Les propos du patron de TF1, Patrick Le Lay, avouant crûment que
sa chaîne ne sert qu'à rendre le cerveau du téléspectateur
"disponible" aux messages publicitaires confirment que la stratégie
de TF1 est uniquement commerciale.
On peut remercier Christine Pouget. Cette journaliste de l'AFP a su trouver
dans un ouvrage confidentiel du Medef la phrase qui fait boum
« A la base, le métier de TF1, c'est d'aider Coca -Cola,
par exemple, à vendre son produit. Or pour qu'un messagepublicitaire
soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur
soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible
: c'est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer
entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps
de cerveau humain disponible» .
Signé Patrick Le Lay, pdg de TF l.
Dérive?
Depuis, le patron de TF 1 n'a pas manqué d'atténuer ses propos
(dans Télérama, il s'insurge qu'on le « transforme en
marchand de cerveaux ») qui ont, paraît-il fait s'étrangler
son directeur de communication non informé de cette sortie intempestive.
Les amoureux de la télé qui combattent depuis quinze ans cette
commercialisation du petit écran ne sont eux-mêmes pas revenus
de tant de cynisme. Balayés du coup les arguments du directeur des
programmes, Etienne Mougeotte, répétant à l'envi depuis
des années, que seule sa chaîne sait ce qu'est une culture
populaire. Balayées les prétentions au « mieux-disant
culturel » formule inventé par TF 1 dans les années 90.
Lorsque des réalisateurs comme Fellini, Ettore Scola ou Godard s'insurgeaient
contre les coupes de films par des messages publicitaires en accusant les
chaînes de transformer ainsi leurs oeuvres en support publicitaire,
ils étaient bien dans le juste.
Il ne s'agit alors plus d'une « dérive » sous la pression
des commerciaux. TFI a pour vocation la pub, pour stratégie de programmation,
la pub, ce qui suppose, pour paraphraser monsieur Le Lay, les têtes
vides. Ceux qui, dans le service public, songent à coller à
la première chaîne pour la concurrencer, doivent maintenant
nous expliquer comment s'y prendre...
Les propos «énormes» de Patrick Le Lay révèlent
malheureusement d'autres choses : l'impunité culturelle, sociale
et politique dont jouit ce monsieur. Imaginez un seul instant qu'un homme
politique ait tenu de tels propos. Inconcevables. En revanche le patron
du plus puissant des medias peut insulter les Français sans que les
responsables politiques y trouvent à redire. Prudents, ceux-ci n'ont
sans doute pas envie d'être privés de plateaux. Le plus étrange
est sans doute qu'artistes et intellectuels, à quelques rares exceptions
près (notamment la violente réaction du cinéaste Robert
Guédiguian) se soient eux aussi tus. De même pour le ministre
de la Culture ou le président du CSA. Ou encore pour les présentateurs
vedettes et producteurs de la chaîne ramenés à un rôle
que leur ego nie.
Le téléspectateur traîné dans la boue mérite
pourtant qu'on lui fasse connaître de tels propos. Et peut-être
qu'on l'encourage enfin à peser sur une chaîne qui ne vit que
de lui.