sur la réforme du Mode de scrutin : rejet de la motion
de censure
L'Assemblée nationale a repoussé samedi une motion de
censure défendue par l'opposition de gauche en réplique à
la décision du premier ministre d'engager la responsabilité
de son gouvernement sur la réforme des modes de scrutin pour les
européennes et les régionales. La motion de censure n'a obtenu
que 177 suffrages. Il en fallait 288 pour qu'elle soit adoptée. Le
groupe UDF et Philippe de Villiers, président du MPF, également
hostiles à cette réforme, n'ont pas voté la motion.
Pour ce genre de scrutin à la tribune, seuls sont recensés
les votes favorables à l'adoption.
Le rejet de cette motion de censure - cosignée par les députés
de gauche - a entraîné l'adoption automatique, en première
lecture, par l'Assemblée de ce projet de loi que le Sénat
devrait examiner à son tour au début du mois de mars. "Vous
avez profité de ces temps d'inquiétude pour fomenter une triste
manoeuvre : modifier les modes de scrutin pour rayer de la carte électorale
tous ceux qui ne vous conviennent pas. Vous avez ainsi préféré
la mesquinerie à la grandeur", a dit le socialiste Jean-Marc
Ayrault. "Ce que vous cachez, c'est une conception du pouvoir unilatéral",
a poursuivi le président du groupe socialiste. "C'est l'arrogance
d'un libéralisme qui se croit la fin de l'histoire. C'est le vieux
rêve de la droite qui veut en finir avec la singularité française,
son insolence, son caractère réfractaire, ses différences",
a-t-il dit avant de dénoncer la politique économique et sociale
du gouvernement.
"Cette réforme n'est pas digne de notre République,
elle n'est pas digne de notre peuple", a affirmé Marie-George
Buffet, secrétaire nationale du Parti communiste, qui a qualifié
le projet de "loi scélérate". "Vous voulez
une France muselée", a-t-elle poursuivi alors qu'à
l'appel du PCF plusieurs dizaines de personnes manifestaient aux abords
du palais Bourbon pour exprimer leur hostilité à la réforme.
"C'est une régression démocratique", a dit
Noël Mamère au nom des trois députés Verts.
"Vous n'avez pas été élu pour mettre en place
l'Etat UMP, vous avez été élu pour mettre en place
l'Etat impartial", a dit l'UDF François Bayrou sur un ton
très sévère en s'adressant à Jean-Pierre Raffarin.
"Vous n'avez pas été élu pour faire de la République
l'instrument d'un parti, vous avez été élu pour mettre
la République au-dessus des partis", a-t-il ajouté,
tout en confirmant que son groupe ne voterait pas la censure. "Vous
n'avez pas été élu pour bricoler les modes de scrutin,
vous avez été élu pour que la démocratie soit
honnête et le citoyen écouté", a-t-il poursuivi.
"Vous n'avez pas été élu pour vous livrer à
des manipulations dignes de la IVe République, vous avez été
élu pour faire les réformes qui permettraient de restaurer
la France", a ajouté le président de l'UDF, souvent
applaudi par la gauche. "Vous n'avez pas été élu
pour nous imposer de nous occuper de ces manipulations d'arrière-boutique
pendant qu'à la surface du monde se joue l'essentiel", a-t-il
poursuivi, qualifiant le projet de loi de "texte de verrouillage
de la démocratie" à la fois "anti-démocratique"
et "inconstitutionnel".
En réponse aux orateurs, Jean-Pierre Raffarin a affirmé sa
"conviction (...) qu'il fallait changer les modes de scrutin et
les changer tels que nous avons proposé de les changer".
Il s'agit d'éviter, a-t-il fait valoir, ce qu'il s'est passé
lors des régionales de 1998, où le Front national avait joué
les trouble-fêtes lors de l'élection des présidents
de régions. "La réforme qui vous est proposée
est une réforme positive", a dit le chef du gouvernement.
Il a assuré que son projet de loi avait trois objectifs, "stabilité,
clarté et parité", avant de lancer à l'UDF
: "C'est vrai que nous n'avons pas été élus
pour mettre en place l'Etat UMP mais nous n'avons pas été
élus non plus pour le retour du régime des partis, nous avons
été élus pour que l'action politique retrouve de l'efficacité."
"Je crois que nous avons un bon scrutin qui correspond aux objectifs
qui sont les notres", a poursuivi le Premier ministre, en dénonçant
les modes de scutin qui "dispersent, éparpillent".
PAS DE 49-3 DEPUIS 1996
Il a dit aussi qu'il regrettait "très sincèrement"
d'avoir à utiliser la procèdure du 49-3 mais qu'il y était
contraint face "à toute cette violence verbale"
des opposants à la réforme. "Je regrette qu'on ait
voulu limiter ce débat à des questions d'appareils et d'états-majors,
c'est la France des territoires qui veut s'exprimer", a dit Jean-Pierre
Raffarin. Il a assuré que "personne" ne lui avait
"imposé" cette réforme, alors que ses opposants
accusent Alain Juppé, président de l'UMP, d'être à
l'origine du durcissement du projet de loi.
Bernard Accoyer, vice-président du groupe UMP, a estimé que
cette motion de censure était "une manoeuvre politicienne,
décalée et démagogique" et affirmé
que la réforme ne pouvait être "taxée d'hégémonique
ou d'attentatoire au pluralisme". Le texte prévoit notamment,
pour les élections régionales, de relever le seuil à
10% des inscrits pour se maintenir au second tour et à 5% des suffrages
exprimés au premier tour pour pouvoir fusionner avec une autre liste
au second. Le gouvernement a repris à son compte une quarantaine
d'amendements votés par la commission des Lois, dont celui qui supprime
les sections régionales à l'intérieur des huit grandes
circonscriptions prévues pour les élections européennes.
Le texte prévoit également de modifier les règles de
financement des partis politiques. Ainsi, lors des prochaines législatives,
les aides publiques seront distribuées aux seules formations qui
auront présenté au moins 50 candidats ayant chacun obtenu
au moins 1% des suffrages exprimés. A propos des cumuls de mandats,
le texte prévoit que les députés européens pourront
à nouveau, comme les élus nationaux, exercer leur mandat et
une fonction éxécutive locale, comme maire ou président
de conseil général ou régional.
Le gouvernement a utilisé la procédure prévue par l'article
49 alinéa 3 afin de mettre un terme aux débats tumultueux
engagés mardi dernier. Les opposants à cette réforme
- tous les groupes à l'exception de l'UMP qui détient à
lui seul la majorité absolue - avait décidé de mener
une guerilla contre le texte, notamment par le dépôt de 13
248 amendements. C'est la 47e fois depuis les débuts de la Ve République,
en 1958, qu'est utilisé l'article 49-3. Cette arme a été
utilisée pour la dernière fois par le Premier ministre RPR
Alain Juppé, en juin 1996, sur la réforme du statut de France
Telecom. Son successeur socialiste, Lionel Jospin, n'y a jamais recouru
durant ses cinq années à Matignon.