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La République de Timor-Oriental devient le 192e Etat de la planète

· LE MONDE | 20.05.02 | 15h09

Bangkok de notre correspondant en Asie du Sud-Est

"Je te salue, peuple du Timor-Oriental, pour le courage et la persévérance dont tu as fait preuve."
Devant des dizaines de milliers de gens, quelques minutes avant minuit dimanche 19 mai, Kofi Annan a salué en ces termes la proclamation de l'indépendance du dernier-né de la société internationale. "Vive le Timor-Oriental !", a conclu, brandissant le poing, le secrétaire général de l'ONU, avant que Barbara Hendricks entonne O Freedomet alors que la bannière bleu ciel des Nations unies était amenée. Le drapeau noir, rouge et or frappé d'une étoile blanche, a alors été hissé au son de l'hymne national. Le 192e Etat indépendant de la planète et le premier du nouveau millénaire était né.

"Aujourd'hui, vous êtes témoins des aspirations d'un peuple tout entier pour la paix", a dit Xanana Gusmao, président de la République démocratique du Timor-Oriental, héros adulé de la résistance contre l'Indonésie. L'occupation indonésienne avait été "une erreur historique qui appartient désormais au passé", a-t-il ajouté. Dans le pays le plus pauvre d'Asie, tout reste à faire à la suite de plus de quatre siècles d'une colonisation portugaise qui fut un mélange d'indifférence et de travaux forcés, puis d'un quart de siècle d'une brutale occupation indonésienne.

PROTESTATAIRES MUETS

Le dirigeant timorais avait passé une partie de la soirée en compagnie de la présidente indonésienne, Megawati Sukarnoputri, qui, en dépit de son hostilité à l'indépendance du Timor-Oriental et d'une levée de boucliers à Djakarta, avait fait le voyage.

Xanana Gusmao l'avait accompagnée déposer des gerbes au cimetière militaire indonésien où les avaient attendus une cinquantaine de protestataires muets. L'occupation indonésienne, que l'ONU n'a jamais validée, a fait quelque deux cent mille victimes, et les généraux de Djakarta ont manifesté, pendant le week-end, leur hostilité au nouvel Etat en déployant six navires de guerre, sous prétexte d'assurer la sécurité de leur présidente et, peut-être, pour en discréditer la présence. Cette flottille s'est retirée à la demande de l'ONU et Megawati a été applaudie quand elle a rejoint la tribune officielle.

Pour que tout le monde ait sa part, Xanana a prononcé son discours en quatre langues : le portugais, langue officielle, l'anglais, le tetun, lingua franca du territoire, et l'indonésien, compris par les trois quarts des 750 000 Timorais de l'Est. A la tribune, Megawati représentait un pays qui a étranglé le Timor-Oriental mais avec lequel la cohabitation est vitale pour des raisons à la fois politiques et commerciales.

LE FEU VERT DE M. KISSINGER

A ses côtés, John Howard, premier ministre australien, représentait un autre voisin qui a joué un rôle déterminant pour arrêter, en 1999, la mise à sac du territoire par les nervis de l'armée indonésienne mais qui avait aussi été le seul à reconnaître l'annexion par Djakarta, en 1976, du Timor-Oriental.

On pourrait faire une remarque similaire à propos des Etats-Unis, dont le président George Bush avait délégué son prédécesseur Bill Clinton. Voilà trois ans, l'ancien président américain a joué un rôle décisif dans l'envoi d'une force multinationale de paix, mais c'est avec le feu vert de Henry Kissinger que l'armée indonésienne avait, en 1975, occupé le Timor-Oriental.

Enfin, le président Jorge Sampaio et le premier ministre José Manuel Durao Barroso étaient venus d'un Portugal qui s'est amendé : s'il est aujourd'hui le deuxième donateur, derrière le Japon, il s'était retiré la queue basse en 1975 en laissant derrière lui 95 % d'analphabètes.

Mais l'heure était surtout à la fête. Une foule timoraise a été ébahie par le premier feu d'artifice de son histoire, cadeau offert par la Chine et la Thaïlande. Tambours et flûtes ont accompagné les danses des ethnies venues des quatre coins d'un territoire grand comme la Belgique. Kofi Annan a assuré que l'ONU, après trente-deux mois de gestion du Timor-Oriental, n'abandonnerait jamais ce petit peuple dans le dénuement. "Un peuple fier et simple qui mérite la paix et la liberté", ainsi que l'a résumé José Ramos Horta, Prix Nobel de la paix et ministre des affaires étrangères du nouvel Etat.

Jean-Claude Pomonti

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Le nouvel Etat est l'un des plus pauvres du monde

· LE MONDE | 18.05.02 | 16h05

Dili de notre envoyé spécial

Dans son malheur, Marcelina a eu de la chance. En septembre 1999, sa maison de Villaverde, quartier résidentiel de Dili, a été entièrement pillée par des miliciens pro-indonésiens, mais pas détruite. Quand elle est revenue, deux mois plus tard, au Timor-Oriental, elle a pu meubler quatre pièces et les transformer en chambres pour les louer à des employés de l'ONU. Mais trois de ses locataires sont déjà partis et le quatrième doit s'en aller peu après la proclamation de l'indépendance, lundi 20 mai, ce qui la privera de l'essentiel de ses revenus. Comment nourrir alors une demi-douzaine de bouches ?

Sarah Cliffe, chef de mission de la Banque mondiale, estime que "le taux de croissance de 18 % réalisé en 2001 va retomber, cette année, aux alentours de zéro" avec le repli d'une bonne partie du contingent de l'ONU. Lieux de rendez-vous des étrangers, les cafés, restaurants et hôtels de la capitale de l'ancien territoire portugais vont péricliter. Les taxis vont perdre leur meilleure clientèle et une sélection va s'opérer parmi les entreprises et sociétés d'import-export étrangères. "C'est surtout Dili qui va souffrir ; l'économie rurale ne sera pas affectée", ajoute Sarah Cliffe, ce qui paraît rassurant dans un pays de quelque 800 000 habitants dont les trois quarts, au moins, vivent de la pêche et de l'agriculture.

QUART-MONDE

Si une étroite coopération entre l'ONU et une petite élite timoraise a posé les fondations d'un Etat, Timor-Oriental appartient encore au quart-monde avec sa moitié d'analphabètes, un revenu quotidien par tête à peine supérieur à 1 euro, ainsi que l'absence de manufactures et d'infrastructures. Un tiers des familles vit sous le seuil de pauvreté. Le téléphone est quasi inexistant. L'aéroport de Dili n'accueille que deux vols commerciaux par jour, l'un le reliant à Darwin (Australie) et l'autre à Denpasar (Bali). En dehors d'une production réduite d'un excellent café, la seule ressource substantielle est l'exploitation à venir, avec l'Australie, de gaz offshore qui pourrait rapporter à Timor-Est quelque 200 millions d'euros par an à partir de 2006. Entre-temps, Dili devra s'en remettre à une assistance internationale que Kofi Annan, secrétaire général de l'ONU, appelle de tous ses vux.

"D'un autre côté, dit José Ramos Horta, responsable de la diplomatie timoraise, la paix civile demeure très fragile, la société très traumatisée. Les blessures sont toujours présentes et les guérir demandera de la patience". Les populations ont beaucoup souffert, entre 1974 à 1999, sous une occupation militaire indonésienne qui s'est terminée par la mise à sac du territoire. La répression, les disettes et le manque de soins auraient fait, en un quart de siècle, 200 000 victimes. "L'absence de violences sous l'ONU, ajoute le prix Nobel de la paix 1996, est surtout due à la capacité de mobilisation des dirigeants".

En août 1999, la population avait fait preuve d'un grand courage en votant massivement pour l'indépendance alors que l'armée indonésienne et ses nervis locaux tenaient encore la place. Elle l'a payé cher sur le moment, mais les scrutins pour l'élection d'une Assemblée, deux années plus tard, et d'un président, le 14 avril 2001, ont contribué à lui redonner confiance. S'il ne se défait pas, l'équilibre politique actuel pourrait permettre au Timor-Oriental d'éviter le piège du monolithisme. Plébiscité lors de son élection à la présidence, Xanana Gusmao, héros de la résistance, devrait imposer sa tolérance et son pragmatisme. Déjà, son élection a convaincu des milliers de gens, encore exilés dans la partie indonésienne de l'île, de regagner leur pays.

"BESOINS ÉNORMES"

Le risque de voir émerger un système de parti unique est fort limité, estime José Ramos Horta. "La société civile ne le tolérerait pas ; l'Eglise catholique, qui dispose d'un énorme pouvoir, ne l'acceptera jamais et la société internationale nous retirerait son appui". Sur le plan international, les dirigeants de la nouvelle République démocratique ont compris qu'entretenir de bonnes relations avec leur puissant mais difficile voisin indonésien est crucial, ce qui explique leur volonté d'intégrer, le jour venu, l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est, dont Djakarta est l'un des pivots.

Pauvres et traumatisés, les Timorais-Orientaux sentent que leur indépendance est lourde de défis même si, pendant le temps qu'il faudra, des casques bleus continueront de surveiller les frontières terrestres avec l'Indonésie et que de 200 à 300 experts étrangers les aideront à gérer leurs affaires. "Il faut conserver la vitesse acquise", dit Mari Alkatari, qui doit devenir le premier chef de gouvernement de l'indépendance, après un long exil au Mozambique et en Australie. "Les attentes sont élevées, les inquiétudes et les besoins énormes", résume, de son côté, Xanana Gusmao.

J.-C. P.


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