Les figures "vont en ondoyant " dit Diderot. Prenez les têtes des personnages,
reliez-les par une ligne, vous obtenez en effet comme un dessin de vagues.
les figures vont " en pyramidant" dit Diderot. La composition pyramidale est
la forme de composition la plus utilisée depuis la Renaissance. Dans ces compositions pyramidales
les personnages sont disposés de façon à ce que leur
corps reconstituent une sorte de pyramide dont le sommet est situé
sur la médiane verticale du tableau. (Dans votre recherche vous en
avez vu de magnifiques exemples avec le portrait du chancelier Séguier,
ou encore dans "la vierge aux rochers " de Vinci
ou encore "la belle jardinière " de Raphael)
.Ici dans ce tableau de Greuze, on peut déceler plusieurs " pyramides "
:
celle dont la tête du fiancé, bien isolée sur le mur
du fond (n'est-il pas encore l'étranger dans la famille) est le sommet
et dont les côtés vont rejoindre les angles infé;rieurs du
tableau.
Mais la pyramide principale est plus grande, elle aussi a pour axe la médiane
verticale. Son sommet est l'étoffe retombante de l'étagère
(à rapprocher de l'étoffe rouge de la mort de la Vierge ou
des parasols du chancelier , n'est pas là aussi une sorte de dais,
bien modeste certes, mais dont le rôle de mise en valeur du sujet
principal reste le même ?). Les cotés de cette pyramide voient
s'aligner six personnages (quatre à gauche, deux à droite).
Autre pyramide bien visible constituée par les trois personnages
de droite.
Autre encore celle à gauche dont la fiancée occupe le sommet,
mais dont le coté droit plus raide passant par les mains des fiancés
va rejoindre le bas de la médiane centrale.
Remarquez aussi que l'angle du mur à gauche correspond exactement
au petit coté rabattu sur le grand, ce qui délimite un vaste
carré. La lumière qui vient du haut à gauche est parallèle
à un coté de ces pyramides, elle éclaire de face le
visage du père qui semble ainsi invoquer le ciel pour qu'il protège
cette union.
Le fiancé est aussi le personnage qui relie les deux groupes de personnages:
car si sa tête se détache isolée, son bras droit enlace
celui de sa "promise". Cela exprime le sentiment d'amour des deux
jeunes gens. La fiancée, ne touche la peau du jeune homme que du
bout de deux doigts (contraste avec l'étreinte qu'elle reçoit
de sa mère et de sa soeur). L'autre main du jeune homme tient le
sac d'écus, elle est comprise entre les deux mains tendues du père.
Expression du contrat que consigne le notaire (tabellion) assis à
la table.
Vous pourriez trouver un autre itinéraire de lecture en suivant les
directions des regards., tous suivent des lignes obliques qui renforcent
la structure pyramidale de l'ensemble.
la plupart convergent vers le fiancé, la promise et sa soeur regardent
au sol. Les deux enfants regardent les poussins.
L'ensemble de la scène, mur du fond, personnages se déroule
en parallèle au plan du tableau. L'artiste, comme Poussin et Le Brun
recherche la frontalité. Les couleurs, où dominent gris bleu
et ocre, sont simplement rehaussées d'un rouge rompu et de blanc
(symbolisant la pureté et l'innocence sur les vêtements de
la fiancée). Les couleurs comme la composition ont donc une allure
classique. (les toiles de Watteau et Boucher au contraire, fuient la frontalité,
leurs scènes sont des morceaux d'espace oblique, d'un angle proche
au premier plan on s'enfonce, à l'angle opposé, dans les lointains.
Et la gamme des couleurs chaudes est largement développée.
)
Dans cette oeuvre c'est le réalisme de la représentation qui
a touché Diderot. Contrairement au tableau de Boucher où l'on
ne peut imaginer de rencontrer de frêles jeunes filles à la
peau aussi fragile, nues dans la forêt, celui de Greuze se situe dans
un cadre vraisemblable, celui de la maison modeste mais déjà
confortable d'un "laboureur", les vêtements sont ceux des
paysans de l'époque. Mais pour Diderot ce réalisme n'aurait
que peu de valeur s'il ne servait à exprimer les sentiments. C'est
le "pathétique" qui est à ses yeux la vrai valeur
de cette oeuvre. Mais c'est pourtant ce "pathétique" qui
la rend moins réaliste, car l'artiste a dû rassembler en un
seul moment des expressions, des attitudes qui n'ont pu, au mieux, que se
succéder dans le temps. D'ailleurs malgré l'apparente autonomie
des figures Diderot dit bien "chacune fait ce qu'elle doit". C'est
donc, sous les apparences du réalisme, une scène codifiée
aux attitudes conventionnelles, qui n'est au fond pas plus naturelle que
celle de Boucher. Mais son sujet n'a plus la superficialité un peu
friponne du peintre rococo, mais la gravité attendrie du peintre
social, ami de la vertu et du devoir.