Le Parlement européen souhaite que la diplomatie et la défense relèvent de l'Union


· LE MONDE | 17.05.02 | 17h24
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Strasbourg de notre bureau européen

Le Parlement européen demande à la Convention présidée par Valéry Giscard d'Estaing, chargée d'ici à 2003 de redéfinir les missions et le fonctionnement de l'Union européenne, d'inclure la conduite de la politique étrangère et de défense, ainsi que les questions de sécurité intérieure transfrontalières, comme la politique d'immigration, dans les futures compétences de l'Europe. Elles viendraient s'ajouter à celle que l'UE a déjà en propre : la monnaie et les relations commerciales, la gestion du marché intérieur et la concurrence.

Ces propositions ont fait l'objet d'une résolution votée, jeudi 16 mai, à une très large majorité par l'Assemblée réunie à Strasbourg. Elle a obtenu 322 voix contre 64 et 58 abstentions - des eurosceptiques ou des fédéralistes extrêmes. "Compte tenu de la majorité qui a approuvé ce document, la Convention va être dans l'obligation de l'étudier", s'est réjoui l'eurodéputé français Alain Lamassoure, rapporteur du texte au titre de la commission des affaires constitutionnelles, et représentant du Parlement au sein de la Convention.

C'est au lendemain de la signature du traité de Nice que l'Assemblée parlementaire avait décidé de s'autosaisir de la question, et de confier le soin de débroussailler le terrain à l'UDF Alain Lamassoure, ancien ministre délégué aux affaires européennes d'Edouard Balladur. Critiquant la "complexité" des "diplomates" et de leurs "compromis", le rapport estime qu'il y a aujourd'hui un large consensus pour que la politique étrangère devienne une compétence propre de l'Union, idée qui a été défendue à plusieurs reprises ces dernières semaines par M. Giscard d'Estaing.

"L'idée fera frémir les chancelleries, mais elle était déjà littéralement plébiscitée par les opinions publiques avant même le 11 septembre", reconnaît M. Lamassoure dans son exposé des motifs, en évoquant les "épreuves pénibles subies par l'Union et ses Etats membres depuis les années 1990, en ex-Yougoslavie, en Afrique et au Moyen-Orient".

"ZONE GRISE"


Après le vote du Parlement, M. Lamassoure a souligné, non sans satisfaction, que cette proposition n'avait "pas fait l'objet du moindre amendement". De même, le Parlement n'a pas émis de réserves à l'idée que la politique de justice, d'asile et d'immigration, ou que le financement du budget de l'UE s'ajoutent aux compétences propres de l'Union.

A coté de ces domaines de compétence européenne clairement établie, le rapport Lamassoure distingue "la compétence de droit commun", qui "reste celle des Etats-membres souverains", et "la zone grise des compétences partagées", qui à son sens "sera prépondérante". En cas de litige, il propose que la Cour de justice soit saisie : il préfère un arbitre juridictionnel, qu'il juge neutre, à un arbitre politique tel qu'une chambre composée de parlementaires nationaux, comme l'idée en est également défendue. Le rapport invite également les Etats membres à mieux associer leurs régions respectives à l'activité de l'Union, et à reconnaître un rôle spécifique à celles qui disposent de compétences législatives.

M. Lamassoure propose, par ailleurs, de clarifier les notions de pouvoir législatif et de pouvoir exécutif en transposant au niveau communautaire la hiérarchie des normes (loi-décret) qui a fait ses preuves en France. Il suggère que "l'autorité politique", en l'occurrence le Conseil et le Parlement, " fixe les principes juridiques (la loi)", et que le pouvoir exécutif se charge des actes administratifs.

Le Parlement européen avait combattu cette proposition lorsqu'elle avait été présentée par le banquier Alexandre Lamfalussy, dans un rapport sur la régulation du marché européen des valeurs mobilières. Les députés veulent participer à l'élaboration des textes réglementaires, dont ils estiment qu'ils peuvent être aussi importants que les textes législatifs. Les socialistes ont fait passer un amendement qui atténue la portée de la distinction faite par M. Lamassoure.

Rafaële Rivais


La Commission veut devenir un vrai gouvernement de l'Europe


· LE MONDE | 18.05.02 | 12h43

Bruxelles de notre bureau européen

La Commission européenne de Romano Prodi ambitionne de devenir le vrai gouvernement de l'Europe. Elle veut pour cela assumer la conduite de sa politique étrangère et économique. Tel est le sens d'une contribution qui est actuellement débattue par les vingt commissaires et qui doit être adoptée, mercredi 22 mai, par le collège européen.

Ce texte doit constituer l'apport de la Commission aux travaux de la Convention sur l'avenir de l'Europe, qui doit formuler d'ici à 2003 des propositions de réforme de l'Union. Suscitant une vive discussion interne, il risque d'être amendé. Ces propositions sont tellement ambitieuses que certains commissaires, à commencer par le Britannique Chris Patten, chargé des relations extérieures, craignent qu'elles ne provoquent un rejet de la part de plusieurs capitales.

Il s'agit de regrouper en un seul lieu les attributs d'une Europe-puissance : la diplomatie, la conduite de la politique économique, l'aide au développement, dont la gestion a été largement transférée des Etats membres à la Commission, les négociations commerciales internationales et environnementales (protocole de Kyoto), lesquelles sont déjà menées par la Commission. L'idée est de rassembler en une seule fonction l'autorité politique du Conseil et les moyens matériels et financiers de la Commission.

Innovation décisive : la Commission veut avoir une "capacité exclusive d'inititiative politique et un rôle directeur dans la gestion des crises". Elle veut "proscrire le recours au consensus et rendre possibles les décisions majoritaires".

UNE OPINION FAVORABLE

Elle part du constat que l'Europe n'arrive pas à exercer sur la scène internationale une influence en rapport avec sa puissance économique. Elle estime être sur ce point en accord avec les aspirations des populations européennes, comme le montrent les enquêtes d'opinion successives menées par Eurostat. Selon celles-ci, les critiques des citoyens portent sur l'intrusion de l'Europe dans leur vie de tous les jours (la chasse en France, etc.), mais les deux tiers d'entre eux veulent une politique étrangère commune. Ce souhait s'exprime aussi au sein de la Convention. Son président, Valéry Giscard d'Estaing, estime indispensable que la Convention "aboutisse à une proposition concrète en faveur d'une politique extérieure commune".

Ce qui ne veut pas dire que l'ancien président soit en accord avec la position de la Commission, au contraire :"Le futur Javier Solana devra être membre du Conseil. Le futur président du Conseil des ministres de la zone euro aussi", avait-il assuré dans un entretien au Monde (16 octobre 2001). Il se situe sur la même ligne que les dirigeants des grands pays, qui ne contestent pas que les Européens doivent agir et s'exprimer ensemble, mais veulent que les gouvernements de l'Union gardent la main.

"Nous devons aller plus loin, assurer une meilleure coordination dans la conduite de la politique étrangère de l'Union, pour qu'elle parle d'une seule voix. C'est au haut représentant de l'exprimer", a souligné Jacques Chirac, le 7 mars, dans un discours consacré à l'Europe.

Le président français veut donner "plus de leadership politique à l'Europe", mais estime que ce rôle doit être exercé par le Conseil, qui devrait élire un "président de l'Europe". Tony Blair épouse totalement ces vues, et vient de le rappeler par la voix de son ministre des affaires européennes, Peter Hain : Londres veut un "puissant président de l'Europe".

METTRE FIN À LA ROTATION

Le prétexte d'une telle évolution est de mettre fin à la rotation semestrielle des présidences de l'Union, qui, selon M. Chirac, "ne sera pas viable dans une Europe élargie". Cette position franco-britannique revient à s'opposer à ce que la Commission devienne le "gouvernement de l'Europe".

Après la monnaie, les "grands" pays de l'Union ne sont pas prêts à "communautariser" cet attribut de la souveraineté des Etats qu'est la politique étrangère. Dans cette répartition des rôles, la Commission passe sous silence le fait que le haut représentant est également en charge de la défense européenne, domaine que nul ne songe à communautariser. Le texte se borne à indiquer que des "procédures internes" devront régir les dispositions en matière de sécurité et de défense, sans préciser qui devra exercer cette compétence.

Il ne mentionne pas plus la manière dont serait gérée la force d'action rapide de 60 000 hommes que les Européens s'efforcent de mettre en place. La Commission ne se prononce pas davantage sur la question de la représentation de l'Union au sein des grandes institutions internationales : elle ne dit mot, par exemple, du siège des puissances nucléaires que sont la France et le Royaume-Uni au Conseil de sécurité des Nations unies. Elle n'explicite pas enfin l'articulation des pouvoirs du personnage clé que serait le futur responsable de la politique extérieure avec ceux des autres commissaires.

Actuellement, les décisions sont prises sur la base du principe de "un homme, une voix". "Dans l'Union élargie, il y aura vingt-cinq commissaires. Que se passera-t-il si les trois Etats baltes, le Grec et le Maltais font passer une décision contre l'avis du Britannique et du Français ?", s'interroge un haut fonctionnaire de la Commission.

Car si, officiellement, les commissaires recherchent l'intérêt général, dans les faits, ils expriment souvent celui de leurs pays respectifs. Avec l'élargissement à de nombreux petits pays, cette dérive risque de s'accentuer, au détriment des plus grands pays, surtout si le système d'"un commissaire par Etat" est instauré.

La Commission n'a pas abordé ces sujets, par souci de ne pas déclencher une guerre de pouvoirs institutionnels. Elle avait le choix entre deux stratégies : présenter un texte consensuel et tardif, au risque de ne pas être écoutée ; sortir du bois avec un texte ambitieux, afin de devenir une référence dans le débat. A moins de faire marche arrière en début de semaine, elle a opté pour la seconde solution.

Arnaud Leparmentier et Laurent Zecchini
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Les étapes d'un grand débat


Les propositions de la Commission

européenne s'inscrivent dans un large débat visant à réorganiser l'architecture institutionnelle et politique de l'Europe d'ici à 2004, débat dont est en charge la Convention sur l'avenir de l'Europe.

Présidée par Valéry Giscard d'Estaing

, la Convention a débuté ses travaux le 28 février. Elle est composée de 105 membres.

Le Parlement

européen a, le 16 mai, adopté ses propositions. Les députés souhaitent que la conduite de la politique étrangère et de défense ainsi que la politique d'immigration et de sécurité transfrontalière relèvent de l'Union.

La Convention a un an

pour formuler ses propositions qui devront être validées par une conférence intergouvernementale en 2004.


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Le haut représentant et le commissaire


Dans son souci de regrouper les attributs de la politique internationale, la Commission entend proposer à la Convention la fusion des fonctions du haut représentant de l'Union chargé de la politique extérieure et de sécurité, actuellement Javier Solana, avec celles du commissaire chargé des relations extérieures, actuellement Chris Patten. Devenant ainsi membre de la Commission (avec le titre de vice-président), le haut représentant serait choisi d'un commun accord par le président de la Commission et le Conseil des chefs d'Etat et de gouvernement, ce qui lui conférerait une double légitimité.


La Convention* s'interroge sur le rôle des Parlements nationaux


· LE MONDE | · ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 08.06.02

Bruxelles de notre bureau européen

A quoi servent les Parlements nationaux en Europe ? La question n'est pas posée aussi crûment. Mais c'est au fond le sujet dont devait débattre vendredi 7 juin la Convention sur l'avenir de l'Europe présidée par Valéry Giscard d'Estaing, alors que les Français sont appelés à élire leurs députés dimanche 9 juin.

Plus l'intégration européenne progresse, plus les prérogatives des députés nationaux se réduisent. Leur pouvoir essentiel consiste à faire - plus rarement défaire - des gouvernements qui iront ensuite négocier des lois à Bruxelles avec les autres partenaires européens. Les Parlements nationaux se sont largement transformés en chambre d'enregistrement des directives européennes, sur lesquelles ils n'ont plus leur mot à dire. Les députés votent encore le budget, mais, depuis l'euro, il est strictement encadré par le pacte de stabilité. Certes, ils ont encore la haute main sur les sujets de société, l'éducation, le social, mais leur pouvoir sur des domaines aussi régaliens que la justice et l'immigration risque de se réduire avec la progression de l'intégration européenne.

Cette situation est criante en France, où le Parlement est structurellement faible sous la Ve République, elle l'est moins dans certains Etats membres, comme le Danemark, les Pays-Bas, l'Autriche, la Finlande, où les Parlements nationaux accordent un mandat de négociation au représentant de leur gouvernement avant que ce dernier participe aux travaux du conseil. Globalement, l'affaiblissement des Parlements nationaux conduit toutefois à un "déficit démocratique" que la Convention doit résoudre. Il convient de leur trouver un rôle dans l'architecture européenne.

Une piste consiste à vérifier que les projets de directives proposées par la Commission sont conformes au principe de subsidiarité, en clair qu'on ne prend pas au niveau européen des lois qui devraient être élaborées au niveau national. Depuis dix ans, les Lãnder allemands se plaignent de voir leurs compétences rognées et par le niveau fédéral et par Bruxelles. Un contrôle a posteriori existe déjà et est exercé par la Cour de justice de Luxembourg, qui a par exemple annulé en 2000 une directive contrôlant la publicité sur le tabac, la santé n'étant pas de la compétence de l'Union. Mais un contrôle a priori permettrait de tempérer le zèle législateur de Bruxelles.

NOUVELLE INSTITUTION

Il convient aussi de remettre les Parlementaires nationaux dans le bain européen. "Les députés français vivent dans des catégories européennes qui sont celles des années 1970", estime un eurodéputé français. Une idée, développée fin 2001 par le Français Michel Barnier, commissaire européen, a été de faire accompagner les ministres européens chacun par deux parlementaires nationaux, lorsqu'ils élaborent des lois européennes en conseil des ministres.

Le député européen français Jean-Louis Bourlanges estime qu'il faut veiller à ne pas opposer Parlements nationaux et européens. L'idée a été avancée d'un congrès, comportant des députés nationaux et européens, qui pourrait se réunir dans les occasions rares mais importantes : l'élection du président de la Commission, la définition des ressources financières de l'Union, les réformes de la future Constitution européenne.

Le Conseil européen de Laeken s'est demandé, en décembre 2001, si ces derniers doivent être "représentés dans une nouvelle institution, à côté du Conseil et du Parlement". Mais le Parlement européen ne veut pas en entendre parler : dans un rapport du socialiste italien Giorgio Napolitano voté en février par 424 voix contre 30, il affirme que cette troisième Chambre "ne servirait qu'à diluer le processus législatif communautaire au détriment de la démocratie et de la transparence". Et il appelle les députés nationaux à mieux contrôler leurs gouvernements respectifs.

Arnaud Leparmentier et Rafaële Rivais
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Le droit de regard du Parlement français

Les parlementaires français n'ont obtenu un droit de regard sur les décisions prises par le gouvernement dans le cadre de l'Union européenne et comportant des implications législatives qu'en 1992, à l'occasion de la révision constitutionnelle préalable à la ratification du traité de Maastricht. Cette révision a ancré dans la Constitution un nouvel article 88-4, qui demande au gouvernement de soumettre à l'Assemblée nationale et au Sénat, "dès leur transmission au Conseil des Communautés, les propositions d'actes communautaires comportant des dispositions de nature législative". Il autorise les deux Assemblées à voter à leur propos des résolutions.

Cet article, comme le souligne un rapport de l'Assemblée en 1998, n'est cependant qu'"un mécanisme de consultation sur une politique européenne qui demeure de la responsabilité de l'exécutif".

* Convention : Convention sur l'avenir de l'Europe présidée par Valéry Giscard d'Estaing


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