Arabie Saoudite
Premières élections à l'échelle du royaume
Les Saoudiens commencent à voter ce jeudi pour élire la moitié
de leurs conseils municipaux. Mais les femmes ne peuvent participer au vote.
Un spectre hante lArabie : le spectre de la démocratie. Quarante ans après le Koweït, quelques années après le Bahreïn ou le Qatar, le royaume des Saoud est, pour la première fois de son histoire, parcouru par la fièvre électorale. A compter de ce jeudi 10 février, et jusquen avril, les Saoudiens (pas les Saoudiennes) éliront leurs conseillers municipaux, ou, du moins, la moitié dentre eux, lautre moitié restant nommée par le gouvernement.
Certes, des élections ont déjà lieu régulièrement
dans le royaume : elles concernent les chambres de commerce qui sont devenues
depuis plusieurs décennies un lieu de dialogue et parfois de contestation
du gouvernement dans le domaine économique. Cest ainsi que les
chambres de commerce ont à plusieurs reprise fait reculer le pouvoir
sur des projets de loi qui mettaient en émoi les milieux daffaires.
Mais ces élections ne concernent à lévidence pas
toute la population saoudienne.
Contrairement aux idées reçues, ce nest pas la première
fois que des élections municipales ont lieu en Arabie Saoudite. De telles
élections ont déjà été organisées
au début des années soixante dans plusieurs régions du
pays, mais pas à léchelle du royaume tout entier. Cest
donc bien dune première historique quil sagit, doù
les tergiversations qui ont accompagné sa préparation et son organisation,
deux fois différée depuis lannonce faite en octobre 2003
de la tenue délections municipales « dici un an »,
cest à dire en octobre 2004.
Outre les questions logistiques, quil ne faut pas sous-estimer dans un
pays qui na jamais organisé de scrutin national, ce sont bien évidemment
des questions politiques qui ont entraîné ce retard. A commencer
par la question de lélectorat. Sil est vite apparu clair
que la limite dâge à partir de laquelle on pourrait voter
serait de 21 ans, une inconnue majeure portait sur le vote des femmes. Dans
ce pays où ces dernières nont même pas le droit de
conduire, la question nallait évidemment pas de soi et concentrait
lopposition de tout ce que le pays compte de conservateurs, ce qui fait
pas mal de monde. En fin de compte, la loi électorale promulguée
maintient une savante ambiguïté sur la question, puisquelle
indique que sont électeurs les « citoyens âgés
de 21 ans révolus, à lexception des militaires ».
Les femmes écartées de ce scrutin
Comme il nest indiqué nulle part que le vote est limité aux citoyens de sexe masculin, les militantes féministes du royaume il y en a ont cru pouvoir revendiquer lexercice de ce droit dès le scrutin municipal de 2005. Mais rapidement, les autorités ont clarifié leur position. Pour ce vote, tout du moins, seuls les hommes auront le droit de participer, un porte-parole gouvernemental laissant entendre que la participation des femmes nétait pas exclue pour lavenir.
Autre attente, née de ces élections municipales, celle de pouvoir
prochainement élire à leur tour les membres du Majlis ach Choura
(Conseil consultatif), sorte de proto-parlement institué en 1993 dont
tous les membres sont nommés par le roi. Lactuel président
du Conseil consultatif, Saleh ben Houmaid, na pas perdu de temps pour
réclamer des pouvoirs élargis pour son institution, sans se risquer
toutefois à revendiquer lélection du Majlis ach Choura.
Cest que dans les petites monarchies voisines de la Péninsule arabique
(Qatar, Bahreïn), les élections municipales ont précédé
de peu lélection dun parlement. Rien détonnant
par conséquent à ce que nombre de Saoudiens sattendent dans
leur pays à une telle évolution que les autorités ne semblent
pas encore prêtes à leur accorder. De plus, dans un pays où
les associations, peu nombreuses, sont sous létroite surveillance
du gouvernement qui les autorise ou les interdit, lidée même
de partis politiques est anathème.
Pourtant, même en relativisant la portée pratique de ces élections,
en dépit de leur caractère « historique »,
il convient den souligner la dynamique. Les candidats se sont prêtés
au jeu et organisent, sous la tente ou à leur domicile, des rassemblements
électoraux. Rien que de très normal ? Voire ! En Arabie,
tout rassemblement est interdit et ses participants risquent de sattirer
les foudres des services de sécurité. Dautre part, le discours
officiel a radicalement changé. Naguère encore, le pouvoir écartait
lidée même délections comme dune idée
« importée », contraire à la tradition saoudienne
et à la « consultation » islamique en vigueur dans
le royaume. Désormais, le pouvoir assume cette notion, même sil
semploie à la vider autant que possible de son sens.
Plusieurs facteurs expliquent cette évolution sensible de la monarchie
saoudienne sur la question de la démocratie. Sans aucun doute, les fortes
pressions américaines depuis les attentats du 11 septembre 2001, dans
lesquels étaient impliqués 15 Saoudiens sur les 19 pirates de
lair, y sont pour beaucoup. Mais linstabilité politique et
sociale dans laquelle est plongé le royaume depuis plusieurs années
a créé une demande à légard du pouvoir que
celui-ci ne pouvait plus continuer dignorer sans danger. Enfin, on ne
doit pas sous-estimer non plus la contagion démocratique et leffet
dimitation induit par les expérimentations démocratiques
dans les petits émirats voisins de lArabie Saoudite.
OLIVIER DA LAGE
09/02/05