*Partenariat pour la paix : accord signé en 1994 entre
l'OTAN et les Etats issus de l'ex-URSS.
Huit mois après avoir installé des bases militaires en
Asie centrale, les Etats-Unis prennent place au cur d'une autre chasse gardée
de Moscou : la Transcaucasie, une zone volatile entre la Turquie, la
Russie et l'Iran, formant un couloir est-ouest entre la mer Noire et la
Caspienne. Au nom de la lutte contre le terrorisme et avec la bénédiction
du Kremlin, les Etats-Unis ont donc mis fin à la notion d'"espace
postsoviétique", zone exclusive des intérêts
russes. Ainsi, à l'horizon de 2003, au moins sept des quinze Républiques
qui composaient l'ex-URSS seront intégrées dans l'OTAN (les
trois baltes) ou hébergeront des troupes américaines (Ouzbékistan,
Kirghizstan, Géorgie, Azerbaïdjan).
La présence américaine dans l'arrière-cour de Moscou
"n'est pas une tragédie", a expliqué Vladimir
Poutine au moment ou était annoncé l'envoi, à Tbilissi,
d'instructeurs américains chargés de former des unités
antiterroristes au sein de l'armée géorgienne. Moins flegmatique,
le quotidien Izvestia se demandait tout récemment si les Etats-Unis
n'étaient pas en train "de recréer l'empire soviétique".
Loin de chercher à recréer l'URSS, l'administration américaine
parachève sa présence militaire le long d'un arc qui, s'étendant
de la base d'Incirlik, au sud de la Turquie, jusqu'aux Philippines, vise
à contenir les zones instables du Pakistan et de l'Afghanistan ainsi
que les pays de l'"axe du Mal" que sont, aux yeux du président
Bush, l'Irak, l'Iran et la Corée.
Or les enjeux autour de la Caspienne sont énergétiques autant
que stratégiques. La région grouille de projets d'acheminement
des ressources gazières et pétrolières. Mais, avant
tout, deux antagonismes s'y croisent : l'alliance Ankara-Tbilissi-Bakou
que Washington privilégie au détriment de l'axe Moscou-Erevan-Téhéran.
Depuis le 11 septembre 2001, l'administration américaine a développé
des programmes de coopération militaire avec les trois Etats transcaucasiens :
Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan. C'est avant tout en Géorgie,
cet Etat géostratégique au bord du démembrement, dirigé
par Edouard Chevardnadze - l'ancien artisan, avec Mikhaïl Gorbatchev,
de la fin de la guerre froide -, que s'est concentrée l'attention
de Washington. Or cette percée américaine ne se limite pas
à la Géorgie. Dernièrement, le département d'Etat
a annoncé la levée de l'embargo de 1993 sur les ventes d'armes
à l'Azerbaïdjan, la République des bords de la Caspienne
riche en hydrocarbures, ainsi qu'à l'Arménie, l'alliée
traditionnelle de Moscou et de Téhéran dans la région.
En Turquie, le sommet à Trabzon des chefs d'Etat turc, géorgien
et azerbaïdjanais a jeté les bases d'une alliance régionale
consolidée. Celle-ci s'est faite autour de l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan
(BTC), censé acheminer le brut azerbaïdjanais et kazakh vers
les marchés mondiaux, via la Géorgie et la Turquie. Contesté
par les experts pour son coût élevé (2,9 milliards
de dollars) et sa réalisation difficile, ce projet de tube est favorisé
par l'administration américaine parce qu'il contourne la Russie et
l'Iran, tout en renforçant le rôle de la Turquie dans la région.
En cours de réalisation, la construction du BTC se double d'un projet
de gazoduc qui transportera le gaz azerbaïdjanais du gisement de Shakh
Deniz, dans la Caspienne, jusqu'à Erzurum, en Turquie.
Furieuse d'être ainsi tenue à l'écart des projets énergétiques,
la République islamique d'Iran, préoccupée aussi par
le positionnement américain dans la région, tente de pousser
ses pions. A la fin d'avril, alors que Donald Rumsfeld, le secrétaire
d'Etat américain à la défense, effectuait sa quatrième
tournée en Asie centrale, le président iranien, Mohammad Khatami,
y allait de la sienne, multipliant les mises en garde à ses voisins
sur les risques inhérents à la présence d'une "puissance
étrangère", "source d'humiliation pour les
peuples".
"TON MENAÇANT"
Chemin faisant, M. Khatami a vanté l'intérêt de
la construction d'un oléoduc -"le plus sûr, le plus
économique et le plus court" - qui pourrait transporter
le pétrole kazakh depuis le port d'Atyrau jusqu'au nord de l'Iran,
via le Turkménistan. La République islamique est certes productrice
de brut, mais ses champs sont concentrés au sud tandis que les principaux
foyers de consommation sont au nord. Le pétrole venu du Kazakhstan
serait donc l'objet d'un swap (troc) permettant au pays une économie
de transport. Par ailleurs, l'Iran, qui dispose des réserves de gaz
les plus importantes au monde après la Russie, caresse le projet
de construire un gazoduc vers l'Arménie, avec laquelle de nombreux
échanges commerciaux ont lieu.
Aussi, Téhéran n'a pas caché son mécontentement
dès l'annonce du déploiement américain en Géorgie,
"non loin des frontières de l'Iran", a souligné
Ali Chamkhani, le ministre iranien de la défense. Les autorités
iraniennes sont tout aussi irritées par les manuvres que la Russie
- pourtant le partenaire privilégié, grand fournisseur
d'armes et de technologie nucléaire civile - s'apprête
à effectuer cet été en mer Caspienne. La presse iranienne
a ainsi fustigé le "ton menaçant" employé
par Vladimir Poutine alors qu'il effectuait une inspection de la flottille
russe. Quant à la proposition d'aide faite par le Pentagone à
l'Azerbaïdjan de former une flotte digne de ce nom, elle met les Iraniens
hors d'eux. En juillet 2001, un incident militaire avait, de justesse, été
évité lorsqu'un navire de guerre iranien avait contraint un
bâtiment de prospection pétrolière venu d'Azerbaïdjan
et affrété par British Petroleum à cesser ses activités
dans la Caspienne.
C'est donc autour de cette mer fermée - dont le statut juridique
est pendant - que se sont articulées, ces derniers mois, la
plupart des crispations. Elles ne manquent pas. Ainsi les relations de l'Iran
avec la Russie se sont envenimées. Or ce refroidissement intervient
au moment où Washington multiplie les pressions sur Moscou quant
à sa coopération nucléaire avec la République
islamique. Le sujet est un vrai casse-tête, tant pour les Etats-Unis
que pour Israël. Les deux alliés craignent que Téhéran
ne parvienne à acquérir des armes de destruction massive.
Ce sujet sera au menu des entretiens de MM. Bush et Poutine lors du
sommet russo-américain des 23 et 26 mai. Signe supplémentaire
de l'attention américaine à l'axe Moscou-Erevan-Téhéran :
l'administration Bush vient de décider, le 9 mai, de sanctionner
des entreprises arméniennes accusées d'aider l'Iran à
acquérir les moyens de fabriquer des armes de destruction massive.
Ces sociétés, a précisé Richard Boucher, le
porte-parole du département d'Etat, pourraient n'être qu'une
"façade", utilisées par des entreprises russes
de l'armement, plus que jamais avides de nouveaux contrats et indifférentes
à la notion d'"Etat voyou" telle qu'elle est formulée
sur les rives du Potomac.
Marie Jégo