Guantanamo est une base américaine à l'est de Cuba
la "Une" du monde du 21 décembre 2001
George.w Bush désigne ses nouveaux ennemis.
Le Président américain menace l'Iran, l'Irak, la Corée
du nord et les mouvements islamistes.
PRONONÇANT, mardi soir 29 janvier, 2002 devant les deux Chambres
du Congrès, le traditionnel discours sur l'état de l'Union,
George W. Bush a appelé les Américains à se préparer
à une longue guerre contre le terrorisme. Le président républicain
a désigné un ennemi double. Le premier est celui constitué
par trois régimes « hors la loi », l'Irak, l'Iran
et la Corée du Nord, qui, selon M. Bush, ont ou sont en passe d'acquérir
des armes de destruction massive. « Ces régimes représentent
un danger de plus en plus grave », et les Etats-Unis vont s'employer
à les « empêcher () de menacer l'Amérique
ou ses amis et alliés ». Si la campagne d'Afghanistan a
été gagnée, a poursuivi le président, le terrorisme
islamiste n'est, en revanche, pas défait.
« Des milliers de dangereux assassins, entraînés à
tuer de toutes les de toutes les manières, souvent soutenus par des
régimes hors la loi, sont maintenant répartis dans le monde
comme autant de bombes à retardement prêtes à exploser
sans prévenir », a affirmé le chef de l'exécutif
américain. Face à ce double danger, qui menace « le
monde civilisé », le président Bush a appelé
l'Amérique à s'armer. Le budget du Pentagone sera cette année
augmenté de 15 %, pour 366 milliards de dollars.
Le Monde 31 janvier 2002
LE MONDE 07.02.02
A propos de l"axe du mal" De G.W. Bush, Hubert Védrine,
ministre français des affaires étrangères dénonce
le "simplisme" et l'unilatéralisme "utilitaire"
des Américains
Les fortes phrases du président américain George Bush dans
son discours solennel du mardi 29 janvier à Washington ont relancé
la grogne européenne contre l'unilatéralisme américain,
débat qui avait été mis entre parenthèses après
les attentats du 11 septembre.
Après Josep Piqué, le ministre des affaires étrangères
espagnol, qui, au nom de l'Union européenne a affirmé mardi
que Bruxelles continuerait sa politique de négociations avec l'Iran,
malgré les accusations américaines contre Téhéran,
c'est Hubert Védrine qui a exprimé mercredi l'irritation française
devant le "simplisme" de la vision américaine des
réalités internationales.
Invité de l'émission Question directe de France Inter, le
ministre français a estimé que le choc du 11 septembre,
loin d'avoir changé l'approche américaine, avait au contraire
confirmé les Etats-Unis dans une pratique à laquelle il a
donné un nom - l'unilatéralisme "utilitaire"
- et une définition : une approche "unilatérale,
sans consulter les autres, à partir de leur interprétation,
de leurs intérêts.
De façon, par ailleurs, utilitaire puisqu'ils peuvent avoir
besoin de tel ou tel autre à un moment donné ; en refusant
de s'engager dans tout accord international ou négociation multilatérale
qui pourrait empiéter sur leur décision, sur leur souveraineté
et sur leur liberté d'action".
Mais autant sur le Proche-Orient que sur la mondialisation, le fossé
ne cesse de se creuser dans les relations transatlantiques, estime M. Védrine.
"Nous sommes menacés aujourd'hui d'un nouveau simplisme qui
est de ramener tous les problèmes du monde à la seule lutte
contre le terrorisme. Ce n'est pas sérieux", a-t-il dit.
"On ne peut pas accepter cette idée". L'Europe ne devrait
pas craindre de s'exprimer. "Si nous ne sommes pas d'accord avec
la politique américaine, nous devons le dire. Nous pouvons le dire
et nous devons le dire."
Interrogé sur l'augmentation du budget de la défense annoncée
lundi par George Bush, la plus forte hausse depuis Ronald Reagan, M. Védrine
a porté le diagnostic suivant : "Personne ne peut empêcher
les Américains d'augmenter de façon phénoménale
leur budget de la défense. Les républicains l'ont souvent
fait, cela correspond à des intérêts immenses. Il y
a énormément d'entreprises, d'investisseurs, de centres de
recherches qui trouvent leur intérêt dans cette impulsion très
keynésienne. C'est aussi une façon de lutter contre la récession".
Quelques heures plus tard, Colin Powell a répondu à l'irritation
européenne. Expliquant le budget de son ministère à
la Chambre des représentants à Washington, il a dit, sans
citer M. Védrine : "Cette suggestion, que vous
entendez parfois, dans les cercles intellectuels, que les Etats-Unis agissent
de manière unilatéraliste et sans consulter nos partenaires
européens, elle ne pourrait tout simplement pas être plus éloignée
de la vérité. Regardez mon agenda ; vous verrez combien
je consulte, à commencer par ce matin, très tôt le ministre
des affaires étrangères du Portugal".
En même temps, M. Powell a donné sa propre définition
du multilatéralisme : "Nous croyons au multilatéralisme.
Mais quand il s'agit d'une question de principe, et quand la communauté
multilatérale n'est pas d'accord avec nous, nous ne nous réfrénons
pas de faire ce que nous estimons juste, ce qui est dans notre intérêt,
même si certains de nos amis ne sont pas d'accord."
En déplacement à New York, le président Bush a lui
aussi rejeté les critiques. "L'histoire nous a donné
une chance de défendre la liberté et de combattre la tyrannie
et c'est exactement ce que ce pays fera", a-t-il dit devant plusieurs
centaines de policiers et de pompiers. "Certains dans le monde s'en
lasseront peut-être. Certains se fatigueront peut-être de nos
efforts pour la liberté. Mais cela ne sera pas mon cas ni celui de
notre gouvernement ni de notre pays."
Corine Lesnes
"Axe du Mal", obsession américaine
LE MONDE .10 avril 2002 . ANALYSE
Un fil rouge court tout le long de l'histoire des Etats-Unis, l'obsession
des Américains à combattre le "Mal". Le Mal ?
Tour à tour les Indiens, les Noirs, les communistes et aujourd'hui
les trois Etats que Georges W. Bush a baptisés "l'axe du
Mal" dans son discours sur l'état de l'Union le 29 janvier :
l'Irak, l'Iran et la Corée du Nord. Le président américain
aurait pu parler d'Etats totalitaires ou bellicistes. Il a préféré
un mot, le Mal (Evil), que la langue anglaise associe immédiatement
à devil (le diable). Aucun dirigeant occidental n'aurait usé
de ce vocabulaire, très caractéristique de la culture politique
américaine, nourrie, entre autres ressorts, de religion et de paranoïa.
La religion affleure constamment chez les Américains. La devise "In
God we Trust" (en Dieu nous plaçons notre confiance) figure
sur tous les dollars. Et c'est par un très classique "May
God bless you" (puisse Dieu vous bénir) que George W. Bush
a conclu son discours du 29 janvier sur l'axe du Mal.
Cette invocation constante du Créateur n'est pas surprenante chez
un peuple qui célèbre comme un événement fondateur
le débarquement, en 1620, sur la côte du cap Cod (aujourd'hui
Massachusetts), des Pères pèlerins du Mayflower. Ces
puritains de la Nouvelle-Angleterre se considéraient comme le peuple
élu de Dieu.
BON DROIT
Les siècles ont passé, mais ce messianisme des origines, cette
volonté d'opposer le "Bien" au "Mal" continuent
d'imprégner les mentalités américaines, de Woodrow
Wilson, le père de la Société des nations devenue l'ONU,
à George W. Bush, le chef autoproclamé de l'actuelle
croisade antiterroriste.
La conquête de l'Ouest, jalonnée de massacres d'Indiens, illustre
on ne peut mieux cette propension à justifier par la religion la
poursuite d'intérêts plus séculiers. Convaincus de leur
bon droit, les puritains des origines n'éprouvaient aucun remords
à spolier de leurs terres les Séminoles ou les Cherokees en
qui ils voyaient une "race maudite" gouvernée par
le diable. Les Noirs, à leur tour, ont fait les frais de cette inclination
des Blancs à se considérer, eux seuls, comme les bâtisseurs
d'une nouvelle Jérusalem. En témoigne le film le plus parlant
de l'époque du muet, Naissance d'une nation, de Griffith (1915).
Situé pendant la guerre de Sécession, il s'achève par
la réconciliation du Nord et du Sud sur le dos des Noirs présentés
comme étrangers à l'identité américaine.
Cette paranoïa, que le Robert décrit comme l'"état
de méfiance exagérée d'un individu ou d'un groupe à
l'égard de menaces réelles ou imaginaires", a trouvé
dans la guerre froide un terrain particulièrement fertile. Dans un
discours aux Communes britanniques, en 1982, le président Reagan
qualifiait l'Union soviétique d'empire du "Mal" dont
"les forces du Bien", proclamait-il, allaient inévitablement
triompher. Empire du Mal, axe du Mal, la rhétorique est restée
la même. Cette mentalité de croisés est si ancrée
chez les Américains qu'il leur arrive de s'inventer des ennemis lorsque
ceux-ci leur font défaut. Tel fut le cas du sénateur républicain
du Wisconsin Joseph McCarthy qui voyait des communistes ou des crypto-communistes
partout, de Hollywood à la haute administration américaine.
Bien sûr les journalistes, qui relayaient dans les années 1950
cette "chasse aux sorcières", n'étaient pas dupes
mais ils hésitaient à contredire publiquement McCarthy tant
son obsession du Mal était en phase avec l'opinion américaine.
Incongrus pour un Européen, les mots employés par George W. Bush
le 29 janvier parlent aux Américains au plus profond d'eux-mêmes :
la défense du "monde civilisé", le devoir
que "l'Histoire" impose à l'Amérique de combattre
l'"axe du Mal" au nom de la "liberté".
Et "W" de conclure ce jour-là que "beaucoup
[de ses compatriotes] avaient redécouvert [le 11 septembre]
la diffusion de la mémoireque même lors d'une tragédie
- surtout lors d'une tragédie - Dieu est proche". Mutatis
mutandis, ce vocabulaire est bien celui de la guerre froide, l'époque
où l'ennemi était tout désigné, une situation
à laquelle les Etats-Unis trouvaient psychologiquement leur compte.
Douze ans après la chute du mur de Berlin et l'effondrement de l'empire
soviétique, les voilà renouant avec leur culture binaire (le
Bien/le Mal), face à de nouveaux ennemis, irréprochables dans
leur rôle de "méchants": Saddam Hussein, Kim Jong-il
et les ayatollahs de Téhéran. En faisant sienne cette thématique,
George W. Bush entend préparer ses concitoyens à une
attaque contre l'Irak, accusé de détenir des armes biologiques
et chimiques prêtes à servir. Aux mains de Saddam Hussein,
les armes du Diable.
Bertrand Le Gendre
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