la faillite de Moulinex ou les déclarations de Serge Tchuruk, PDG d'Alcatel souhaitant transformer son entreprise en un groupe sans usine.

Si la chute de l'emploi industriel est incontestable, la réalité de la désindustrialisation est plus complexe. Trois phénomènes se conjuguent. L'un est positif  : les gains de productivité permettent de produire davantage avec moins de salariés. L'automobile en est le meilleur exemple. Les constructeurs français assurent plus de 55  % de leur production en France alors que deux tiers de leurs ventes s'effectuent à l'étranger. Mais comme ils réalisent entre 10  % et 15  % de productivité par an alors que le nombre de véhicules vendus n'augmente pas dans les mêmes proportions, le nombre d'emplois a plutôt tendance à diminuer.

Le deuxième phénomène est perçu comme négatif  : il s'agit des délocalisations de la production. Un investissement à l'étranger est une délocalisation quand les biens produits autrefois en France le sont désormais à l'étranger puis sont réimportés. Selon la mission interministérielle sur les mutations économiques, ces délocalisations représenteraient 10  % des investissements directs à l'étranger, soit 305  millions d'euros sur la période 1998-2002. Principaux secteurs concernés  : le cuir, le textile et l'habillement, l'électroménager et l'électronique.

TERTIARISATION DES ACTIVITÉS

Quant au troisième phénomène, il s'agit de la transformation d'emplois industriels en emplois de services quand un groupe comme Michelin, par exemple, confie la gestion de son parc informatique à une société de services spécialisés. Ce sont autant d'emplois industriels qui sont transformés en emplois de services. Les deux derniers phénomènes peuvent se conjuguer. Les sociétés de services informatiques réalisent une partie de leur activité en Asie. Il y aujourd'hui davantage d'ingénieurs en informatique à Bangalore (Inde) que dans la Silicon Valley californienne."Les sociétés de services et d'ingénierie en informatique -SSII- connaîtront un scénario de délocalisation comparable à celui des entreprises textiles", affirme Paul Hermelin, président de Cap Gemini Ernst &  Young, qui compte 600  salariés en Inde (sur un effectif total de 52  600 personnes) (Le Monde du 12  septembre 2003).

Le commerce extérieur est un assez bon reflet des forces et faiblesses de l'industrie française. Malgré un déficit de 22  milliards d'euros dans le secteur de l'énergie, en raison des importations pétrolières, la balance commerciale était excédentaire de 4  milliards d'euros en 2003. (Le Monde du 14  février). L'industrie automobile (11,7  milliards d'euros d'excédents), le secteur agroalimentaire (8,5  milliards d'excédents) et les biens d'équipement (6,5  milliards d'euros en grande partie dus à Airbus) ont permis de dégager un solde positif. Ils compensent le déficit français dans l'énergie, les biens de consommation (6  milliards de déficit, en particulier à cause des importations de textile et d'électronique) et les biens intermédiaires (2  milliards de déficit).

La France est donc loin d'être un désert industriel même si l'on assiste à deux évolutions  : une tertiarisation des activités (près des trois quarts des salariés travaillent dans les services) et une redistribution des cartes à l'intérieur même de l'industrie. Selon l'Insee, "entre  1990 et 2000, l'industrie française a retrouvé une dynamique et renforcé sa position stratégique en Europe et dans le monde. Ses exportations ont presque doublé et sa production a augmenté de 20  %. Ses investissements ont permis d'importants gains de productivité tout en assurant une reprise de l'emploi industriel. La croissance s'est focalisée sur les secteurs technologiques avancés (pharmacie, aviation, télécommunication) et sur une industrie automobile des plus dynamiques".

Le commerce extérieur doit malgré tout relativiser cette analyse. Les 4  milliards d'excédents enregistrés par la France en 2003 font pâle figure par rapport aux 130  milliards dégagés par l'Allemagne. Un chiffre qui permet d'être optimiste - la Chine ne rafle pas tous les marchés - mais contraint à faire preuve de modestie.

Frédéric Lemaître

paru dans Le monde daté du 21 février 2004


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