"LE MONDE" 29 AOÛT 2002
Les affrontements quotidiens entre Bagdad et les avions américains
et britanniques semblent s'intensifier dans les zones d'exclusion aérienne
au nord et au sud de l'Irak, sur fond de menaces américaines de lancer
une attaque d'envergure pour renverser Saddam Hussein.
Selon Bagdad, huit Irakiens ont été tués dimanche
et neuf autres blessés dans des bombardements américains
et britanniques contre des "installations civiles" à
Bassorah, dans le sud du pays, le plus lourd bilan pour un raid depuis
le 10 septembre 2001. Selon le autorités irakiennes, mardi, des avions
de combat américains et britanniques ont tiré deux missiles
sur l'aéroport de Mossoul, à 400 km au nord de Bagdad, détruisant
son système radar. Iraqi Airways avait en effet repris ses vols
Bagdad-Mossoul depuis novembre 2000.
Les raids signalés par le porte-parole militaire irakien dans ses
communiqués quasi quotidiens visent toujours des "objectifs
civils", alors que l'armée américaine parle d'"installations
militaires" ou de "ripostes à des provocations irakiennes".
Ainsi, le porte-parole du Pentagone a affirmé que le raid contre
l'aéroport de Mossoul était dirigé contre un système
radar militaire, la dixième installation de ce type visée
selon lui depuis le début de l'année. "Il y a eu 54
provocations de la part des Irakiens" dans la zone d'exclusion
nord cette année, a-t-il ajouté.
D' ailleurs des diplomates en poste à Bagdad qui suivent attentivement
les communiqués militaires irakiens ont relevé depuis le mois
de juin une hausse très importante du nombre de survols quotidiens
américains et britanniques dans le sud de l'Irak. "Ils ont
été multipliés par deux, voire trois, par rapport aux
mois précédents. Nous avons aussi noté que Bagdad indique
que les chasseurs viennent du Koweït, mais ne mentionne pratiquement
plus de vols en provenance d'Arabie", souligne l'un de ces diplomates.
Les diplomates relèvent en outre que l'Irak tire fréquemment
depuis plusieurs mois des missiles sol-air pour repousser ces avions, alors
qu'il ne faisait état par le passé que de tirs de DCA.
"GUERRE D'USURE"
Cette "guerre d'usure", selon le terme d'un diplomate,
se poursuit de plus belle dans les zones d'exclusion, tandis que les
menaces américaines de renverser le régime du président
Saddam Hussein par la force se précisent. Le vice-président
américain Dick Cheney a ainsi clairement appelé lundi à
une attaque "préventive" contre Saddam Hussein,
estimant que "les risques de l'inaction sont plus grands que ceux
de l'action". Les zones d'exclusion aérienne ont été
instaurées par les Alliés après la guerre du Golfe
pour protéger, selon eux, la population chiite dans le sud et la
population kurde dans le nord de l'Irak. Bagdad ne reconnaît
pas ces zones et affirme que quelque 1 500 Irakiens y ont été
tués dans des raids depuis 1991.
Les réserves sur une intervention américaine en Irak se
multiplient
Chaque jour de nouvelles voix s'élèvent pour s'opposer
à une intervention militaire contre Bagdad. Jeudi, le Pakistan, qui
soutient les Etats-Unis, les a mis en garde contre les dangers
d'une éventuelle attaque contre l'Irak. Islamabad continue de soutenir
la guerre contre le terrorisme de M. Bush, a assuré le président
Pervez Moucharraf dans un entretien diffusé jeudi par la BBC (radio).
Mais "nous avons (déjà) trop à faire
dans cette région pour nous impliquer dans autre chose, spécialement
quand on est bien conscient (qu'une telle attaque) aurait des répercussions
très négatives dans le monde islamique, a-t-il ajouté.
Je pense que cela aliénerait encore plus le monde islamique,
a-t-il poursuivi. Les musulmans ont le sentiment d'être les victimes
partout dans le monde, a noté le président pakistanais, il
y a donc un sentiment d'aliénation" chez eux.
(...)
M. CHIRAC : UNE ÉVOLUTION "INQUIÉTANTE"
Vendredi, l'Irak sera au menu de la réunion des ministres des affaires
étrangères de l'Union européenne au Danemark. Dès
jeudi, le ministre allemand des finances, Hans Eichel, a laissé entendre
qu'un conflit en Irak entraînerait une hausse du prix du pétrole,
qui pourrait freiner la croissance en Allemagne et du même coup creuser
son déficit public.
Jacques Chirac a condamné pour sa part toute action militaire
"unilatérale et préventive" des Etats-Unis
contre l'Irak, affirmant que cette décision appartenait au Conseil
de sécurité de l'ONU si Bagdad refusait le retour "sans
condition" des inspecteurs en désarmement. "On voit
poindre la tentation de légitimer l'usage unilatéral et préventif
de la force", a dit M. Chirac. "Cette évolution
est inquiétante", a-t-il ajouté devant les ambassadeurs
de France réunis à l'Elysée à l'occasion de
leur conférence annuelle. "Si Bagdad s'obstine à refuser
le retour sans condition des inspecteurs (en désarmement),
il faudra alors que le Conseil de sécurité, et lui seul, soit
en mesure de décider des mesures à prendre", a encore affirmé
M. Chirac.
(...)
Bagdad a appelé jeudi les pays arabes à revoir leurs relations
avec les Etats-Unis pour les amener à renoncer à leur "complot"."
Les pays arabes doivent bien réaliser les conséquences
de ce complot et agir en conséquence, en reconsidérant l'ensemble
de leurs relations avec l'administration américaine", écrit
le quotidien As-Saoura, organe du Parti Baas au pouvoir. La Turquie,
l'Arabie saoudite, la Syrie et Bahrein ont tous exprimé mercredi
leur opposition à une intervention américaine. Le ministre
irakien des affaires étrangères, Naji Sabri, a quitté
la Chine jeudi, après avoir reçu l'assurance que Pékin
s'opposerait à une action militaire américaine contre le régime
de Saddam Hussein. La tournée de M. Sabri, qui devrait se rendre
en Russie après la Chine, vise avant tout à assurer que ces
deux pays, membres permanents du Conseil de sécurité, ne voteront
pas de résolution belliqueuse contre l'Irak.
Avec AFP et Reuters
Le président G.W.Bush avec le secrétaire d'État,
Colin Powell
(© AFP Luke Frazza)
dessin de Plantu paru dans "Le Monde" du 6 septembre 2002
George Bush va demander l'accord du Congrès sur l'Irak
· LE MONDE 05 SEPTEMBRE 2002
·
Washington de notre correspondant
Aux responsables parlementaires, républicains et démocrates,
invités à la Maison Blanche mercredi 4 septembre, George
Bush a annoncé qu'il demandera au Congrès d'approuver sa politique
face à la "menace sérieuse" que représente
Saddam Hussein "pour les Etats-Unis" et "pour le
monde". (...)
"Je me prépare à décider de la façon
dont il faut s'y prendre", indique le président, ajoutant
qu'il considère le débat et la discussion comme "bienvenus".
Répétant que, face à la menace que représente
aujourd'hui l'Irak, l'inaction "n'est pas une option",
il précise qu'il sollicitera "le soutien" du Congrès
pour "faire tout ce qui est nécessaire". Autrement
dit, la décision d'agir militairement n'est pas encore prise, du
moins officiellement, et il n'est pas sûr qu'elle le soit avant que
le Congrès ne soit appelé à voter. Une offensive militaire
pourrait donc ne figurer que comme une option dans la résolution
soumise aux parlementaires ou, même, ne pas être du tout mentionnée,
puisque M. Bush et ses conseillers maintiennent la position traditionnelle
de la présidence, selon laquelle le "commandant en chef"
n'a pas besoin de l'autorisation du Congrès pour faire la guerre.
(...)
Patrick Jarreau
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