Arabie
Saoudite
L'islam
aux commandes
Par Olivier Da Lage
En Arabie Saoudite, aujourd'hui, le roi Fahd et les religieux s'entendent pourimposer aux habitants un islam intransigeant. Gare à ceux qui n'appliquent pas en tout point le Coran.
La illaha illa llah Muhammad rassoul llah ! Il ny a de divinité que Dieu, Mahomet est son prophète. Psalmodiée par le muezzin lors de lappel à la prière, cest la profession de foi des musulmans. Elle figure en blanc sur fond vert (la couleur de lIslam), soulignée dun sabre, blanc lui aussi, sur le drapeau dArabie Saoudite. Ailleurs, on évoquerait lalliance du sabre et du goupillon. Personne ne peut lignorer: lIslam est le fondement du pouvoir de la Maison des Saoud, cette dynastie qui a donné son nom au royaume uni par lépée dans les années Vingt par Abdelaziz Ibn Saoud. En consolidant son pouvoir par des alliances matrimoniales avec une grande famille de religieux, les Al Cheikh, le fondateur de lArabie Saoudite, a donné à son régime une caractéristique unique sur notre planète: cest une théocratie familiale.
En conquérant en 1924 le Hejaz, la province occidentale où se trouvent La Mecque et Médine, les deux villes saintes de lIslam, avec Jérusalem, Ibn Saoud a fait bien davantage quajouter deux joyaux à sa couronne: il a donné à son pouvoir un atout considérable. Tout musulman est censé accomplir au moins une fois dans sa vie le Hajj, le pèlerinage à La Mecque. Or, la famille royale saoudienne sest autoproclamée gardienne des Lieux Saints, ce qui renforce son prestige au sein du monde musulman (un milliard dhommes), donc son influence diplomatique. Bien sûr, tout le monde nest pas daccord. A peine arrivé au pouvoir en Iran, layatollah Khomeiny a contesté cette prétention saoudienne et exigé une internationalisation des Lieux Saints de lIslam. Année après année, le pèlerinage était marqué par des affrontements entre policiers saoudiens et manifestants iraniens. En 1987, de tels affrontements ont fait plus de 400 morts. Inquiet de limpact des critiques iraniennes dans le reste du monde islamique, le roi Fahd dArabie a abandonné en 1986 le titre de "Majesté" pour soctroyer celui de "Gardien des deux Lieux Saints".
Enjeu de pouvoir, le pèlerinage de La Mecque présente des risques pour les Saoud. En novembre 1979, leur trône chancela. Au cours du Hajj, qui marquait cette année-là lentrée dans le 15ème siècle de lHégire (le calendrier musulman), un groupe de jeunes intégristes sétait emparé de la Grande Mosquée de La Mecque. Son leader se proclamait le Mahdi (messie) et dénonçait la corruption de la famille régnante dArabie Saoudite. Pendant plus dune semaine, les insurgés ont tenu la Grande Mosquée. Les autorités saoudiennes durent recourir à lassistance des gendarmes français du GIGN. Cependant, lentrée de la Mecque étant formellement interdite aux non-musulmans, on eut recours à une cérémonie ultra-rapide attestant leur conversion à lIslam. Pour le prestige des dirigeants saoudiens et donc leur survie politique il ne fallait pas que lon puisse dire que le roi avait introduit des infidèles dans le Saint des Saints de lIslam.
Dans ce régime de monarchie de droit divin, autant dire quil ny a guère de place pour la dissidence. Il ny a dautre loi en Arabie Saoudite que la charia, la loi musulmane. A ceux qui parlent de constitution, les dirigeants saoudiens répètent inlassablement: " Notre constitution, cest le Coran ! ". Dans la logique saoudienne, la contestation politique dun système fondé sur la loi divine est impensable. Toute contestation politique prend une dimension religieuse et vice-versa. La loi saoudienne est sévère pour les blasphémateurs.
Pourtant, il serait injuste de dire que les Saoud ne font quutiliser la religion pour se maintenir au pouvoir. Cest naturellement le cas. Mais le conservatisme des religieux limite considérablement la marge de manuvre des dirigeants. Pour toutes les décisions importantes, le roi est obligé dobtenir laval des Oulema, les docteurs de la foi qui se caractérisent avant tout par leur traditionalisme: le premier dentre eux, Cheikh Abdelaziz Ibn Baz, décrétait au milieu des années Soixante que la Terre était plate ! Ibn Saoud lui même, pour les convaincre dautoriser linstallation d'un téléphone dans son jeune royaume, avait dû faire lire le Coran à un religieux devant un combiné tandis quà lautre bout du fil, un autre cheikh était à lécoute. Cet appareil qui véhiculait la parole de Dieu ne pouvait donc être linstrument satanique quils redoutaient ! Plus tard, le roi Fayçal eut recours à semblable stratagème pour introduire la télévision dans son pays. Quand le roi Fahd, en août 1990, prit la difficile décision de faire appel à des "infidèles" pour défendre son pays contre lIrak, il avait préalablement pris la précaution de consulter les Ouléma qui lui avaient donné leur bénédiction au nom des intérêts supérieurs de lIslam.
Dans le pays, lordre religieux est maintenu par la vigilance des moutawain, les membres redoutés de la police religieuse. Son appellation officielle est : Comité pour la propagation de la vertu et la condamnation du vice. Ces volontaires veillent à la morale publique à coup de trique en sassurant que les magasins ferment cinq fois par jour à lheure de la prière, que les étrangères sont couvertes de la tête aux pieds. Si un homme et une femme se côtoient sans être unis par les liens du mariage ou tout autre relation de parenté, les moutawain peuvent les arrêter et leur faire passer de pénibles moments. Ce sont eux, enfin, qui veillent à préserver lArabie Saoudite des autres religions.
Toute manifestation extérieure dune autre religion que lIslam est en effet strictement prohibée en Arabie Saoudite. La croix chrétienne est particuliè-rement pourchassée. Cest ainsi que les autorités saoudiennes ont un temps exigé, avant dy renoncer, que lempennage des avions de la Swissair soit repeint de façon à effacer la croix blanche sur fond rouge qui est lemblème national de la Confédération; limportation de sapins de Noël est strictement interdite, car signe dun dangereux paganisme; les étrangers qui tiennent à pratiquer leur foi se rassemblent clandestinement chez certains dentre eux pour célébrer la messe comme les chrétiens des catacombes, les prêtres découverts sous de fausses identités étant immanquablement expulsés. Pour se justifier, les autorités saoudiennes répliquent quil ny a pas de mosquée dans les églises. Or, en raison de la présence des lieux saints de lIslam sur son territoire, lArabie Saoudite tout entière est en fait une grande mosquée. Elle ne saurait donc admettre dautres pratiques religieuses en son sein.
Le Chah dIran a été balayé par une vague de conservatisme religieux qui sopposait à la marche forcée vers la modernité quimposait le souverain iranien à son pays. En instillant la modernité à petites doses et en endossant elle-même les habits du fondamentalisme religieux, la famille royale dArabie a jusquà présent réussi à préserver son pouvoir du danger intégriste qui menace les régimes de la région. Mais certains milieux religieux saoudiens reprochent aux Saoud leur comportement à létranger ainsi que la corruption de certains membres de la famille régnante. Quant aux technocrates, intellectuels et hommes daffaires, ils étouffent dans ce conservatisme ambiant et aspirent à prendre une plus grande part aux affaires du pays. Entre les deux écueils, le roi Fahd continue de naviguer à vue en sappuyant tantôt sur les uns, tantôt sur les autres. Mais pour combien de temps ?
La Charia: la loi islamique dans tous les domaines
LArabie Saoudite "restera toujours attachée au Coran et à la tradition du Prophète dans tous les domaines de la vie publique et privée", a déclaré le roi de Fahd au lendemain de la guerre du Golfe. Mises en veilleuse durant la présence sur le sol saoudien des forces de la coalition, les exécutions publiques ont repris dès le printemps. En 1989-1990, le rythme des décapitations au sabre atteignait en moyenne une tous les trois jours. Le supplice a lieu en public le vendredi après la prière du matin. Un certain nombre de lapidations pour adultères sont également prononcées, mais leur nombre nest pas publié. Selon le rapport 1991 dAmnesty International, "au moins cinq personnes condamnées pour vol avec récidive ont eu la main droite tranchée en février ou en mars. Les condamnations à la flagellation à titre de châtiment judiciaire sont restées fréquentes, mais on ignore le nombre de peines qui ont été exécutées".
N.B. Ce texte diffère de celui publié dans la revue.