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Manoeuvres en mer Noire

"Un navire militaire américain en manoeuvre | GammaDes manuvres de l'OTAN en terre ex-soviétique Hier encore, un tel événement aurait mis le monde en émoi. Depuis la chute de l'URSS et le Partenariat pour la paix*, les opérations de l'Alliance atlantique se multiplient à l'intérieur de territoires qui lui étaient autrefois interdits. Après l'Ukraine en 2000 et les Pays baltes du 1er au 18 juin 2001, c'est au tour de la Géorgie d'accueillir l'opération Cooperative Partners ­p; du 11 au 22 juin. Au port de Poti sur la mer Noire, stationneront 4 000 hommes et 34 navires de guerre.
Quatre pays membres de l'Alliance ­p; les Etats-Unis, la France, la Grèce, la Turquie ­p; et six Etats signataires du Partenariat pour la paix ­p; l'Azerbaïdjan, la Bulgarie, la Géorgie, la Roumanie, la Suède, l'Ukraine ­p; y participent. La Russie et l'Arménie ont décliné l'offre. Dans cette zone sensible des Balkans au Caucase, de nouveaux axes militaires se dessinent et trouvent un théâtre d'action où intérêts politiques et économiques s'enchevêtrent. Sous couvert de simuler des opérations de sauvetage, de protéger des navires et d'organiser des secours humanitaires, il semblerait que ces exercices répondent à un autre objectif : protéger la route de l'oléoduc Bakou-Ceyhan (Azerbaïdjan-Turquie) via la Géorgie.
Comme le rappelle un communiqué de l'OTAN d'octobre 2000, "l'oléoduc va accroître l'importance stratégique de la Géorgie pour le reste du monde, renforçant le lien entre la sécurité et le commerce ".
Les pays participant aux manuvres ont ­p; au-delà des impératifs de sécurité affichés ­p; de bonnes raisons de s'investir dans cette zone sous influence russe. Les Etats-Unis cherchent par tradition à pénétrer au Caucase et tiennent à superviser tout le dispositif de sécurité du projet d'oléoduc qu'ils soutiennent. La France y voit une manière de protéger le programme européen Traceca qui vise à rouvrir la route de la soie par la Géorgie. Signataire d'un accord militaire avec celle-ci, la Turquie, "adversaire" traditionnel de la Russie, a intérêt à faire avancer l'oléoduc au plus vite afin de consolider ses frontières et de tirer profit de cette manne pétrolière.
Pour les autres, tous membres de la Zone économique de la mer Noire (ZEMN) et candidats à l'OTAN, Cooperative Partners-2001 constitue, sinon un pas de plus vers leur intégration dans l'alliance, du moins une opération avouée de séduction en direction des Etats-Unis. Enfin, pour la Géorgie, l'Ukraine et l'Azerbaïdjan, trois des cinq pays du GOUAM (Ouzbékistan et Moldavie sont les autres membres) ­p; zone pro-occidentale de libre-échange à l'intérieur de la Communauté des Etats indépendants (CEI)  ­p; c'est une façon de rappeler à la Russie que leur souveraineté n'est pas négociable. Histoire de ne pas froisser Moscou, la Suède et la Grèce, deux pays amis slavophiles, sont également conviées aux opérations.
Dans la région, chaque pays a fini par tomber le masque. En avril, la Géorgie a prié la Russie de fermer ses bases sur son territoire et prône désormais la neutralité. L'Azerbaïdjan s'est déclaré prêt à accueillir des bases militaires de l'OTAN sur son territoire et a demandé à Moscou de régler le conflit qui l'oppose à l'Arménie depuis 1988 au Haut-Karabakh. Enfin, l'Arménie compte sur l'aide économique américaine et installera en septembre des missiles russes S-300 sur son sol.
Il ne manquerait plus que la Russie resserre ses liens stratégiques avec l'Inde, la Chine et l'Iran pour que resurgisse le spectre de la guerre froide."

 Gaidz Minassian
LE MONDE15.06.01

 *Partenariat pour la paix : accord signé en 1994 entre l'OTAN et les Etats issus de l'ex-URSS.

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Grandes manoeuvres autour de la Caspienne

· LE MONDE | 20.05.02 | 09h48

Huit mois après avoir installé des bases militaires en Asie centrale, les Etats-Unis prennent place au cur d'une autre chasse gardée de Moscou : la Transcaucasie, une zone volatile entre la Turquie, la Russie et l'Iran, formant un couloir est-ouest entre la mer Noire et la Caspienne. Au nom de la lutte contre le terrorisme et avec la bénédiction du Kremlin, les Etats-Unis ont donc mis fin à la notion d'"espace postsoviétique", zone exclusive des intérêts russes. Ainsi, à l'horizon de 2003, au moins sept des quinze Républiques qui composaient l'ex-URSS seront intégrées dans l'OTAN (les trois baltes) ou hébergeront des troupes américaines (Ouzbékistan, Kirghizstan, Géorgie, Azerbaïdjan).

La présence américaine dans l'arrière-cour de Moscou "n'est pas une tragédie", a expliqué Vladimir Poutine au moment ou était annoncé l'envoi, à Tbilissi, d'instructeurs américains chargés de former des unités antiterroristes au sein de l'armée géorgienne. Moins flegmatique, le quotidien Izvestia se demandait tout récemment si les Etats-Unis n'étaient pas en train "de recréer l'empire soviétique". Loin de chercher à recréer l'URSS, l'administration américaine parachève sa présence militaire le long d'un arc qui, s'étendant de la base d'Incirlik, au sud de la Turquie, jusqu'aux Philippines, vise à contenir les zones instables du Pakistan et de l'Afghanistan ainsi que les pays de l'"axe du Mal" que sont, aux yeux du président Bush, l'Irak, l'Iran et la Corée.

Or les enjeux autour de la Caspienne sont énergétiques autant que stratégiques. La région grouille de projets d'acheminement des ressources gazières et pétrolières. Mais, avant tout, deux antagonismes s'y croisent : l'alliance Ankara-Tbilissi-Bakou que Washington privilégie au détriment de l'axe Moscou-Erevan-Téhéran.

Depuis le 11 septembre 2001, l'administration américaine a développé des programmes de coopération militaire avec les trois Etats transcaucasiens : Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan. C'est avant tout en Géorgie, cet Etat géostratégique au bord du démembrement, dirigé par Edouard Chevardnadze - l'ancien artisan, avec Mikhaïl Gorbatchev, de la fin de la guerre froide -, que s'est concentrée l'attention de Washington. Or cette percée américaine ne se limite pas à la Géorgie. Dernièrement, le département d'Etat a annoncé la levée de l'embargo de 1993 sur les ventes d'armes à l'Azerbaïdjan, la République des bords de la Caspienne riche en hydrocarbures, ainsi qu'à l'Arménie, l'alliée traditionnelle de Moscou et de Téhéran dans la région.

En Turquie, le sommet à Trabzon des chefs d'Etat turc, géorgien et azerbaïdjanais a jeté les bases d'une alliance régionale consolidée. Celle-ci s'est faite autour de l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC), censé acheminer le brut azerbaïdjanais et kazakh vers les marchés mondiaux, via la Géorgie et la Turquie. Contesté par les experts pour son coût élevé (2,9 milliards de dollars) et sa réalisation difficile, ce projet de tube est favorisé par l'administration américaine parce qu'il contourne la Russie et l'Iran, tout en renforçant le rôle de la Turquie dans la région. En cours de réalisation, la construction du BTC se double d'un projet de gazoduc qui transportera le gaz azerbaïdjanais du gisement de Shakh Deniz, dans la Caspienne, jusqu'à Erzurum, en Turquie.

Furieuse d'être ainsi tenue à l'écart des projets énergétiques, la République islamique d'Iran, préoccupée aussi par le positionnement américain dans la région, tente de pousser ses pions. A la fin d'avril, alors que Donald Rumsfeld, le secrétaire d'Etat américain à la défense, effectuait sa quatrième tournée en Asie centrale, le président iranien, Mohammad Khatami, y allait de la sienne, multipliant les mises en garde à ses voisins sur les risques inhérents à la présence d'une "puissance étrangère", "source d'humiliation pour les peuples".

"TON MENAÇANT"

Chemin faisant, M. Khatami a vanté l'intérêt de la construction d'un oléoduc -"le plus sûr, le plus économique et le plus court" - qui pourrait transporter le pétrole kazakh depuis le port d'Atyrau jusqu'au nord de l'Iran, via le Turkménistan. La République islamique est certes productrice de brut, mais ses champs sont concentrés au sud tandis que les principaux foyers de consommation sont au nord. Le pétrole venu du Kazakhstan serait donc l'objet d'un swap (troc) permettant au pays une économie de transport. Par ailleurs, l'Iran, qui dispose des réserves de gaz les plus importantes au monde après la Russie, caresse le projet de construire un gazoduc vers l'Arménie, avec laquelle de nombreux échanges commerciaux ont lieu.

Aussi, Téhéran n'a pas caché son mécontentement dès l'annonce du déploiement américain en Géorgie, "non loin des frontières de l'Iran", a souligné Ali Chamkhani, le ministre iranien de la défense. Les autorités iraniennes sont tout aussi irritées par les manuvres que la Russie - pourtant le partenaire privilégié, grand fournisseur d'armes et de technologie nucléaire civile - s'apprête à effectuer cet été en mer Caspienne. La presse iranienne a ainsi fustigé le "ton menaçant" employé par Vladimir Poutine alors qu'il effectuait une inspection de la flottille russe. Quant à la proposition d'aide faite par le Pentagone à l'Azerbaïdjan de former une flotte digne de ce nom, elle met les Iraniens hors d'eux. En juillet 2001, un incident militaire avait, de justesse, été évité lorsqu'un navire de guerre iranien avait contraint un bâtiment de prospection pétrolière venu d'Azerbaïdjan et affrété par British Petroleum à cesser ses activités dans la Caspienne.

C'est donc autour de cette mer fermée - dont le statut juridique est pendant - que se sont articulées, ces derniers mois, la plupart des crispations. Elles ne manquent pas. Ainsi les relations de l'Iran avec la Russie se sont envenimées. Or ce refroidissement intervient au moment où Washington multiplie les pressions sur Moscou quant à sa coopération nucléaire avec la République islamique. Le sujet est un vrai casse-tête, tant pour les Etats-Unis que pour Israël. Les deux alliés craignent que Téhéran ne parvienne à acquérir des armes de destruction massive.

Ce sujet sera au menu des entretiens de MM. Bush et Poutine lors du sommet russo-américain des 23 et 26 mai. Signe supplémentaire de l'attention américaine à l'axe Moscou-Erevan-Téhéran : l'administration Bush vient de décider, le 9 mai, de sanctionner des entreprises arméniennes accusées d'aider l'Iran à acquérir les moyens de fabriquer des armes de destruction massive. Ces sociétés, a précisé Richard Boucher, le porte-parole du département d'Etat, pourraient n'être qu'une "façade", utilisées par des entreprises russes de l'armement, plus que jamais avides de nouveaux contrats et indifférentes à la notion d'"Etat voyou" telle qu'elle est formulée sur les rives du Potomac.

Marie Jégo


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