Arabie Saoudite
Les douze travaux du roi Abdallah
Le prince Abdallah, qui exerçait la régence du royaume depuis
dix ans, est désormais officiellement le roi. Mais aura-t-il les coudées
plus franches pour ses projets de réforme ? Rien nest moins sûr.
Le roi est mort, vive le roi ! Sauf que le nouveau roi Abdallah, sil nen avait pas le titre, exerçait déjà le pouvoir depuis près de dix ans. Très précisément depuis lembolie cérébrale qui a frappé son demi-frère le roi Fahd en novembre 1995.
Abdallah exerçait donc la régence du royaume dans la plénitude
de ses attributions, du fait de lincapacité du souverain en titre
à prendre des décisions. Rapidement, on note, au delà de
la différence de style, une approche sensiblement différente par
rapport au règne de Fahd. Abdallah insiste sur la nécessité
de la réforme économique, soulignant que lâge dor
de la richesse pétrolière est passé et ne reviendra plus,
appelant les saoudiens à se mettre au travail. Il lance des signaux à
la société civile, notamment en direction des jeune set des femmes.
Après les attentats du 11-Septembre, il tente de mettre au pas létablissement
religieux, qui avait les coudées franches lorsque Fahd était aux
affaires. Sur le plan diplomatique, il tient la dragée haute aux Américains,
tout en assurant discrètement avec ladministration Bush du soutien
de lArabie à lalliance saoudo-américaine forgée
par son père Ibn Saoud et Roosevelt en 1945. Parallèlement, un
rapprochement avec la république islamique dIran sest amorcé
après lélection en 1997 du réformateur Khatami à
la présidence de la République. Enfin, sur le plan intérieur,
Abdallah a présidé à une ouverture, certes homéopathique,
mais réelle de la vie politique en initiant en 2003 le « Dialogue
national », en recevant ouvertement des pétitionnaires qui se plaignaient
de lautoritarisme du régime et en instituant, pour la première
fois, des élections (municipales) au suffrage universel (masculin).
Cependant, nombre de ces réformes ou de ces esquisses de réformes
sont restées lettre morte, ou on avorté. La faute en est aux immenses
résistances des milieux les plus conservateurs du régime, et notamment
de létablissement religieux. Mais Abdallah a aussi eu fort à
faire avec certains des principaux princes de la famille, tels le prince Sultan,
ministre de la Défense et de lAviation, alors numéro trois
du régime et qui vient dêtre officiellement nommé
prince héritier, et surtout le prince Nayef, ministre de lIntérieur
et figure de proue des princes opposés à louverture du régime,
si peu que ce soit. Or, Nayef et Sultan, tout comme Fahd, font partie de la
fratrie des Soudayri, sept frères issus de la même mère,
Hassa bint Soudayri, dont lopposition à Abdallah a nourri la chronique
politique du royaume depuis près de quarante ans.
Le consensus de loligarchie familiale
Or, si la monarchie saoudienne est une monarchie absolue, son roi nest
pas un monarque absolue. Il est plutôt le chef de file dune oligarchie
familiale. La principale tâche du roi dArabie consiste à
dégager un consensus parmi les principaux princes de la famille. Cela
ne favorise pas les réformes hardies et explique dans une large mesure
limmobilisme qui semble prévaloir à la tête du pays
alors même que, tous les observateurs en conviennent, il y a péril
en la demeure et, dans lintérêt même du régime,
de profonds remaniements simposent au système saoudien et à
la société tout entière. Abdallah, on la dit, a été
ces dernières années, confronté à une guérilla
permanente de certains des principaux membres de la famille royale, qui se sentaient
menacés dêtre privés dune partie de leurs prébendes
et privilèges. On avançait alors parfois quen tant que prince
héritier, il navait pas la latitude de prendre les décisions
qui simposaient.
On saura très vite si les choses ont changé à présent
quil est roi. Mais rien nest moins sûr. Le prince Sultan,
déjà très influent, est désormais prince héritier
et son avis pèsera lourd dans toute décision. De surcroît,
la composition de la famille na guère changé et le besoin
de parvenir à un consensus non plus. Enfin, Abdallah nest plus
à proprement parler un jeune homme : né en 1923, il na que
deux ans de moins que son frère Fahd qui vient de mourir. Le règne
du roi Abdallah sera nécessairement de courte durée. Le sachant,
il pourrait être tenté de passer outre aux objections de certains
princes ou religieux pour avancer dans les réformes quil a en vain
tenté de mettre en uvre comme prince héritier. Mais, là
encore, les résistances nont pas disparu comme par enchantement
de fait de la succession qui vient de sopérer.
Ce que lon risque surtout de voir à luvre, désormais,
ce sont les luttes dinfluence au sein de la famille royale pour déterminer
quelle sera la branche des fils dAbdelaziz Ibn Saoud qui prendra le dessus
lors du changement de génération. Deux fils du roi Fayçal
occupent des postes importants : Saoud est ministre des affaires étrangères
depuis 1975 et son frère Turki, qui a dirigé les services secrets
du royaume pendant vingt-quatre ans, vient dêtre nommé ambassadeur
à Washington. Mais celui quil remplace, Bandar ben Sultan, qui
nest autre que le fils de Sultan, le nouveau prince héritier, a
décidé de rentrer au pays « pour raisons personnelles »,
parmi lesquelles, peut-être celle de se placer pour lavenir.
Des alliances vont se nouer, se consolider, se défaire. Les réformes
dont lArabie Saoudite a grand besoin risquent fort de nêtre
que la résultante de cette lutte pour le pouvoir.
OLIVIER DA LAGE
01/08/2005