Appel à la commémoration du 60e anniversaire du Programme
du Conseil national de la Résistance du 15 mars 1944
L'Appel des Résistants
Le dimanche 14 mars 2004.
Au moment où nous voyons remis en cause le socle des conquêtes
sociales de la Libération, nous, vétérans des mouvements
de Résistance et des forces combattantes de la France Libre (1940-1945),
appelons les jeunes générations à faire vivre et à
transmettre l'héritage de la Résistance et ses idéaux
toujours actuels de démocratie économique, sociale et culturelle.
Soixante ans plus tard, le nazisme est vaincu, grâce au sacrifice
de nos frères et soeurs de la Résistance et des nations unies
contre la barbarie fasciste. Mais cette menace n'a pas totalement disparu
et notre colère contre l'injustice est toujours intacte.
Nous appelons, en conscience, à célébrer l'actualité
de la Résistance, non pas au profit de causes partisanes ou instrumentalisées
par un quelconque enjeu de pouvoir, mais pour proposer aux générations
qui nous succéderont d'accomplir trois gestes humanistes et profondément
politiques au sens vrai du terme, pour que la flamme de la Résistance
ne s'éteigne jamais :
Nous appelons d'abord les éducateurs, les mouvements sociaux, les
collectivités publiques, les créateurs, les citoyens, les
exploités, les humiliés, à célébrer ensemble
l'anniversaire du programme du Conseil national de la Résistance
(C.N.R.) adopté dans la clandestinité le 15 mars 1944 :
Sécurité sociale et retraites généralisées,
contrôle des « féodalités économiques »,
droit à la culture et à l'éducation pour tous, presse
délivrée de l'argent et de la corruption, lois sociales ouvrières
et agricoles, etc. Comment peut-il manquer aujourd'hui de l'argent pour
maintenir et prolonger ces conquêtes sociales, alors que la production
de richesses a considérablement augmenté depuis la Libération,
période où l'Europe était ruinée ? Les
responsables politiques, économiques, intellectuels et l'ensemble
de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser
impressionner par l'actuelle dictature internationale des marchés
financiers qui menace la paix et la démocratie. Nous appelons ensuite
les mouvements, partis, associations, institutions et syndicats héritiers
de la Résistance à dépasser les enjeux sectoriels,
et à se consacrer en priorité aux causes politiques des injustices
et des conflits sociaux, et non plus seulement à leurs conséquences,
à définir ensemble un nouveau « Programme de Résistance »
pour notre siècle, sachant que le fascisme se nourrit toujours du
racisme, de l'intolérance et de la guerre, qui eux-mêmes se
nourrissent des injustices sociales.
Nous appelons enfin les enfants, les jeunes, les parents, les anciens et
les grands-parents, les éducateurs, les autorités publiques,
à une véritable insurrection pacifique contre les moyens de
communication de masse qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse
que la consommation marchande, le mépris des plus faibles et de la
culture, l'amnésie généralisée et la compétition
à outrance de tous contre tous. Nous n'acceptons pas que les principaux
médias soient désormais contrôlés par des intérêts
privés, contrairement au programme du Conseil national de la Résistance
et aux ordonnances sur la presse de 1944.
Plus que jamais, à ceux et celles qui feront le siècle qui
commence, nous voulons dire avec notre affection : « Créer,
c'est résister. Résister, c'est créer ».
Signataires :
Lucie Aubrac, Raymond Aubrac, Henri Bartoli, Daniel Cordier, Philippe
Dechartre, Georges Guingouin, Stéphane Hessel, Maurice Kriegel-Valrimont,
Lise London, Georges Séguy, Germaine Tillion, Jean-Pierre Vernant,
Maurice Voutey.