La constitution du Qatar approuvée par référendum le 29 avril 2003
par Olivier Da Lage*
Le 29 avril 2003, les électeurs du Qatar1 ont approuvé par référendum le projet de constitution soumis par lémir, cheikh Hamad ben Khalifa Al Thani. Symboliquement, cest le même jour que le secrétaire américain à la défense Donald Rumsfeld a annoncé le transfert des militaires américains présents sur la base Prince Sultan dAl Kharj près de Ryad vers celle dOudeïd au Qatar. Il est tentant dy voir les deux facettes de la nouvelle donne dans le Golfe au lendemain de la guerre dIrak. En réalité, louverture politique dont témoigne ladoption de la nouvelle constitution sinscrit dans une tendance initiée bien avant les perspectives dune intervention militaire américaine en Irak et sétend à lensemble des monarchies du Golfe, quoique de façon différenciée.
La nouvelle constitution, à laquelle travaillaient juristes et responsables
gouvernementaux depuis 1998, remplace la constitution provisoire, promulguée
par son père avant lindépendance en 1970 et amendée
le 19 avril 1972. Ladoption de la nouvelle constitution sinscrit
dans le mouvement de libéralisation initié par cheikh Hamad depuis
quil a renversé son père en juin 1995. Le nouvel émir
avait en effet aboli la censure et supprimé le ministère de lInformation.
Puis, en novembre 1996, il a lancé la télévision par satellite
Al Jazira, dont la liberté de ton a bouleversé le paysage
médiatique au Moyen-Orient et substantiellement changé le débat
politique dans le monde arabe. En mars 1999, il organisait les premières
élections municipales au suffrage universel, les femmes étant
autorisées non seulement à voter mais à se présenter.
Cheikh Hamad avait promis de poursuivre avec ladoption dune constitution
ouvrant la voie à lélection dun parlement. Le scrutin
législatif devrait avoir lieu dans le courant de lannée
2004. Il est à noter que, contrairement à ce que lon a pu
observer au Koweït en 1989-1990 ou à Bahreïn durant lintifada
chiite (1994-1999), louverture politique ne procède pas au Qatar
dune demande de la société : si lon ose dire, la démocratisation
a été octroyée par le souverain pour des raisons qui tiennent
à la fois à des considérations internes et diplomatiques.
Sur le plan intérieur, cheikh Hamad a publiquement déclaré
quil avait choisi danticiper sur des demandes inéluctables
; dun point de vue international, lémir du Qatar, engagé
dans une partie diplomatique compliquée avec nombre de pays arabes et
notamment lArabie Saoudite, a grand besoin de lappui américain
qui ne lui a jamais fait défaut depuis son accession au pouvoir. De ce
point de vue, la mise en uvre de réformes politiques, tout comme
louverture de quasi-relations diplomatiques avec Israël, ne peut
que consolider la position du Qatar à Washington.
Certes, comme on la dit, cest une « démocratisation
octroyée » et rien nindique quelle soit irréversible.
En revanche, on ne peut manquer de constater quelle a suscité,
ou accéléré une émulation vertueuse dans les autres
monarchies de la Péninsule arabique, notamment dans larchipel voisin
(et rival) du Bahreïn. Succédant à son père mort dune
crise cardiaque en mars 1999, le nouvel émir du Bahreïn cheikh Hamad
ben Isa Al Khalifa a mis fin au soulèvement chiite en libérant
les détenus politiques, en amnistiant les dirigeants de lopposition
en exil et en les recevant au palais. Dans la foulée, il annonçait
en décembre 2000 une charte nationale, soumise à référendum
le 14 février 2001. Un an plus tard, le 14 février 2002, lémir
de Bahreïn promulguait une nouvelle constitution faisant de lémirat
un royaume et instituant un parlement bicaméral, partiellement élu.
Dans la foulée, des élections municipales étaient organisées
en mai 2002, et des élections législatives en octobre 2003.
Au Koweït, bien que les femmes continuent dêtre privées
du droit de vote, la vie parlementaire est profondément ancrée
dans la vie de lémirat et les scrutins se déroulent désormais
avec régularité, le dernier en date ayant eu lieu le 5 juillet
2003. Au sultanat dOman, des élections municipales doivent se tenir
en octobre 2003, le corps électoral étant ouvert à tous
les citoyens omanais, hommes et femmes. Aux Émirats arabes unis, on commence
à parler de réforme du mode de désignation du Conseil national
fédéral, mais les dirigeants ne paraissent pas pressés
de mettre en uvre une telle réforme et la demande sociale est pratiquement
inexistante dans ce pays où le revenu par habitant est le plus élevé
du monde.
Reste bien sûr le cas de lArabie saoudite, où le roi Fahd
a institué en 1992 un Conseil consultatif qui, jusquà présent,
a surtout fonctionné davantage comme un conseil dÉtat que
comme un parlement. Mais il vient de renvoyer pour réexamen un projet
de loi du ministère des Finances prévoyant de taxer les étrangers,
amorçant progressivement un rôle plus affirmé dans le processus
législatif. On nen est pas encore à envisager un parlement
élu, mais le tabou est tombé et le sujet est désormais
ouvertement abordé dans certains journaux.
Ladoption de la nouvelle constitution du Qatar est donc un élément
de ce mouvement général vers une participation politique accrue
que lon observe depuis plusieurs années dans les monarchies du
Golfe, mais qui reste sous le contrôle étroit des familles régnantes.
La réalité est donc à nuancer au regard de textes très
prometteurs, mais il ne fait pas de doute que les monarchies de la Péninsule
arabique sont entrées dans ce quon pourrait qualifier de «
cercle vertueux » en matière de participation politique et quun
retour en arrière toujours possible se heurterait néanmoins à
des obstacles, à la fois en raison des nouvelles habitudes en matière
de démocratie et de liberté dexpression des citoyens de
lÉtat concerné et de lexemple des pays avoisinants.
Cest dans une large mesure ce que lon a pu observer au Bahreïn
de 1995 à 1999, lorsque lopposition sappuyait sur les exemples
du Koweït et du Qatar.
Ce que prévoit la nouvelle constitution du Qatar
Comme le texte qui la précédé, la nouvelle constitution
précise que la charia est la « principale source de législation
» (article premier). La loi fondamentale définit les règles
de succession à la tête de lémirat : larticle
8 institue une succession héréditaire parmi les enfants mâles
de lémir, ou, à défaut, des enfants mâles de
la famille désignés par celui-ci.
La principale nouveauté réside dans linstitution dun
conseil consultatif détenteur du pouvoir législatif. Trente de
ses 45 membres sont élus pour quatre ans au suffrage universel, les 15
autres étant nommés par lémir (article 77). Les membres
du Conseil consultatif bénéficient de limmunité parlementaire
(article 113).
Lémir et un tiers des parlementaires pourront demander des amendements
à la constitution qui, pour être approuvés, devront être
adoptés par les deux tiers du Conseil consultatif. Lémir
conserve un droit de veto sur les amendements. Les parlementaires nont
pas le droit damender la constitution pour tout ce qui touche à
la succession de lémir, ni pour restreindre la liberté dexpression.
La constitution de 2003 garantit en effet également la vie privée
(article 37), la présomption dinnocence (article 39), la liberté
dexpression et celle de la presse (articles 47 et 48), la liberté
de rassemblement et le droit dassociation (articles 44 et 45), interdit
le bannissement des citoyens (article 38) et garantit le droit d'asile (article
58). Lun des articles les plus novateurs pour cet émirat où
lislam dominant est wahhabite tout comme en Arabie saoudite est celui
qui garantit la liberté de culte, sans la restreindre aux religions monothéistes
« du Livre » (article 50). Enfin, la nouvelle loi fondamentale garantit
lindépendance des juges et leur inamovibilité (article 131).
* Journaliste à Radio France Internationale.
1Tous les nationaux ‰gˇs de plus de 18 ans
ont le droit de vote, mais seuls 24 000, sur un corps ˇlectoral potentiel de
49 000, se sont inscrits sur les listes ˇlectorales.