Semaine de la Presse 26 mars 2003.
rencontre des élèves de 3ème D avec Pierre Perrin,
photographe de presse. Agence Witness.
Pierre Perrin a toujours travaillé en agence d'abord à
Sud-Ouest, puis Gamma, puis Sygma, enfin il a monté son agence personnelle.
Une pratique professionnelle de plus de vingt ans.
D'abord photographe de "news" pendant dix ans, il a notamment
couvert la guerre Iran-Irak , etc.
Puis dans les dix dernières années Pierre Perrin s'est tourné
vers la photo "magazine" c'est à dire une photo moins liée
à l'actualité éphémère mais plutôt
aux conditions de vie des gens et de la société.
Le parcours d'une photo de presse.
* Elle est prise par un individu, elle résulte d'un choix
qui extrait un aspect, un détail de la réalité d'une
situation à un moment donné. Ce détail peut être
pertinent et résumer cette réalité ou bien au contraire
n'être qu'anecdotique
* Elle doit être transmise le plus rapidement possible. Actuellement
transmission immédiate par téléphone satellite. Aspect
positif: rapidité, mais aspect négatif: manque de temps pour
réfléchir sur le sens des images reçues et leur rapport
à la situation. Aller vite signifie souvent aller trop vite et diffuser
des interprétations erronées. Actuellement avec la guerre
en Irak, il arrive qu'une information soit diffusée au journal télévisé
de 13h, et que l'on n'en parle plus à celui de 20 heures, car elle
s'est révélée fausse... A la radio qui a des flashs
* La photo est éphémère, c'est un "instantané".
Elle peut se dévaloriser rapidement. D'où l'importance de
la rapidité de transmission. Des photos de Britanniques assiègeant
Bassorah aujourd'hui, n'auront plus d'intérêt demain si la
ville a été prise. Les médias voudront alors des images
de Britanniques DANS Bassorah. Les photos précédentes
n'auront plus qu'une valeur "historique".
* Une fois transmise, la photo est sélectionnée ou non par
la rédaction. Le type sur le terrain (photographe ou rédacteur)
ne voit pas l'ensemble de la situation mais ce qu'il a sous les yeux; l'agence
à Paris, elle, a une vue plus globale de l'ensemble de la situation
et peut guider l'activité des journalistes et photographes sur le
terrain, pour rechercher telle précision importante ou avoir tel
cliché plus représentatif de la situation à un moment
donné.
Il est important de faire le tri entre propagande et information...
"Il existe une vraie guerre de l'information"
Le cas de la ville irakienne de Bassorah...
Les Britanniques qui encerclent la ville disent qu'il y a un soulèvement
populaire contre le régime irakien dans la ville. La télévision
du Qatar "Al Jezirah" qui a des correspondants dans la ville affirme
qu'il n'y a pas de soulèvement... Qui croire ? Affirmer qu'il y a
soulèvement justifie davantage l'offensive britannique, ils porteraient
ainsi secours aux populations soulevées... Dire le contraire, conforte
au contraire l'idée d'une invasion militaire illégitime.
Lorsqu'après avoir entendu l'annonce de ce "soulèvement"
on diffuse des images prises à la périphérie de Bassorah
de quelques enfants souriant à des soldats britanniques qui leurs
donnent des cadeaux , cela fait passer l'idée que les Anglais sont
bien accueillis et cela confirme l'idée du soulèvement populaire.
contre le régime. Alors que rien ne le prouve.
La coalition a besoin de ce genre d'images, images de soldats américains
distribuant des rations aux populations civiles : images positives nécessaires
et recherchées pour légitimer leur offensive.
Autre exemple l'annonce de la découverte d'une usine d'armes chimiques
va dans le même sens, mais aucune image n'en a été diffusée.
Cette absence d'image doit inciter à la méfiance. En effet,
cette information a disparu les jours suivants car fausse, mais elle a contribué
à entretenir la thèse américaine de la détention
de telles armes par l'Irak.
La règle n°1 est donc de ne pas avaler tout ce que l'on voit
et entend au journal de 20 heures ou ailleurs.
Par exemple CNN est devenue une chaîne totalement inféodée
au régime américaine et les informations diffusées
ne sont plus objectives.
Il faut donc multiplier les sources d'information: si la plupart des médias
donnent la même info on peut penser qu'elle est juste, s'il y a plusieurs
versions on doit se méfier.
Photo d'un soldat américain donnant à boire à un prisonnier
irakien, image déjà vu lors de la guerre du Vietnam. Ce genre
d' image sert de caution à la guerre, font passer le message que
les soldats sont empreints d'humanité, s'ils sont là-bas c'est
pour aider les gens...
La polysémie d'une photo ( la pluralité des lectures possibles
d'une photo).
Pendant la guerre du Salvador, le Figaro magazine avait publié une
photo montrant un tas de cadavres en train de brûler avec une légende
disant que c'était le fait de l'extrême droite locale. En réalité,
c'était la Croix rouge qui brûlait ces corps après des
combats pour éviter les épidémies. Le magazine a dû
rectifier après intervention du photographe contestant cette attribution
érroné.
La grande nouveauté du conflit actuel en Irak est l'intégration
de journalistes dans les unités américaines. L'objectif des
Américains donner une bonne image de leurs troupes, mais les journalistes
sont aux ordres et ils ne peuvent montrer que ce qu'autorisent les officiers.
Dans le travail de "News" il n'y a pas de temps de réflexion.
Le travail de "Magazine", au contraire la permet : on raconte
une histoire à sa manière. Dans le "News" le photographe
doit savoir comment se placer et doit anticiper sur ce qui va se passer.
"J'ai beaucoup couvert la guerre Iran-Irak, côté irakien.
Nous n'étions pas intégrés à l'armée,
mais quand même très manipulés. Les Irakiens nous amenaient
au front quand ils étaient en train de gagner. Côté
iranien même chose : Exemple un petit bled à côté
de Um Qasr, un trou au milieu de nulle part avec une poignée d'habitants
, quand les Iraniens avaient réussi à s'en emparer parfois
pour quelques heures seulement, ils y amenaient tout de suite les journalistes
pour y voir le drapeau iranien flotter. Une semaine plus tard c'était
au tour des Irakiens d'y amener les journalistes après la reprise
éphémère de la bourgade... et ainsi de suite.
Dans ce type de situation de guerre il y a un sentiment très porteur,
celui de participer à l'histoire, celui de sentir utile, c'est à
dire photographier des enfants en larmes, des blessés, bref la cruauté
de la guerre."
Avez-vous peur lors de ces reportages de guerre ? demande un élève.
"Lorsque l'on vise dans la caméra on est très détaché
de la réalité, de l'environnement, J'ai le vertige, si je
regarde par la porte ouverte d'un hélicoptère Moi j'ai le
vertige, si je regarde dans mon appareil je n'ai plus du tout le vertige.
Car en fait mon oeil se cale sur le viseur. Il n'y a plus de notion d'infini
mon oeil regarde dans mon appareil à 5 centimètres de mon
oeil, c'est à dire qu'on n'est pas enveloppé par l'environnement.
On a moins peur quand on regarde dans un appareil photo. Dans un combat
c'est pareil."
Dans ces situations de combat ou de prise d'une bourgade comment choisissez-vous
ce que vous allez photographier ?
"Cela dépend surtout de l'individu. Certains photographes iront
directement sur la population civile en se disant c'est ça qui est
important: les gens qui ont été bombardés ou qui ont
été libérés. Pour d'autres ce qui sera important
ce sera l'exploit militaire des soldats, ils cadreront alors les soldats
en premier plan et la foule en arrière. On peut aussi être
attiré par ce qui apparait anormal, la maigreur des gens par exemple.
C'est une question de regard. Certains iront sur les blessés, d'autres
sur d'éventuelles manifestations de joie.
Les dangers du métier?
P. Perrin fut plusieurs fois arrêté, notamment en Pologne lorsqu'il
couvrait l'activité du syndicat "Solidarité".
Puis Pierre Perrin nous a parlé de son travail de "magazine"
qu'il exerce depuis 10 ans maintenant. Pour l'illustrer il nous a montré
l'ouvrage "Nomades" qu'il a réalisé avec Jean-Christophe
Grangé. Cest un témoignage sur six tribus nomades vivant aux
quatre coins de la planète comme les Esquimaux , les Pygmés,
les Touaregs, etc. En vivant parmi eux et comme eux pendant un mois chaque
fois, Pierre Perrin et J.C. Grangé ont rapporté de précieux
et émouvants documents. sur ces sociétés. Sociétés
aujourd'hui menacées de disparition rapide par la pression du monde
moderne. Mais l'harmonie de leur organisation en parfait accord avec les
équilibres naturels, est une vivante leçon de modestie pour
notre monde dit "développé".
Notre rencontre s'est terminée par quelques photos que Pierre Perrin
a prises de la classe.