FACE A LA MODERNITE
Échec de l'islam politique ?
* Gilles Kepel Jihad,
expansion et déclin de lislamisme, Gallimard, Paris, 2000,
452 pages, index, cartes, 145 F.
* Antoine Basbous
Lislamisme, une révolution avortée ? Hachette, Paris, 2000,
273 pages, 120 F.
En 1992, Olivier Roy publiait échec de lislam en politique suscitant un scepticisme assez général. À lépoque, il est vrai, lislam politique était à son apogée, se radicalisant en Égypte, en Algérie, en Bosnie et ailleurs, forçant en retour les régimes à durcir leur répression. Huit années ont passé et lanalyse dOlivier Roy fait désormais consensus. En témoigne la publication concomitante des livres de Gilles Kepel et dAntoine Basbous. Comme lexplique Kepel dans lintroduction de son ouvrage, on dispose aujourdhui du recul nécessaire pour analyser cet échec.
Gilles Kepel distingue trois phases : la gestation de lidée islamiste contemporaine dans les années soixante. Ses théoriciens ont nom Sayyid Qotb, lidéologue des Frères musulmans égyptiens pendu par Nasser en 1966, Mawdoudi, le Pakistanais qui exerça une influence considérable en Asie du Sud et jusquà lAfghanistan des Taliban, et bien sûr, layatollah Khomeiny, le seul à avoir mené à bien son projet. La révolution islamique iranienne symbolise la deuxième période, À la charnière des années soixante-dix et 80. Bien au-delà du monde chiite, son «effet de souffle» se propage dans tout le monde musulman. Le combat des moudjahidines afghans contre les Soviétiques, appuyés financièrement et idéologiquement par les Saoudiens est le second pôle de cette expansion islamiste des années quatre-vingt. Survient alors lapogée et le déclin, que Gilles Kepel date du début des années quatre-vingt-dix, conséquence à la fois des contrecoups de linvasion irakienne du Koweït, de la résistance des pouvoirs en place (beaucoup plus forte que ne lont cru bien des observateurs et les islamistes eux-mêmes) et de la rupture entre les différentes composantes du mouvement islamiste.
Laspect le plus roboratif du livre de Gilles Kepel est la mise en perspective des succès et échecs de lislam politique au regard des couches sociales qui le soutiennent : la bourgeoisie pieuse, la jeunesse urbaine pauvre, et lintelligentsia militante. Seul, Khomeiny, par son habileté et ses ambiguïtés, a réussi à souder les trois groupes, du moins le temps de réussir sa révolution et de consolider son pouvoir. Partout ailleurs, lalliance entre la jeunesse urbaine pauvre et la bourgeoisie pieuse, lorsquelle existe, sest délitée, les premiers reprochant à la seconde sa frilosité, et celle-ci reculant devant la dérive terroriste de groupes aux références théologiques douteuses. Toute lastuce des pouvoirs en place de lAlgérie à lÉgypte en passant par la Palestine ou la Jordanie a consisté à récupérer la bourgeoisie pieuse en marginalisant les groupes extrémistes issus de la jeunesse pauvre.
Au terme dune si magistrale fresque, on est quelque peu surpris et un peu déçu que lauteur déduise de cet échec que les déçus de lislamisme nont à présent dautre choix que de se tourner vers la démocratie occidentale, seule vecteur possible dune modernité à laquelle tous aspirent. Comme si le monde musulman était, lui aussi, parvenu À la «fin de lHistoire». On partagera plutôt les interrogations dAntoine Basbous. Au terme dune étude passant en revue pays par pays les expériences islamistes, nombreux textes traduits à lappui, il observe que les peuples musulmans éprouvent toujours un malaise et un sentiment dhumiliation vis-à-vis de lOccident dont ils narrivent pas à se défaire. Après la faillite de lislamisme violent des années quatre-vingt-dix et devant lincurie des régimes, Antoine Basbous pronostique lémergence dune relève islamiste encore inconnue, mais qui «prendra, à nen pas douter, le relais de la vague qui vient de sabattre».
Olivier Da Lage
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