Au Soudan, Washington recherche une paix et le pétrole
Les Etats-Unis jugent positive, mais encore insuffisante, la
coopération à la lutte antiterroriste des autorités
de Khartoum, qui avaient
autrefois accueilli Oussama Ben Laden. Les Américains tentent de
mettre fin
à une guerre qui a fait deux millions de morts depuis 1983.
Le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan,
était attendu, mercredi 10 juillet, à
Khartoum, où il entend réaffirmer la nécessité
absolue de l'aide humanitaire
aux populations civiles victimes de la guerre qui oppose les forces
gouvernementales aux rebelles du Mouvement/Armée de libération
des peuples
du Soudan (SPLM/A) dans le sud du pays. Le front le plus chaud, à
l'heure
actuelle, se situe dans la région où se trouvent des gisements
pétroliers.
Les Etats-Unis, qui ont réussi à amener les deux parties à
conclure et à
respecter un cessez-le-feu dans la région des monts Nubas, patronnent
par
ailleurs les négociations qui ont lieu depuis le 17 janvier entre
les deux
parties à Nairobi (Kenya). Washington fait miroiter à Khartoum
la
possibilité de retirer le Soudan de la liste des pays soutenant le
terrorisme ».
KHARTOUM de notre envoyée spéciale.
De mémoire de Soudanais, il y a bien longtemps que Khartoum n'avait
pas fait l'objet d'un tel intérêt
américain. Walter Kenshtiner, secrétaire d'Etat adjoint pour
l'Afrique, s'y
trouvait début juillet. Le secrétaire d'Etat, Colin Powell,
vient d'accorder
un semi-satisfecit au gouvernement soudanais pour sa coopération
dans la
lutte antiterroriste. Pour peu que Khartoum continue sur cette voie, promet
Washington, le Soudan se verra rayé de la liste des Etats qualifiés
de
terroristes » : évolution rarissime, lorsque ladite liste a
plutôt tendance
à s'allonger depuis les attentats antiaméricains du 11 septembre
2001. Pour
un pays qui, entre 1991 et 1996, a abrité Oussama Ben Laden et où
l'ancien
président Bill Clinton n'avait pas hésité à
faire bombarder, en août 1998,
une usine de produits pharmaceutiques accusée - sans preuve à
ce jour - de
fabriquer des composants d'armes chimiques, le chemin parcouru a quelque
chose d'étonnant. Chacun, à Khartoum, admet par ailleurs avoir
été surpris
par la célérité avec laquelle les Etats-Unis ont amené
le gouvernement et
les rebelles à signer - et à respecter - un accord de cessez-le-feu
géographiquement limité. Aujourd'hui, Washington, qui, pendant
des années, a
mis le pouvoir soudanais en quarantaine, soutenant plutôt indirectement
les
rebelles, surveille d'un oeil vigilant les négociations engagées
à Nairobi
(Kenya) entre le pouvoir islamiste et le Mouvement/Armée de libération
des
peuples du Soudan (SPLM/A) du colonel John Garang, qu'une guerre
impitoyable, qui a déjà fait deux millions de morts, oppose
depuis 1983.
Nul ne se hasarde à critiquer le cessez-le-feu imposé dans
la région des
monts Nubas, dans le centre du pays, ni à regretter que Washington
s'implique dans la recherche d'une paix au Soudan. Mais il n'est pas un
seul
Soudanais ou Occidental expatrié qui n'estime qu'en choisissant les
monts
Nubas Washington a fait d'une pierre deux coups : satisfaire, d'une part,
les groupes de pression chrétiens aux Etats-Unis, pour lesquels la
région
des monts Nubas - à cause de la quarantaine à laquelle elle
a été soumise
pendant des années par les autorités - est devenue une sorte
d'« icône »
humanitaire et sélectionner, d'autre part, la région la plus
facile, sinon à
pacifier, du moins à neutraliser.
Intérêt pour le brut
Au niveaugéopolitique, note Emmanuel Isch, qui dirige
la mission de l'ONG canadienne
Fellowship for African Relief, cela a quand même un sens : les monts
Nubas
sont en quelque sorte la porte de ce Sud qui est au coeur de la guerre ;
les
Etats-Unis essaient de favoriser une certaine stabilité politique
au Soudan,
qui « devrait leur permettre d'abolir certaines lois qui les empêchent
d'être impliqués dans les activités pétrolières
». De nombreux Soudanais
sont, eux aussi, convaincus que le brut explique en grande partie - sinon
en
totalité - l'intérêt soudain porté par l'administration
américaine à leur
pays. Les gisements non encore explorés recéleraient, selon
certaines
informations, d'importantes réserves. Et c'est précisément
là, dans la
région pétrolière de l'Etat de l'Unité, qu'ont
lieu, depuis janvier, les
combats les plus violents, les deux parties y ayant concentré d'importantes
forces, « étant entendu que c'est une guerre de pauvres des
deux côtés »,
souligne un diplomate. L'armée soudanaise, en particulier, selon
des sources
concordantes, a mis à profit la trêve des monts Nubas pour
transférer des
troupes au sud. Depuis 1999, le Soudan exporte du pétrole à
raison de 250
000 barils par jour, et le gouvernement a besoin de nouvelles ressources.
L'enjeu est donc de repousser les rebelles pour sécuriser de nouvelles
zones
d'exploitation et, pour le SPLM/A, d'empêcher une telle extension.
un conflit complexe
Alors que, dans d'autres zones, l'armée a surtout recours
aux bombardements aériens, tandis que les milices locales sévissent
au sol,
les militaires, ici, sont en première ligne. Il y aurait déjà
plusieurs
milliers de morts des deux côtés, indique Pascal Lefort, chef
de mission de
Médecins sans frontières (MSF). Pour les populations civiles,
la situation
est très difficile. Dans ces zones, l'économie des familles
est basée sur la
culture du sorgho et l'élevage du bétail, « sans lequel
on n'existe plus
socialement. Or, aujourd'hui, le bétail est décimé
», ajoute-t-il. De l'avis
de tous les vieux routiers du conflit soudanais, trouver un début
de
solution dans cette région relève de la gageure. Le conflit
est beaucoup
plus complexe et les enjeux beaucoup plus nombreux que ne le dit le cliché
qui le réduit à une guerre entre Nord islamiste et Sud chrétien
et animiste.
Commencées le 17 juin, les négociations qui se sont engagées
à Nairobi ont
ceci d'encourageant : contrairement aux multiples pourparlers qui les ont
précédées depuis des années, elles sont entourées
d'un black-out total et
ont une durée imposée (cinq semaines). Le problème
le plus épineux est la
question de l'autodétermination du Sud. Le SPLM/A en fait une condition
sine
qua non de toute paix ; de leur côté, les autorités
soudanaises sont rétives
et disent craindre qu'un tel processus ne mène, à terme, à
la sécession.