Le CNR, né dans la clandestinité le 27 mai 1943 sous la présidence
de Jean Moulin, adopta à l'unanimité le 15 mars 1944 un programme
ambitieux publié clandestinement sous le titre 'Les jours heureux'.
La première partie de ce programme est consacrée aux mesures
destinées à assurer la victoire.
La seconde partie développe un projet social ambitieux, résumant
les valeurs de la Résistance.
" Née de la volonté ardente des Français de refuser
la défaite, la Résistance n'a pas d'autre raison d'être
que la lutte quotidienne intensifiée. Cette mission de combat ne
doit pas prendre fin à la Libération. Ce n'est, en effet,
qu'en regroupant toutes ses forces autour des aspirations quasi unanimes
de la Nation, que la France retrouvera son équilibre moral et social
et redonnera au monde l'image de sa grandeur et la preuve de son unité.
Aussi , les représentants des organisations de Résistance,
des centrales syndicales et des partis ou tendances politiques groupés
au sein du C.N.R., délibérant en assemblée plénière
le 15 mars 1944, sont-ils décidé de s'unir sur le programme
suivant, qui comporte à la fois un plan d'action immédiate
contre l'oppresseur et les mesures destinées à instaurer,
dès la libération du territoire, un ordre social plus juste
(...) "
" Unis quant au but à atteindre, unis quant aux moyens à
mettre en oeuvre pour atteindre ce but qui est la libération rapide
du territoire, les représentants des mouvements, groupements, partis
ou tendances politiques groupés au sein du C.N.R., proclament qu'ils
sont décidés à rester unis après la libération
:
1. Afin d'établir le gouvernement provisoire de la République
formé par le général de Gaulle pour défendre
l'indépendance politique et économique de la nation, rétablir
la France dans sa puissance, dans sa grandeur et dans sa mission universelle.
2. Afin de veiller au châtiment des traîtres et à l'éviction
dans le domaine de l'administration et de la vie professionnelle. de tous
ceux qui auront pactisé avec l'ennemi ou qui se seront associés
activement à la politique des gouvernements de collaboration
3. Afin d'exiger la confiscation des biens des traîtres et des trafiquants
de marché noir, l'établissement d'un impôt progressif
sur les bénéfices de guerre et plus généralement
sur les gains réalisés au détriment du peuple et de
la nation pendant la période d'occupation (...)
4. Afin d'assurer l'établissement de la démocratie la plus
large en rendant la parole au peuple français par le rétablissement
du suffrage universel; la pleine liberté de pensée, de conscience
et d'expression; la liberté de la presse, son honneur et son indépendance
à l'égard de l'Etat, des puissances d'argent et des influences
étrangères; la liberté d'association, de réunion
et de manifestation; l'inviolabilité du domicile et le secret de
la correspondance, le respect de la personne humaine; l'égalité
absolue de tous les citoyens devant la loi.
5. Afin de promouvoir les réformes indispensables :
- sur le plan économique : l'instauration d'une véritable
démocratie économique et sociale une organisation rationnelle
de l'économie assurant la subordination des intérêts
particuliers à l'intérêt général et affranchie
de la dictature professionnelle instaurée à l'image des Etats
fascistes-(...
- sur le plan social : le droit au travail et le droit au repos (...) et
la garantie d'un niveau de salaire et de traitement qui assure à
chaque travailleur et à sa famille la sécurité, la
dignité et la possibilité d'une vie pleinement humaine; la
reconstitution, dans ses libertés traditionnelles, d'un syndicalisme
indépendant (...) un plan complet de sécurité sociale
(...) avec gestion appartenant aux représentants des intéressés
et de l'Etat; la sécurité de l'emploi, la réglementation
des conditions d'embauchage et de licenciement, une retraite permettant
aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours; le dédommagement
des sinistrés et allocations et pensions pour les victimes de la
terreur fasciste. (...)
- une extension des droits politiques, sociaux et économiques des
populations indigènes et coloniales.
- la possibilité effective pour tous les enfants français
de bénéficier de l'instruction et d'accéder à
la culture la plus développée, quelle que soit la situation
de fortune de leurs parents, afin que les fonctions les plus hautes soient
réellement accessibles à tous ceux qui auront les capacités
requises pour les exercer et que soit ainsi promue une élite véritable,
non de naissance mais de mérite, et constamment renouvelée
par les apports populaires.
Ainsi sera fondée une République nouvelle qui balaiera le
régime de basse réaction instauré par Vichy et qui
rendra aux institutions démocratiques et populaires l'efficacité
que leur avaient fait perdre les entreprises de corruption et de trahison
qui ont précédé la capitulation (...)"