· LE MONDE | 22.11.02 | 09h53
· MIS A JOUR LE 22.11.02 | 12h58
L'espace proche de la Terre est une poubelle de débris
Quarante-cinq ans d'activités spatiales ont ceinturé la planète de millions d'objets, restes de satellites et de lanceurs. Des milliers, plus gros que le poing, représentent un réel danger pour les missions de demain. Au point que l'on se propose de réglementer le ciel.

En novembre 1986 , le lanceur européen Ariane faisait une entrée très remarquée dans le monde des débris spatiaux. Neuf mois après son lancement, le troisième étage de cette fusée, qui avait assuré la mise en orbite du satellite d'observation de la Terre Spot-1, explosait dans le vide en libérant plus de sept cents morceaux de la taille d'un poing. "Quelques mois plus tard, raconte Christophe Duval, chef de la division projets futurs au Centre national d'études spatiales (CNES), ces débris formaient une couronne couvrant la quasi-totalité de la Terre sur une tranche d'altitude de plusieurs centaines de kilomètres. Dix ans plus tard, une centaine tournaient encore au-dessus de nos têtes." Et, en juillet 1996, l'un d'entre eux accédait à la célébrité en brisant net un bout de l'antenne du microsatellite militaire Cerise chargé de détecter certaines catégories de sources électromagnétiques.

Cet accident fit prendre conscience au CNES et à l'Europe de la nécessité de "passiver", c'est-à-dire de rendre inerte et incapable d'exploser après usage le lanceur européen, et ce sous l'amicale pression des Américains. Des mesures furent prises et, depuis septembre 1993, aucun autre étage d'Ariane n'a explosé en orbite à ces altitudes. Heureusement devrait-on dire. Car si ce type de collision est exceptionnel, il n'est nullement exclu qu'il en aille de même dans le futur. L'espace proche de la la Terre est en effet une véritable poubelle où tournent des millions de débris issus des activités spatiales de ces quarante-cinq dernières années.

DÉFINIR UNE SORTE DE CHARTE


Tous ne présentent pas un danger, mais la récupération des panneaux solaires du télescope Hubble ou l'examen des hublots et des bords d'attaque des ailes des navettes spatiales américaines ainsi que les constats des cosmonautes russes locataires de la défunte station Mir ont apporté la preuve en maintes occasions des dégâts que de minuscules objets dérivant à des vitesses de plusieurs kilomètres par seconde pouvaient provoquer.

Aujourd'hui, à en croire les chiffres présentés par Fernand Alby, reponsable des activités débris spatiaux au CNES, en avant-première du colloque international que l'Agence spatiale européenne, le CNES et l'Académie nationale de l'air et de l'espace organisent à Toulouse les 27 et 28 novembre, quelque 9 000 objets de plus de 10 cm, dûment répertoriés par le US Space Com, tourneraient autour de la Terre. En fait, il y en aurait 10 000 - en comptant ceux produits par les missions militaires - qu'il faut éviter à tout prix. S'y ajouteraient 200 000 autres de 1 à 10 cm, et 35 millions, minuscules, d'une taille comprise entre 0,1 à 1 cm.

Peut-on continuer longtemps comme cela ? "Non", répond André Lebeau, président du colloque de Toulouse et ancien président du CNES (1995-1996). Il ne faut pas, prévient-il, que l'espace, du fait de la multiplication de ces débris, devienne dangereux pour les vols habités et la station spatiale internationale et qu'il soit, demain, inexploitable pour les satellites commerciaux", qui risqueraient du fait d'une collision avec un de ces objets d'être muets avant même d'avoir commencé à émettre. Deux zones sont à protéger à tout prix, insiste Marius Lefevre, un ancien du CNES : l'orbite géostationnaire (GEO), à 36 000 km d'altitude au-dessus de l'équateur, où croisent les satellites de télécommunications et de télévision directe ; l'orbite basse, à moins de 2 000 km (LEO), où évoluent, entre autres, les missions habitées, les satellites d'observation, et les expériences scientifiques.

Pour y parvenir, et c'est l'une des grandes questions dont le colloque de Toulouse débattra, il faut, comme le suggèrent les agences spatiales européennes, définir une sorte de charte, un "standard", qui vise d'abord à rendre inertes - par passivation - tous les lanceurs utilisés, et ensuite à dépolluer les deux zones à protéger. En permettant aux satellites géostationnaires en fin de vie de rejoindre, trois cents kilomètres plus haut, une orbite "cimetière" où ils croupiront durant des milliers d'années. En faisant en sorte aussi que l'orbite des satellites ou des objets en LEO puisse en fin de vie être abaissée de manière à ce qu'ils ne survivent pas plus de vingt-cinq ans dans l'espace.

Tout cela est bien. Mais il en va des activités spatiales comme des activités terrestres. Ne plus polluer a un coût, rappelle André Lebeau. Certes, il ne faut pas songer à dépolluer ce qui existe. C'est impossible. A la nature et aux forces de gravitation de s'acquitter de cette tâche. Mais, pour l'avenir, il serait bon, en ces périodes de dure compétition économique, où le moindre mois supplémentaire de fonctionnement d'un satellite représente un bénéfice immédiat, d'accepter de réduire la rentabilité de ces engins au profit d'une bonne gestion du déchet à venir.

Pour cela, insiste André Lebeau, il faut que se définissent des règles communes, une législation internationale contraignante pour tous. Les Américains et les Britanniques sont en avance dans ce domaine. Agences spatiales comme opérateurs de satellites. L'Europe s'y prépare aussi et participe aux travaux de l'IADC (Inter Agency Space Debris Coordination Committee), qui doit présenter ses résultats en février 2003 au comité des Nations unies chargé de l'espace. Mais il est clair que sans bonne volonté et détermination il ne se passera rien.

Jean-François Augereau
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Un risque durable


La pollution de l'espace proche de la Terre par les activités spatiales est une pollution de longue durée qui se communique à l'ensemble du ciel. La plupart des débris brûlent dans les hautes couches de l'atmosphère, comme les stations Mir, Saliout et Skylab, dont quelques morceaux sont pourtant arrivés jusqu'au sol. A 300 km d'altitude la durée de vie d'un débris est d'environ un an. A 800 km, elle est de deux siècles. Et, au-delà, la durée de vie de ces restes plus ou moins gros se compte en milliers d'années, ce qui implique de mettre un peu d'ordre dans tout ça.
· ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 23.11.02

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