Le Parlement européen demande à la Convention présidée
par Valéry Giscard d'Estaing, chargée d'ici à 2003
de redéfinir les missions et le fonctionnement de l'Union européenne,
d'inclure la conduite de la politique étrangère et de défense,
ainsi que les questions de sécurité intérieure transfrontalières,
comme la politique d'immigration, dans les futures compétences de
l'Europe. Elles viendraient s'ajouter à celle que l'UE a déjà
en propre : la monnaie et les relations commerciales, la gestion du
marché intérieur et la concurrence.
Ces propositions ont fait l'objet d'une résolution votée,
jeudi 16 mai, à une très large majorité par l'Assemblée
réunie à Strasbourg. Elle a obtenu 322 voix contre 64 et 58
abstentions - des eurosceptiques ou des fédéralistes extrêmes.
"Compte tenu de la majorité qui a approuvé ce document,
la Convention va être dans l'obligation de l'étudier",
s'est réjoui l'eurodéputé français Alain Lamassoure,
rapporteur du texte au titre de la commission des affaires constitutionnelles,
et représentant du Parlement au sein de la Convention.
C'est au lendemain de la signature du traité de Nice que l'Assemblée
parlementaire avait décidé de s'autosaisir de la question,
et de confier le soin de débroussailler le terrain à l'UDF
Alain Lamassoure, ancien ministre délégué aux affaires
européennes d'Edouard Balladur. Critiquant la "complexité"
des "diplomates" et de leurs "compromis",
le rapport estime qu'il y a aujourd'hui un large consensus pour que la politique
étrangère devienne une compétence propre de l'Union,
idée qui a été défendue à plusieurs reprises
ces dernières semaines par M. Giscard d'Estaing.
"L'idée fera frémir les chancelleries, mais elle était
déjà littéralement plébiscitée par les
opinions publiques avant même le 11 septembre", reconnaît
M. Lamassoure dans son exposé des motifs, en évoquant
les "épreuves pénibles subies par l'Union et ses Etats
membres depuis les années 1990, en ex-Yougoslavie, en Afrique et
au Moyen-Orient".
"ZONE GRISE"
Après le vote du Parlement, M. Lamassoure a souligné,
non sans satisfaction, que cette proposition n'avait "pas fait l'objet
du moindre amendement". De même, le Parlement n'a pas émis
de réserves à l'idée que la politique de justice, d'asile
et d'immigration, ou que le financement du budget de l'UE s'ajoutent aux
compétences propres de l'Union.
A coté de ces domaines de compétence européenne clairement
établie, le rapport Lamassoure distingue "la compétence
de droit commun", qui "reste celle des Etats-membres souverains",
et "la zone grise des compétences partagées",
qui à son sens "sera prépondérante".
En cas de litige, il propose que la Cour de justice soit saisie : il
préfère un arbitre juridictionnel, qu'il juge neutre, à
un arbitre politique tel qu'une chambre composée de parlementaires
nationaux, comme l'idée en est également défendue.
Le rapport invite également les Etats membres à mieux associer
leurs régions respectives à l'activité de l'Union,
et à reconnaître un rôle spécifique à celles
qui disposent de compétences législatives.
M. Lamassoure propose, par ailleurs, de clarifier les notions de pouvoir
législatif et de pouvoir exécutif en transposant au niveau
communautaire la hiérarchie des normes (loi-décret) qui a
fait ses preuves en France. Il suggère que "l'autorité
politique", en l'occurrence le Conseil et le Parlement, " fixe
les principes juridiques (la loi)", et que le pouvoir exécutif
se charge des actes administratifs.
Le Parlement européen avait combattu cette proposition lorsqu'elle
avait été présentée par le banquier Alexandre
Lamfalussy, dans un rapport sur la régulation du marché européen
des valeurs mobilières. Les députés veulent participer
à l'élaboration des textes réglementaires, dont ils
estiment qu'ils peuvent être aussi importants que les textes législatifs.
Les socialistes ont fait passer un amendement qui atténue la portée
de la distinction faite par M. Lamassoure.
Rafaële Rivais
La Commission européenne de Romano Prodi ambitionne de devenir
le vrai gouvernement de l'Europe. Elle veut pour cela assumer la conduite
de sa politique étrangère et économique. Tel est le
sens d'une contribution qui est actuellement débattue par les vingt
commissaires et qui doit être adoptée, mercredi 22 mai,
par le collège européen.
Ce texte doit constituer l'apport de la Commission aux travaux de la Convention
sur l'avenir de l'Europe, qui doit formuler d'ici à 2003 des
propositions de réforme de l'Union. Suscitant une vive discussion
interne, il risque d'être amendé. Ces propositions sont tellement
ambitieuses que certains commissaires, à commencer par le Britannique
Chris Patten, chargé des relations extérieures, craignent
qu'elles ne provoquent un rejet de la part de plusieurs capitales.
Il s'agit de regrouper en un seul lieu les attributs d'une Europe-puissance :
la diplomatie, la conduite de la politique économique, l'aide au
développement, dont la gestion a été largement transférée
des Etats membres à la Commission, les négociations commerciales
internationales et environnementales (protocole de Kyoto), lesquelles sont
déjà menées par la Commission. L'idée est de
rassembler en une seule fonction l'autorité politique du Conseil
et les moyens matériels et financiers de la Commission.
Innovation décisive : la Commission veut avoir une "capacité
exclusive d'inititiative politique et un rôle directeur dans la gestion
des crises". Elle veut "proscrire le recours au consensus
et rendre possibles les décisions majoritaires".
UNE OPINION FAVORABLE
Elle part du constat que l'Europe n'arrive pas à exercer sur la scène
internationale une influence en rapport avec sa puissance économique.
Elle estime être sur ce point en accord avec les aspirations des populations
européennes, comme le montrent les enquêtes d'opinion successives
menées par Eurostat. Selon celles-ci, les critiques des citoyens
portent sur l'intrusion de l'Europe dans leur vie de tous les jours (la
chasse en France, etc.), mais les deux tiers d'entre eux veulent une politique
étrangère commune. Ce souhait s'exprime aussi au sein de la
Convention. Son président, Valéry Giscard d'Estaing, estime
indispensable que la Convention "aboutisse à une proposition
concrète en faveur d'une politique extérieure commune".
Ce qui ne veut pas dire que l'ancien président soit en accord avec
la position de la Commission, au contraire :"Le futur Javier
Solana devra être membre du Conseil. Le futur président du
Conseil des ministres de la zone euro aussi", avait-il assuré
dans un entretien au Monde (16 octobre 2001). Il se situe sur
la même ligne que les dirigeants des grands pays, qui ne contestent
pas que les Européens doivent agir et s'exprimer ensemble, mais veulent
que les gouvernements de l'Union gardent la main.
"Nous devons aller plus loin, assurer une meilleure coordination
dans la conduite de la politique étrangère de l'Union, pour
qu'elle parle d'une seule voix. C'est au haut représentant de l'exprimer",
a souligné Jacques Chirac, le 7 mars, dans un discours consacré
à l'Europe.
Le président français veut donner "plus de leadership
politique à l'Europe", mais estime que ce rôle doit
être exercé par le Conseil, qui devrait élire un "président
de l'Europe". Tony Blair épouse totalement ces vues, et
vient de le rappeler par la voix de son ministre des affaires européennes,
Peter Hain : Londres veut un "puissant président de
l'Europe".
METTRE FIN À LA ROTATION
Le prétexte d'une telle évolution est de mettre fin à
la rotation semestrielle des présidences de l'Union, qui, selon M. Chirac,
"ne sera pas viable dans une Europe élargie". Cette
position franco-britannique revient à s'opposer à ce que la
Commission devienne le "gouvernement de l'Europe".
Après la monnaie, les "grands" pays de l'Union ne sont
pas prêts à "communautariser" cet attribut
de la souveraineté des Etats qu'est la politique étrangère.
Dans cette répartition des rôles, la Commission passe sous
silence le fait que le haut représentant est également en
charge de la défense européenne, domaine que nul ne songe
à communautariser. Le texte se borne à indiquer que des "procédures
internes" devront régir les dispositions en matière
de sécurité et de défense, sans préciser qui
devra exercer cette compétence.
Il ne mentionne pas plus la manière dont serait gérée
la force d'action rapide de 60 000 hommes que les Européens
s'efforcent de mettre en place. La Commission ne se prononce pas davantage
sur la question de la représentation de l'Union au sein des grandes
institutions internationales : elle ne dit mot, par exemple, du siège
des puissances nucléaires que sont la France et le Royaume-Uni au
Conseil de sécurité des Nations unies. Elle n'explicite pas
enfin l'articulation des pouvoirs du personnage clé que serait le
futur responsable de la politique extérieure avec ceux des autres
commissaires.
Actuellement, les décisions sont prises sur la base du principe de
"un homme, une voix". "Dans l'Union élargie, il
y aura vingt-cinq commissaires. Que se passera-t-il si les trois Etats baltes,
le Grec et le Maltais font passer une décision contre l'avis du Britannique
et du Français ?", s'interroge un haut fonctionnaire
de la Commission.
Car si, officiellement, les commissaires recherchent l'intérêt
général, dans les faits, ils expriment souvent celui de leurs
pays respectifs. Avec l'élargissement à de nombreux petits
pays, cette dérive risque de s'accentuer, au détriment des
plus grands pays, surtout si le système d'"un commissaire par
Etat" est instauré.
La Commission n'a pas abordé ces sujets, par souci de ne pas déclencher
une guerre de pouvoirs institutionnels. Elle avait le choix entre deux stratégies :
présenter un texte consensuel et tardif, au risque de ne pas être
écoutée ; sortir du bois avec un texte ambitieux, afin
de devenir une référence dans le débat. A moins de
faire marche arrière en début de semaine, elle a opté
pour la seconde solution.
Arnaud Leparmentier et Laurent Zecchini
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Les étapes d'un grand débat
Les propositions de la Commission
européenne s'inscrivent dans un large débat visant à
réorganiser l'architecture institutionnelle et politique de l'Europe
d'ici à 2004, débat dont est en charge la Convention sur l'avenir
de l'Europe.
Présidée par Valéry Giscard d'Estaing
, la Convention a débuté ses travaux le 28 février.
Elle est composée de 105 membres.
Le Parlement
européen a, le 16 mai, adopté ses propositions. Les députés
souhaitent que la conduite de la politique étrangère et de
défense ainsi que la politique d'immigration et de sécurité
transfrontalière relèvent de l'Union.
La Convention a un an
pour formuler ses propositions qui devront être validées par
une conférence intergouvernementale en 2004.
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Le haut représentant et le commissaire
Dans son souci de regrouper les attributs de la politique internationale,
la Commission entend proposer à la Convention la fusion des fonctions
du haut représentant de l'Union chargé de la politique extérieure
et de sécurité, actuellement Javier Solana, avec celles du
commissaire chargé des relations extérieures, actuellement
Chris Patten. Devenant ainsi membre de la Commission (avec le titre de vice-président),
le haut représentant serait choisi d'un commun accord par le président
de la Commission et le Conseil des chefs d'Etat et de gouvernement, ce qui
lui conférerait une double légitimité.
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