"La presse écrite restait le principal moyen d'information
et tirait à plus de 10 000 000 d'exemplaires. Affichant sur les murs
le budget quotidien nécessaire pour l'ouvrier, la CGT y incluait
l'achat d'un journal le matin et d'un le soir. La presse parisienne.
dont le tirage dépassait de peu celui de la provinciale était
diffusée partout, surtout Paris-Soir. Ses tirages ont augmenté
continuellement de 1930 à 1938; alors intervint une hausse des prix
qui les fit baisser. Le grand nombre des titres témoignait de la
résistance à la concentration. D'ailleurs, techniquement,
sauf Paris-Soir, la presse française avait du retard. Mais elle était
prospère puisque, en pleine crise, les grands journaux modernisèrent
souvent leurs ateliers.
Les journaux parisiens de droite l'emportaient de beaucoup, car la grande
presse, dite d'information, était, surtout, depuis février
1934, de plus en plus engagée contre la gauche. En province,
radicaux et socialistes étaient beaucoup mieux représentés.
Les tirages de la presse d'idées, d'information économique,
étaient extrêmement faibles, et en raison inverse de la qualité.
Mais alors il était possible qu'un journal vive avec peu de lecteurs
et peu d'argent.
Les idéologies extrêmes étaient le mieux diffusées;
le maurrassisme, non par l'Action française, mais par Candide, le
communisme par une presse devenue très prospère après
les batailles difficiles menées par les CDH (comités de défense,
de l'Humanité) entre 1929 et 1935.
En province, à côté des grands journaux régionaux
existait une presse départementale. La Dépêche d'Eure-et-Loir.
(droite) tire à 30 000, l'indépendant d'Eure-et-Loir (gauche)
à 10 000. (Le département vote quand même à gauche.)
On trouve même des journaux qui couvrent un arrondissement : le Nouvelliste
de Châteaudun, ou un canton : le Messager de Bonneval ou le Journal
de Brou, lequel, survivant à la guerre, existe encore trente ans
plus tard.
La faiblesse économique apparente était malsaine. Bien des
journaux ne vivaient que de subventions occultes, venant des fonds secrets
du gouvernement, des banques, de l'Union des intérêts économiques
et autres organisations patronales, des dictatures étrangères,
des escrocs parfois. Même la grande presse était dépendante
par l'intermédiaire de l'agence Havas, régente de la publicité.
Vénale, partiale, antiparlementaire et xénophobe dans sa
majorité, la presse distribuait une information nocive. Les hebdomadaires
de droite à grand tirage étaient marqués par une violence
de ton irresponsable allant jusqu'à la provocation à l'assassinat.
Mais Béraud ou Maurras n'étaient pas plus agressifs que jadis
Rochefort ou Cassagnac. Pour ces raisons, la loi de janvier 1936 correctionnalisa
l'appel au meurtre. Le Front populaire échoua dans sa tentative de
moraliser les journaux, en raison de la résistance de la grande presse
et du Sénat.
En revanche, le niveau littéraire et le contenu intellectuel de la
presse se sont souvent relevés entre les deux guerres et surtout
après 1930, grâce à la qualité des grands reporters
: Albert Londres, Louis Roubaud, Édouard Helsey, Andrée Viollis,
Jacques Viot, et au passage dans le journalisme d'écrivains importants
: André Salmon, Joseph Kessel, Pierre Mac Orlan, Saint-Exupéry,
etc.
Une presse naquit pendant la période, nouvelle par les techniques
ou les ambitions. "Vu" fondé en 1928 par Vogel est le premier
grand illustré à reportages photographiques; les numéros
sur l'Union soviétique et sur les États-Unis furent des événements.
"Lu" donnait depuis 1931 une revue mensuelle de la presse mondiale.
La « presse du coeur » apparut vraiment avec"Marie-Claire"
de Marcelle Auclair et Pierre Bost en 1937, son tirage frisait le million
et suscita des imitations. A un niveau plus bas se situaient "Confessions"
de Kessel et "Confidences".
La presse enfantine évolua vite, celle qui était née
aux alentours de la guerre de 1914 disparut avant celle de 1939 supplantée
par le "Journal de Mickey" et les publications Del Duca.
Les nouveaux moyens d'information ne concurrençaient pas encore vraiment
les journaux. Alors que, de nos jours, la radio-télévision
les devance, les actualités cinématographiques de l'époque
les suivaient avec, retard et n'étaient qu'une simple illustration.
Il est vrai que la radiodiffusion s'est beaucoup développée.
On passe de 500 000 récepteurs en 1930 à 5500000 en 1939.
Aux mains de l'État, ou de postes privés appartenant aux grands
journaux, la TSF fut utilisée par Tardieu en 1932, puis par Doumergue
en 1934; c'est en 1936 qu'elle joua pour la première fois un grand
rôle dans une campagne électorale, en donnant la parole à
tous les partis. Comme de plus en plus dans la presse écrite, le
reportage sportif ("le Parleur inconnu") y tint une place très
importante."
I. Titres parisiens d'information
Paris-Soir (soir) 1750000
Le Petit Parisien 1000000
Le Journal 410 000 (promussolinien)
Le Matin 310 000 (prohitlérien)
L'Intransigeant (soir) 135 000 (droite)
Excelsior 30 000 (très illustré - mondain)
Paris-Midi 100000
Le Temps (soir) 70 000 (Comité des forges)
L'Information (soir) 50000
Le Journal des débats (soir) 35 000 (De Wendel - Cie de Suez)
II. Principaux titres provinciaux
L'Ouest-Éclair 350 000 (démocrate-chrétien)
La Petite Gironde 325 000 (radical)
L'Écho du Nord 300000
La Dépêche de Toulouse 260 000 (radical)
Le Progrès de Lyon 220 000 (radical)
Le Réveil du Nord 200 000 (socialiste)
Le Petit Dauphinois 200 000 (gauche)
La France de Bordeaux 150000
Le Petit Marseillais 150000
Les Dernières Nouvelles de Strasbourg 150000
III. Quelques titres politiques Parisiens
L'Humanité 340 000 (PCF)
Ce soir (soir) 260 000 (communiste)
L'OEuvre 235 000 (radical et socialisant)
Le Jour-Écho de Paris 185 000 (droite catholique)
Le Petit Journal 180 000 (PSF - La Rocque)
Le Populaire 160 000 (SFIO)
La Croix 140 000 (catholique)
L'Époque (fondée en 1937) 70 000 (droite antihitlérienne
- Kérillis)
L'Action française 45 000 (monarchiste)
Le Peuple 16 000 (CGT)
La Liberté (soir) 15 000 (Doriot- PSF)
L'Aube 14 000 (catholique démocrate)
IV.Grands hebdomadaires (estimations)
Gringoire (1928) 650 000 (maximum) profasciste-antisémite
Le Pèlerin (1873, mensuel) 550 000 (catholique)
Candide (1924) 500 000 (maximum) maurrassien (proche de l'Action française)
Ric et Rac (1929) 340 000 (évasion)
Détective (1928) 250 000 (évasion)
Regards (1932) 100 000 (communistes)
Je suis partout (1930) 100 000 (maximum) prohitlérien
Marianne (1932) 60 000 (gauche modérée)
Vendredi (1935) 100 000 (maximum) Front populaire
Le Canard enchaîné 275 000 (85 000 en 1929) gauche anticommuniste