La nouvelle ambition japonaise : la puissance militaire
Pour la première fois depuis la défaite de 1945, des soldats
japonais ont repris du service en zone de combat. Le Japon vient d'envoyer
à Samawa (sud de l'Irak) une centaine d'hommes en avant-garde du
millier qui y sera déployé avant la fin mars, dans le cadre
d'opérations de reconstruction et d'aide humanitaire.
L'envoi de ces troupes est la première étape à un changement
majeur du rôle des forces armées japonaises qui se double d'un
renforcement de l'arsenal défensif de l'Archipel. Deux développements
qui visent à faire du Japon une puissance à même d'exercer
les prérogatives militaires d'un Etat souverain - dont il s'était
amputé avec l'article 9 de sa Constitution par lequel il renonce
à la guerre -, et constituent le prélude à la révision
de la Loi fondamentale mise à l'étude par le gouvernement
Koizumi.
(...)
La guerre froide avait certes infléchi l'esprit de l'article 9
: sous la pression des Etats-Unis qui, après avoir désarmé
l'Archipel et rédigé sa Loi fondamentale, avaient décidé
d'en faire la clef de voûte de leur stratégie dans le Pacifique,
fut mise sur pied une police paramilitaire de 75 000 hommes lors du
déclenchement de la guerre de Corée (1950), dans laquelle
le Japon servit de base arrière aux forces américaines. Renforcée
d'une marine et d'une aviation, elle sera à l'origine, en 1954, des
forces d'autodéfense (FAD). Comme leur nom l'indique, celles-ci ont
été conçues comme des forces supplétives dont
la mission était limitée à la défense du territoire
national.
(...)
le Japon a commencé à se projeter davantage à l'extérieur.
Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, il apporte, depuis 2001,
un soutien logistique aux Américains en Afghanistan. Puis, en juillet
2003, il a décidé d'envoyer un millier d'hommes en Irak.
Loin d'être une mesure exceptionnelle, ce déploiement à
l'étranger, sans l'aval des Nations unies et dans une zone dont il
est difficile de dire qu'elle est de "non-combat", est le prélude
à des opérations futures : "Si la mission en
Irak est un succès, elle servira de modèle à des opérations
analogues appelées à devenir l'une des tâches principales
des FAD", a déclaré le directeur de l'agence de défense
Shigeru Ishiba.
(...)
les FAD, qui comptent aujourd'hui 250 000 hommes, disposent du troisième
budget du monde. (...)
Enfin, sujet tabou, l'armement nucléaire n'est plus une hypothèse
exclue d'entrée de jeu du débat sur les scénarios défensifs
du Japon.
(...)
Les FAD sont une armée dont on ignore les capacités opérationnelles
: elles seront testées en Irak. Mais leur déploiement
annonce surtout un changement profond de la posture militaire du Japon :
alors que son pacifisme en faisait une exception parmi les grandes puissances,
il se normalise, sous la houlette des Etats-Unis, non sans susciter des
appréhensions de la part de ses voisins asiatiques : "Le
Japon entend montrer qu'il est une puissance non seulement économique
mais aussi militaire", commentait récemment l'agence Chine
nouvelle.
Il y a tout juste un siècle, le 8 février 1904, le Japon
coulait l'escadre russe dans la rade de Port-Arthur (actuellement Lu Shun)
en Chine. Un an plus tard, il remportait sa première victoire sur
une nation européenne et faisait son entrée sur la scène
mondiale revendiquant un statut d'égalité avec les plus grandes
puissances de l'époque. A un siècle de distance, à
pas plus feutrés et avec certes d'autres ambitions, Tokyo repense
sa place sur l'échiquier mondial.
Philippe Pons
extraits d'un article paru dans le Monde daté du 12 février
2004