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Les multinationales dans l'histoire

Les multinationales existent depuis le Moyen Age. Ainsi, au XlVe siècle, 1"entreprise Peruzzi faisait du commerce dans toute l'Europe, importait du tissu des Flandres et fabriquait des vêtements dans sa ville d"origine, Florence. Entre le XVIE et le XVIlle, les grandes compagnies commerciales, comme la Compagnie des Indes, s'appuyaient sur les empires coloniaux britannique et hollandais pour développer, au niveau mondial, des activités de commerce, mais aussi de production. Au XIXE siècle, les investissements directs à 1"étranger (IDE) ont d'abord permis le développement de la finance et l'exploitation des ressources nécessaires au développement des pays industrialisés (matières premières, mines et agriculture comptaient pour 55 % du stock mondial D'IDE en 1914) et dans la finance. Les firmes britanniques étaient à l'origine de près de la moitié des investissements, devant les Etats-Unis (20%) ainsi que quelques autres pays européens (France, Allemagne, Suède). Les investissements étaient concentrés sur une douzaine de territoires (Etats-Unis, RUssie, Canada, Autriche-Hongrie ...)
Après la Première Guerre mondiale, les IDE ont rapidement recommencé à croître : en 1938, le stock mondial était 50 % plus élevé en volume qu'en 1914. I'entre-deux-guerres a vu également un développement important des cartels. Après le second conflit mondial, seules les firmes américaines tirent 1'investissement étranger, dont le poids économique chute. Il faudra attendre la seconde moitié des années 80 pour que les firmes européennes et japonaises s'engagent sérieusement dans des stratégies transfrontalières.

Les multinationales aujourd'hui

Plus de 60 000 firmes multinationales aujourd'hui, contre 7 000 à la fin des années 60. Le nombre d'entreprises dont l'activité s'étend au-delà des frontières s'est accru de manière exponentielle au cours des trois dernières décennies. Le phénomène n'est pas nouveau, mais il prend aujourd'hui une dimension sans précédent.
Les entreprises ont d'abord cherché à exporter leurs produits à partir de leur base nationale. Les grandes firmes américaines ont ainsi profité de leur position dominante après la Seconde Guerre mondiale pour accroître massivement leurs ventes à l'étranger. Face aux obstacles mis par les Etats (barrières douanières ou réglementations), les entreprises ont commencé à s'installer sur place, afin d'accéder aux marchés. Là encore, les multinationales américaines ont été les premières à développer massivement leurs investissements à l'étranger, notamment en Europe.
A partir des années 80, un nombre croissant d'entreprises commencent à s'organiser au niveau mondial. Elles installent les différentes étapes de leur chaîne de production dans diverses régions du monde, en fonction de leur perception de la compétitivité ou des ressources des différents territoires. Cette « multilocalisation », qui permet de prendre le meilleur de chaque territoire tout en accédant aux différents marchés, s'accompagne bien souvent d'une centralisation de certaines fonctions stratégiques, telles que la recherche et développement ou la finance (la libre circulation des capitaux permet de gérer la trésorerie et la finance de manière globale). Il n'existe cependant pas de modèle unique, mais une grande diversité en fonction des secteurs.

Le fantasme d'une World Company

La progression de l'internationalisation productive des firmes est spectaculaire. Les ventes réalisées par des filiales à l'étranger ont dépassé le volume du commerce international à partir du milieu des années 80. Elles en représentent aujourd'hui presque le double: 13 500 milliards de dollars, contre 6 900 milliards. Les multinationales produisent 10 % du PIB mondial et contrôlent les deux tiers du commerce mondial. Les fusions-acquisitions internationales explosent (1 223 milliards de dollars en 2000) et le stock des investissements directs à l'étranger représente désormais plus de 16 % du PIB mondial, un niveau jamais atteint auparavant. Enfin, sous l'effet du double mouvement de déregulation et de privatisation, les services financiers et les entreprises de réseau (télécoms, énergie, transport) sont en train de s'internationaliser rapidement.
Ces chiffres impressionnants ont nourri le fantasme d'une World Company, multinationale apatride qui n'aurait plus aucun lien avec les territoires. Cette image ne correspond pas à 1a réalité. L'immense majorité des firmes multinationales conservent en effet des relations étroites avec leurs pays d'origine. En moyenne, les firmes multinationales réalisent encore plus de la moitié de leurs ventes totales dans leur nation d'origine. Mais cette proportion tend à diminuer: de 5 7 % en 1993, elle est passée à 50 % en 1998, pour les cent premières multinationales, selon la Cnuced. Logique : c'est parce qu'elles disposaient d'un large marché intérieur que les firmes américaines oujaponaises ont pu atteindre la taille permettant de supporter les coûts liés à la conquête de marchés- externes.
L'expansion internationale des firmes ne les empêche pas de continuer à utiliser à l'étranger les fournisseurs avec lesquels elles travaillent dans leur pays d'origine. Bien des multinationales ont ainsi permis à leurs sous-traitants de s'intemationaliser à leur tour, dans la foulée de leur propre expansion.

Des multinationales bien nationales

La très grande majorité des multinationales concentrent leurs activités stratégiques d'innovation et de recherche sur leur territoire d'origine. En 1996, les trois quarts des brevets déposés en Europe l'ont été dans le pays d'origine des firmes, souligne un rapport du Commissariat au général du Plan (voir « Pour en savoir plus », page 37), qui remarque que 2000 des 2500 chercheurs d'IBM sont basés aux Etats-Unis. Les risques d'imiitation et de divulgation des connaissances, ainsi que la nécessité de lier la recherche aux stratégies productives et commerciales de l'entreprise imposent de conserver ces activités près des centres de direction, lesquels restent implantés dans les territoires d 'origine des firmes.
Enfin, dans le domaine du management et du capital, on peut noter, là aussi, que les firmes multinationales demeurent bien... nationales. D'une part, les hauts dirigeants des entreprises, sauf exception, restent très largement issus de la nation d'origine de la firme ; la difficulté de faire travailler efficacement des équipes issues de cultures différentes est d'ailleurs une des raisons de l'échec de bien des fusions-acquisitions. D'autre part, les fonds propres des entreprises proviennent très majoritairement des marchés financiers nationaux d'origine. Seules quelques entreprises se financent de manière mondiale, et encore ce financement international ne représente-t-il qu'une part minime de leur capital.
Cet, ancrage national n'empêche pas les firmes de mettre en concurrence les territoires où elles s'implantent, afin d'obtenir des subventions ou des exemptions fiscales. De même, les directions mettent bien souvent leurs usines en concurrence, de manière à faire pression sur les salariés. Des stratégies d'autant plus aisées à mettre en oeuvre que les relations sociales demeurent très majoritairement organisées dans un cadre national et qu'il est donc bien difficile, pour les organisations syndicales, d'établir des rapports de force au niveau international. La situation devrait évoluer avec la création de comités de groupe au niveau européen, désormais obligatoires. Ils permettront aux syndicats de disposer d'informations à un niveau plus pertinent. Reste que les firmes ont clairement une longueur d'avance.


Les pays riches, premiers bénéficiaires

La capacité des multinationales à mettre en concurrence hommes et terrïtoires se trouve toutefois limitée par la nécessité dans laquelle elles sont de produire là où existent les ressources en main-d'oeuvre quàlifiée, les réseaux de fournisseurs et les structures. Leur développement international se fait donc d'abord en direction des autres pays industrialisés. C'est en effet là que se trouvent les ressources permettant de produire de nombreux biens dans les meilleures conditions de coûts et de qualité. C'est là aussi que se trouvent les plus vastes marchés. Résultat : les pays les plus riches ont reçu 80 % des quelque 1 1 00 milliards de dollars d'investissements directs à 1'étranger réalisés en 2000. Ces investissements représentent une part croissante de l'investissement total dans les pays riches 10,9 % en 1998, contre 2,3 % en 1980 (respectivement 16,6 % et 8,5 % pour le seul secteur manufacturier).
Il s'agit, soit de créations de nouvelles entreprises, soit, de plus en plus, de rachats ou de prises de participation dans le capital d'entreprises déjà existantes, ce qui permet de mettre la main sur des réseaux de distribution et d'accéder plus aisément au marché local. Aux Etats-Unis, premier pays cible des investisseurs étrangers (1). Près des deux tiers des investissements sont réalisés sous la forme d'acquisitions internationales, le reste par des créations d'entreprises. Mais le boom des fusions-acquisitions traduit aussi l'accélération du mouvement de concentration, désormais engagé à l'échelle mondiale, sur un marché où les nonnes industrielles et les modes de consommation tendent à s'unifier de plus en plus. Un mouvement qui touche largement les services, notamment la finance. Les fusions-aquisitions à dimension internationale représentent environ 30 % du total mondial. Elles progressent rapidement depuis le début des années 90: de 0,5 % à 2,5 % du PIB mondial entre 1987 et aujourd'hui (2).
Cette progression reflète le combat, que se livrent les multinationales, mais aussi, à travers elles, les capitalismes nationaux pour la domination des marchés mondiaux. Un monde sans pitié : affaiblies par la crise financière de 1997, de nombreuses firmes des nouveaux pays industrialisés d'Asie ont été contraintes d'accepter les offres de rachat d'entreprises américaines, japonaises ou européennes, qui attendaient cette opportunité pour pénétrer leurs marchés intérieurs, souvent très protégés. Les acquisitions internationales en Indonésie, Malaisie, Corée du Sud, Philippines et Thaïlande sont ainsi passées de 2,5 milliards de dollars en 1996 à 14,7 milliards en 1999, en particulier dans les secteurs de la finance et de l'électronique.

(1) Les firmes européennes, notamment, ont accru leurs investissements aux Etats-Unis ces dernières années.
(2) Le poids des fusions-acquisitiohs Nord-Nord dans l'investissement direct à l'étranger conduit à minimiser l'importance de l'investissement en direction des pays émergents, dont l'effet structurel ne doit pas être sous-estimé, dans la mesure où il se traduit plus souvent par le développement de nouvelles capacités de production.

article paru dans "Alternative économiques" février 2001