Trente ans après, « les conséquences de laguerre chimique menée par les Etats-Unis sont toujours et partout
visibles », explique Mme Nguyen Xuân Phuong, une
Vietnamienne d'une cinquantaine d'années, responsable en France d'un
projet d'aide aux enfants victimes des produits toxiques largués
sur les forêts et les champs du Vietnam. on voit encore dans les rues
des villes et dans les campagnes des gens mutilés - sans jambes,
sans bras, aveugles, des corps tordus. Ces problèmes sont en grande
partie liés aux défoliants utilisés dans les opérations
militaires souvent qualifiées de « plus grande guerre
écologique de l'histoire de l'humanité ».
Le but stratégique de ces opérations de « défoliage »
était de priver les guérillas vietnamiennes de leurs sources
de nourriture et de protéger les envahisseurs américains contre
leurs attaques. C'est la raison pour laquelle les énormes épandages
de ces poisons ont été concentrés dans les zones autour
des bases américaines et des aérodromes ainsi qu'à
proximité des routes terrestres et fluviales. Une des cibles principales
a été la fameuse piste Hô Chi Minh par laquelle munitions
et armes ont été régulièrement acheminées
du nord vers le sud du Vietnam.
En octobre 1980, une commission officielle (1) a été créée
à Hô Chi Minh-Ville (ex-Saïgon) pour en étudier
les conséquences. Elle a pu identifier toute une série de
maladies et de symptômes provoqués par ces herbicides qui détruisent
des plantes mais aussi la vie et la santé des habitants, en provoquant
cancer des poumons et de la prostate, maladies de la peau, du cerveau et
des systèmes nerveux, respiratoire et circulatoire, cécité,
diverses anomalies à la naissance... Selon la Croix-Rouge vietnamienne,
beaucoup de ces maux sont dus à l'action chimique du défoliant,
appelé l'« agent orange » parce que l'armée
américaine l'avait stocké dans des tonneaux marqués
d'orange (2). Ses effets destructeurs viennent en grande partie de son composant
principal, la dioxine, l'un des produits toxiques les plus puissants, qui
perturbe les fonctions hormonales, immunitaires et reproductives de l'organisme.
Ces opérations de guerre chimique, qui débutèrent en
1961 avec le feu vert du président John Kennedy, furent progressivement
intensifiées jusqu'à atteindre leur zénith en 1965,
avant de diminuer et finalement cesser en 1971, à la suite de nombreuses
protestations dans le monde et aux Etats-Unis même, de la part de
scientifiques, d'un certain nombre de parlementaires et surtout d'anciens
combattants américains.
Les dégâts sont considérables. Le Service secret interallié
pour le Vietnam (Combined Intelligence Center for Vietnam - CICV (3) estime
qu'après cinq ans d'épandages constants, les récoltes
détruites par l'agent orange, largué par avions et hélicoptères,
auraient pu nourrir 245 000 personnes pendant une année entière.
Selon l'Unesco (Le Courrier de l'Unesco, mai 2000), un cinquième
des forêts sud-vietnamiennes a ainsi été détruit
chimiquement (4).
Les herbicides utilisés dans ces offensives ont été
fournis à l'armée américaine pour l'essentiel par quelques
grosses entreprises : en tête, Dow Chemical - une des plus puissantes
entreprises américaines de ce type -, suivie entre autres de
Thompson, Diamond, Monsanto, Hercules, Uniroyal. C'est contre ces firmes
- et non contre le gouvernement américain - que plus tard, en 1984,
des organisations d'anciens combattants américains ont décidé
d'entamer des poursuites judiciaires afin de réclamer et obtenir
des réparations financières pour les maladies contractées
à la suite de leur exposition à cet agent orange. En effet,
la législation américaine interdit formellement des procès
contre le gouvernement pour des actes commis au cours des opérations
militaires.
Paradoxalement, les possibilités d'action juridique de ces anciens
combattants ont été renforcées par l'intervention de
l'amiral Elmo Zumwal, celui-là même qui avait donné
l'ordre aux forces navales des Etats-Unis d'avoir recours à cet herbicide
sur une grande échelle. Après avoir observé l'efficacité
militaire du produit, l'amiral a dû en constater les effets sur ses
troupes et même sur sa propre famille. En effet, l'enfant de son fils
est né avec de graves déficiences physiques et mentales ;
le capitaine lui-même est mort très jeune d'un cancer dû
à ce poison.
Les Etats-Unis - après beaucoup d'hésitations et d'atermoiements
- ont fini par reconnaître l'existence d'un lien entre l'agent orange
et les symptômes dont souffrent les anciens combattants américains :
cécité, diabète, cancer de la prostate et des poumons,
malformation des bras et des jambes, entre autres.
En mai 1984, juste avant le jour du procès, les firmes en accusation
ont décidé d'obtenir un règlement à l'amiable,
en payant 180 millions de dollars à un compte en banque qui deviendrait
le fonds de compensation des anciens combattants souffrant de la dioxine.
Ainsi, sur quelque 68 000 plaignants, près de 40 000 ont
reçu des paiements, allant de 256 à 12 800 dollars selon
la gravité des cas. En revanche, aucune des centaines de milliers
de victimes vietnamiennes n'a reçu un centime d'indemnisation.
C'est dire l'intérêt du projet « Vietnam, les enfants
de la dioxine », que Mme Nguyen Xuân Phuong a mis sur
pied à Paris en liaison avec les autorités vietnamiennes (5).
Parmi les activités ainsi lancées figure, par exemple, un
système de parrainage par lequel on peut, à titre individuel,
consacrer une certaine somme - selon ses moyens et ses motivations - au
maintien physique et moral d'une famille vietnamienne. Cette association
recueille aussi des fonds pour la création de centres médicaux
destinés au traitement des maladies provoquées par l'agent
orange, ainsi qu'à la recherche afin de mieux comprendre la nature
de ces maladies et de mettre au point des moyens de guérison.
(1) Le Comité national d'investigation des conséquences de
la guerre chimique au Vietnam, dit « comité 10-80 ».
Il a travaillé avec des instituts et des universités vietnamiens
ainsi qu'avec des scientifiques étrangers.
(2) Lire le Pr Le Cao Dai, L'Agent orange dans la guerre du Vietnam :
historique et conséquences, traduit de l'anglais par le docteur
Jean Meynard, disponible auprès de l'association Vietnam, les enfants
de la dioxine, tél. : 01-40-56- 72-06.
(3) Le CICV était un service de renseignement américain basé
au Vietnam.
(4) InLe Courrier de l'Unesco, Paris, mai 2000.
(5) Vietnam, les enfants de la dioxine, 7, square Dunois, apt 1021, 75013
Paris. L'association a été créée en mai 2001,
lors de la visite en France de Mme Nguyen Thi Binh, vice-présidente
du Vietnam.