Dessin de Plantu paru dans "Le Monde" daté du 11 janvier
2002
dans le cadre d'un article intitulé "L'euro est-il inflationniste
?"
article du journal "LE MONDE" daté du 13 janvier 2002
Les sondages sont-ils fiables ?
· A cent jours du premier tour de la présidentielle, les
instituts de sondage se contredisent.
· L'un d'eux donne Lionel Jospin gangnat tandis que tous les autres
placent en tête Jacques Chirac.
· En 1995 déjà, nombre de leurs pronostics s'étaient
avérés erronés.
· Enquête sur un métier à la fois sollicité
et contesté.
A trois mois de l'élection présidentielle, les instituts publient
une série de sondages contradictoires. Mardi 8 janvier, l'obervatoire
présidentiel BVA-Paris-Match don-
nait, pour la première fois depuis un an, l'avantage à Lionel
Jospin au premier tour de l'élection. Tous les autres instituts continuent
à placer en tête Jacques Chirac. Les son-
deurs reconnaissent ces distorsions, qu'ils attribuent à la fois
au mode de calcul utilisé pour leurs études et à la
technique employée pour recueillir les intentions de vote. En 1995,
les pronostics donnaient Edouard Balladur comme favori avant d'attribuer
à Jacques Chirac, à partir de la mi-février, une avance
supérieure à celle qu'il obtiendra finalement sur Lionel Jospin
au soir du vote. Ce traumatisme s'est encore accentué après
le résultat des élections municipales de mars 2001. Aujourd'hui,
reconnaît Stéphane Rozès, de l'institut CSA « il
est devenu impossible de faire des estimations fiables trois semaines avant
le vote, parce que les électeurs changent d'avis jusqu'au dernier
moment ». Pour Philippe Méchet, de la Sofres, « la
vérité est qu'à 2 % près, les marges d'erreurs
nous interdisent de départager deux candidats très proches
l'un de l'autre ». Les candidats, eux, recourent fréquemment
aux sondages et les utilisent «mieux qu'on ne le pense »
afin d'être au plus près des attentes de leurs électeurs.
A trois mois de l'élection, les sondeurs relativisent les résultats
de leurs études
Après les pronostics erronés de la présidentielle
de 1995 et des municipales de 2001, les responsables des instituts de sondage
admettent que leurs estimations peuvent comporter des "marges d'erreur".
Ils les attribuent au mode de calcul et à la technique employée
pour recueillir les opinions des électeurs.
Une poignée de chiffres a suffi à ranimer la controverse.
Depuis la diffusion, mardi 8janvier, de l'"observatoire présidentiel"
BVA-Paris Match dans lequel Lionel Jospin recueillait, pour la première
fois depuis un an, davantage d'intentions de vote que Jacques Chirac, les
interrogations sur la fiabilité des sondages politiques se sont subitement
trouvées relancées, à trois mois de l'élection.
Outre l'importance de l'avance attribuée au premier ministre par
cette étude dès le premier tour (24% contre 21%), la publication,
dans la même semaine, de trois indices concurrents qui plaçaient
en tête le président sortant, a provoqué la confusion
et suscité les critiques contre l'estimation dissonante. "Il
y a eu des mises en cause", admet le directeur des études
politiques de BVA, Jérôme Sainte-Marie, pour les repousser
fermement: la "distorsion", assure-t-il, ne serait "pas
liée à la qualité de l'échantillon ni aux méthodes
de pondération"; elle résulterait de la technique
employée pour questionner les sondés: le face-à-face
plutôt que l'entretien par téléphone, qu'il juge "trop
peu rigoureux".
Derrière le débat méthodologique transparaissent les
doutes des professionnels eux-mêmes. Dès l'annonce du chiffre
perturbateur, les experts des cinq autres instituts (Sofres, CSA, IFOP,
Ipsos et Louis Harris) l'ont examiné dans les moindres détails
pour le comparer aux leurs. "Nous avons chacun nos résultats
et nous nous y tenons, explique Philippe Méchet, responsable des
études politiques de la Sofres. Mais nous suivons de près
le travail des autres, les tendances qui émergent."
Le traumatisme de 1995 est encore là: lors de la précédente
campagne présidentielle, les sondeurs avaient non seulement fait
d'Edouard Balladur un favori intouchable pendant de longs mois, mais ils
avaient ensuite alloué à Jacques Chirac, à partir de
la mi-février, une avance bien supérieure à celle qu'il
enregistra finalement au soir du vote et sous- estimé la montée
du candidat socialiste, Lionel Jospin, qui arriva en tête au premier
tour.
"Ça nous a fait beaucoup de mal", assure Stéphane
Rozès (CSA), expliquant néanmoins que "la difficulté
essentielle vient de ce qu'il est devenu impossible de faire des estimations
fiables trois semaines avant le vote, parce que les électeurs changent
d'avis jusqu'au dernier moment". Violemment critiqués par
les politiques à la télévision, le soir du premier
tour du scrutin de 1995 ­p; François Bayrou parlait alors de "problème
démocratique majeur, qu'il faudra examiner" ­p;, les
experts en mesure de l'opinion plaident toujours que leurs estimations ne
constituent que des "photographies" de courants évolutifs,
mais ils n'ont guère affiné leurs méthodes.
Principal accusé de l'après-1995, l'ancien dirigeant de la
Sofres Jérôme Jaffré , ouvertement accusé d'avoir
favorisé M. Balladur, écrivait, un an plus tard, que "les
sondeurs eux-mêmes doivent accepter les reproches justifiés
et tirer les leçons des polémiques et des échecs",
et proposait, pour plus de clarté, que l'on proscrive la qualification
d'"intentions de vote" pour les enquêtes effectuées
avant que tous les candidats ne soient effectivement déclarés.
Six ans après, lors des élections municipales de mars 2001,
les mêmes critiques ont ressurgi après que les instituts eurent
fortement surestimé le poids de la gauche dans une série de
grandes villes ­p; notamment lorsque des personnalités de la majorité
étaient en lice, comme Elisabeth Guigou (PS) à Avignon, Jean-Claude
Gayssot (PCF) à Béziers, Martine Aubry (PS) à Lille,
Dominique Voynet (Verts) à Dôle. Tirant les enseignements de
cette nouvelle déconvenue, Emmanuel Rivière, directeur du
département études et sondages du Service d'information du
gouvernement (SIG), publiait, quelques mois plus tard dans la Revue politique
et parlementaire, un long article, intitulé "L'intention
de vote existe-t-elle ?", dans lequel il contestait la thèse
des revirements tardifs de l'électorat, pour mettre en avant la difficulté
des "redressements".
Par ce terme, les sondeurs définissent la technique de correction
appliquée dans leurs études aux chiffres bruts issus des questionnaires
soumis aux sondés. Outre les questions du sondage, ceux-ci sont interrogés
sur leurs votes aux élections précédentes, et l'ensemble
des résultats est pondéré en fonction des scores effectifs
de ces scrutins. Exemple : si 7,5 % des sondés déclarent avoir
voté pour M.LePen à la présidentielle de 1995, chacun
d'entre eux verra appliquer à ses intentions de vote pour l'élection
à venir un coefficient double, puisque le candidat du Front national
avait obtenu 15 % des suffrages.
L'instrument est certes d'un maniement délicat: rien n'interdit aux
personnes interrogées de mentir ­p; ou de se tromper ­p; sur
leurs votes antérieurs; les instituts doivent en outre pouvoir se
référer à des scrutins nationaux suffisamment proches
pour qu'ils concernent un électorat global à peu près
identique. D'où cette difficulté, admise par tous les sondeurs:
pour la présidentielle à venir, la référence
utilisable est le scrutin législatif de 1997 ­p; les européennes
se disputant à la proportionnelle et les municipales étant
marquées par des enjeux locaux ­p;, déjà trop ancien
pour apporter aux chiffres bruts des corrections rigoureuses. "La
vérité est qu'à 2 % près les marges d'erreur
nous interdisent de départager deux candidats très proches
l'un de l'autre", explique de toute façon M. Méchet,
précisant que "les deux seuls enseignements des sondages
actuels sont que le second tour opposera de toute évidence M. Chirac
à M. Jospin et qu'il devrait être très serré".
D'aussi modestes arguments ne sont guère mis en avant par les spécialistes
des grands instituts, dans les commentaires et la promotion qu'ils assurent
de leurs propres études. S'ils ne représentent d'ordinaire
qu'entre 8 % et 10 % de leurs chiffres d'affaires respectifs, les sondages
politiques constituent d'abord des produits d'appel, grâce aux publications
répétées dans la presse. Ils tissent aussi un lien
permanent avec les politiques eux-mêmes, au service desquels les instituts
effectuent simultanément des prestations de "conseil",
souvent pour plusieurs candidats à la fois ­p; au risque d'alimenter
la confusion.
Entre l'explication technique, l'analyse politique et une forme indirecte
de lobbying, la frontière est parfois ténue. Avec cette règle
invariable: plus la campagne électorale est atone, plus les sondeurs
occupent l'espace.
Hervé Gattegno