Nasser 1918-1970
Né dans une famille paysanne pauvre, il devient officier après
avoir suivi l'Académie militaire du Caire. Fonde en 1942 le mouvement
clandestin des officiers patriotes pour lutter contre la domination anglaise.
Blessé lors du premier conflit israélo-arabe en 1948, humilié
par la défaite, il est convaincu que seul un changement de régime
peut redresser l'Égypte et organise le soulèvement des officiers
libres qui mène le coup d'État renversant la monarchie
en 1952. Il devient rapidement le véritable maître du pays
et un des leaders de la décolonisation lors de la conférence
de Bandoung en 1955.
Pour financer la construction du barrage d'Assouan, il nationalise le canal
de Suez en 1956, ce qui entraîna l'invasion anglaise, française
et israélienne. Mais, la pression soviétique et américaine
contraignit les envahisseurs au repli. Au sein du monde arabe, il défend
la doctrine du panarabisme et tente de réunir l'Égypte et
la Syrie en une République arabe unie (1958-1961). Au Yémen,
il apporte son appui au parti républicain durant la guerre civile
(1962). Malgré sa défaite contre Israël (juin 1967),
il reste au pouvoir jusqu'à sa mort en 1970. Ses obsèques
donneront lieu à de massives démonstrations d'attachement
à sa personne. Il reste considéré comme le fondateur
de l'Egypte moderne.
«Nous reprendrons tous nos droits, car tous ces fonds sont les
nôtres, et ce canal est la propriété de l'Egypte. La
Compagnie est une société anonyme égyptienne et le
canal a été creuse par 120 000 Egyptiens, qui ont trouvé
la mort durant l'exécution des travaux.
En quatre ans, nous avons senti que nous sommes devenus plus forts et plus
courageux et, comme nous avons pu détrôner le roi le 26 juillet
(1952), le même jour nous nationalisons la Compagnie du canal de Suez.
Nous réalisons ainsi une partie de nos aspirations et nous commençons
la construction d'un pays sain et fort. Aucune souveraineté n'existera
en Egypte à part celle du peuple d'Egypte. Nous sommes aujourd'hui
libres et indépendants.»
Gamal Abdel Nasser, Discours d'Alexandrie,
in "Journal d'Égypte", 27 juillet 1956.
Relevez dans le texte les verbes et expressions qui prouvent la volonté
d'indépendance du dirigeant égyptien.
Comment Nasser justifie-t-il la nationalisation du canal de Suez ?
Rappelez l'événement passé auquel il est fait allusion.
La crise de Suez
Avec le recul, la crise de Suez apparaît comme l'un des plus grands
événements de l'Histoire: elle marque l'avènement du
Tiers Monde comme partenaire privilégié des deux «Grands
» sur l'échiquier international.
Simple opération " punitive " au départ, en apparence
réponse à la nationalisation du canai de Suez par le colonel
Nasser, elle est devenue simultanément un alibi et un enjeu qui ont
dépassé la capacité des protagonistes à les
maîtriser. Pour les Anglais, premiers visés - ce qu'on a fini
par oublier - il s'agissait de maintenir leur prestige et leur présence
dans le Monde arabe en renversant Nasser que la nationalisation dotait d'une
popularité inégalée. Pour les Français, qui
affectèrent d'être humiliés, il s'agissait essentiellement
de frapper Nasser pour mettre fin à l'insurrection algérienne,
pour autant que le gouvernement de l'époque (Guy Mollet, Lacoste,
Bourgès-Maunoury) s'imaginait que, sans Nasser, I'insurrection algérienne
perdrait sa raison d'être. Pour Israël, l'occasion paraissait
bonne de stopper la montée en puissance de l'Égypte (due aux
armements massifs en provenance de l'Est) qui, à terme, menaçait
l'indépendance de la patrie. Pour Nasser enfin, cette opération
de la nationalisation devait assurer l'avenir économique du pays
et affirmer insolemment sa liberté aux puissances ex-coloniales,
aux États-Unis aussi.
Or, contre toute attente, loin de se solidariser avec la France et l'Angleterre,
et malgré l'affront, Foster Dulles et les Américains sabotèrent
sciemment l'expédition de Suez, tout en affectant de se solidariser
avec leurs alliés. Plus : lorsque l'URSS menaça de représailles
les forces franco-anglo-israéliennes intervenues sur le Canal, Washington
se joignit à Moscou pour mettre fin à l'expédition.
Subitement, il apparaissait qu'en dépit des apparences, les deux
Grands étaient solidaires pour réduire la France et l'Angleterre
au statut de puissances coloniales déchues, pour prendre leur relève.
Il apparaissait aussi qu'avec cette victoire de Nasser, ainsi sauvé,
entre l'Ouest et l'Est naissait un monde nouveau, animé par les Arabes,
qui prétendait à la souveraineté et à une identité
qui lui serait propre.
Marc Ferro in "1956 : La crise de Suez" La Documentation
Française 1986