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Article paru dans "Pour" mensuel de la FSU. Janvier 2002

Peu importe l'oeuvre pourvu que l'on ait le débit.

Les récentes déclarations de Monsieur Jean-Marie Messier, PDG de Vivendi Universal, selon lequel « l'exception culturelle française est morte » ont permis de façon spectaculaire de remettre sur le devant de la scène les combats menés dans le passé à l'occasion des négociations de l'OMC (Organisation mondiale du commerce, anciennement GATT) et de l'AMI (Accord multilatéral sur l'investissement).
Avant d'évoquer le fond du problème, il est nécessaire de répondre à Jean-Marie Messier en rappelant que l'exception culturelle n'est pas française et que son devenir n'est en aucun cas entre les mains du PDG d'une multinationale.
En effet, l'exception culturelle est un acquis de négociations internationales partagé par tous les pays européens et, au-delà, par des pays tels que la Corée du Sud ou le Canada. Il permet simplement à chaque pays de définir librement sa politique en matière audiovisuelle et cinématographique. La réalité de l'exception culturelle est donc le résultat d'une volonté politique de ne pas considérer les oeuvres cinématographiques et audiovisuelles comme des marchandises, ce qui ne peut que heurter les entreprises souhaitant qu'il n'existe qu'un modèle cinématographique, le modèle américain.
Les déclarations de M. Messier ne sont pourtant pas neutres ni liées au hasard, elles traduisent la stratégie d'une firme transnationale produit de la convergence entre les tuyaux et les contenus. En effet, il n'est pas neutre de rappeler que l'ancêtre de Vivendi-Universal, la Compagnie générale des eaux, avait pour métier la gestion d'infrastructures (des tuyaux), et leur contenu, de l'eau, afin de l'acheminer vers le consommateur final. Après le téléphone et internet, il semble que cette entreprise applique les même règles en matière de cinéma et d'audiovisuel. Ainsi, il est nécessaire de s'assurer le contrôle d'un certain nombre de tuyaux (des télévisions hertziennes, par câble, par satellite ... ) dans le monde entier et d'assurer l'écoulement de films et de produits audiovisuels vers le consommateur final.
Il est intéressant de souligner que la logique de l'intégration verticale (le contrôle de toutes les étapes d'une filière de l'amont vers l'aval) est appliquée de la même façon par Vivendi-Universal aux métiers de l'eau, du cinéma et de l'audiovisuel. Il n'est donc plus question d'oeuvre, d'identité et de diversité culturelle, il n'est plus question que de débit. Or la production d'une oeuvre cinématographique ne correspond pas aux standards de production en grande série d'un produit homogène, c'est une activité de prototype, c'est une activité artisanale aux résultats économiques aléatoires et risqués.
La grande industrie n'aime pas les aléas, ni l'artisanat. Comment réduire ce risque ? Simplement en produisant les films les plus homogènes possibles, des oeuvres standardisées, aseptisées et « adaptées » au marché mondial et en s'assurant les débouchés dans les salles de cinéma et sur les petits écrans.
C'est cela le rêve américain et l'on comprend mieux qu'il ne peut se réaliser que si seuls les mécanismes de marché gouvernent le secteur cinématographique. C'est contre cela que se battent les réalisateurs. Non pas pour défendre leur corporation mais pour défendre une certaine idée de la société, de la culture et du rôle de l'Etat.

Michel Gomez. Délégué général adjoint de l'ARP.

Fondée en 1987 par Claude Berri, l'ARP est une société civile qui
regroupe 170 auteurs-réalisateurs-producteurs de cinéma.


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