Arabie Saoudite
Échange de princes à Washington
Après 22 ans passés à Washington, Bandar Ben Sultan, le
flamboyant ambassadeur saoudien cède la place à son cousin Turki
Al Fayçal, actuellement ambassadeur à Londres.
La presse américaine lavait surnommé le «Gatsby arabe», en référence à Gatsby le Magnifique, le personnage de dandy millionnaire imaginé par Scott Fitzgerald. De fait, Bandar Ben Sultan était devenu, en vingt-deux ans de présence dans la capitale américaine, un personnage incontournable du Tout-Washington, très présent dans les médias, mais également dans les coulisses.
Nommé au début des années 80 sous la première présidence
de Ronald Reagan après 17 ans passés comme pilote de chasse dans
larmée de lair dArabie Saoudite, le prince Bandar a
depuis connu et fréquenté tous les présidents qui se sont
succédé à la Maison Blanche : George H. Bush, Bill
Clinton et George W. Bush. Sa familiarité avec le clan Bush lui a valu
le méchant surnom de «Bandar Bush», dont la affublé
le réalisateur non-conformiste Michael Moore dans son film Fahrenheit
9/11.
Lors de linvasion du Koweït en 1990, il est le canal privilégié
de la relation saoudo-américaine entre le président Bush et le
roi Fahd. Lambassadeur américain à Ryad et le ministre des
Affaires étrangères saoudien, le prince Saoud Al Fayçal,
étant alors relégués au second plan. Au lendemain de la
guerre du Koweït, lorsque souvre la conférence de paix à
Madrid en octobre 1991, il est omniprésent dans les coulisses, recevant
dans sa suite de lhôtel Ritz les délégations arabes
les unes après les autres, multipliant les promesses aux négociateurs
américains qui font antichambre.
Ses relations avec ladministration Clinton seront sensiblement plus distantes.
Mais lorsque George W. Bush arrive à la Maison Blanche, bien décidé
à ne pas reprendre à son compte la politique proche-orientale
menée par son père, il est au moins un point sur lequel il reprendra
sans discuter lhéritage paternel : la relation avec lArabie
Saoudite et lamitié avec Bandar. Héritage précieux
dans les turbulences que connaît cette relation au lendemain des attentats
du 11 septembre 2001, menés par 15 pirates de lair saoudiens sur
les 19 terroristes. Refusant les conseils des néo-conservateurs qui le
pressent de rompre pour de bon avec la Maison des Saoud, George Bush fils écoute,
pour une fois, les conseils de son père, et garde le lien, aussi ténu
soit-il avec les Saoudiens. Une fois encore, Bandar est à la manuvre.
Une photo publiée à lépoque le montre assis à
califourchon sur laccoudoir dun canapé, en grande conversation
avec George W. Bush en bras de chemise dans son ranch de Crawford.
Peu de responsables quils soient américains ou étrangers
peuvent se prévaloir dune telle familiarité avec lhomme
le plus puissant de la planète. Plus tard, lors des préparatifs
de la guerre contre lIrak, Bandar apprendra les détails du plan
dinvasion avant même le secrétaire dÉtat américain
Colin Powell !
Pourtant, lenfant chéri des médias américains connaît
des revers lorsque Newsweek révèle que lépouse de
Bandar, la princesse Iffat (fille de feu le roi Fayçal) a versé
des sommes importantes à une fondation caritative, sommes qui se sont
retrouvées sur le compte en banque de lun des pirates de lair
saoudien. Rompu aux combats politiques, Bandar monte au créneau pour
défendre son honneur et celui de son épouse, mais il en est très
affecté. Il est probablement aussi blessé de voir que la relation
saoudo-américaine ne passe plus exclusivement par lui. Les relations
de Bandar avec son oncle, le prince Abdallah qui exerce le pouvoir de fait depuis
la maladie qui a frappé en 1995 le roi Fahd, nont jamais été
faciles. Depuis quelques années, les téléspectateurs américains
voyaient de plus en plus souvent le conseiller politique du prince Abdallah,
Abdel Al Jubeïr, exposer dans un anglais irréprochable le point
de vue saoudien à la place de lambassadeur.
Chef des services secrets saoudiens pendant un quart de siècle
Son successeur, actuellement en poste à Londres, nest autre que
son cousin. Mais Turki Al Fayçal est bien davantage quun diplomate :
fils de lancien roi Fayçal et frère du ministre des
Affaires étrangères Saoud Al Fayçal, le prince Turki
a dirigé les services secrets de son pays pendant près dun
quart de siècle, de 1977 à 2001. A ce titre, en étroite
coordination avec les Etats-Unis et le Pakistan, il a coordonné la mise
en place de la filière de volontaires arabes partis combattre les Soviétiques
en Afghanistan. Parmi eux, un certain Oussama Ben Laden, avec lequel il a été
en contact direct. Pour autant, contrairement à ce qui a été
abondamment écrit après les attentats du 11-Septembre, il est
hasardeux daffirmer que Turki Al Fayçal incarne le double jeu saoudien
vis-à-vis dAl Qaïda. Il ne fait pas de doute quil a
été en relation avec des figures importantes de cette mouvance
à lépoque de la lutte antisoviétique, puis quil
a tenté de les intégrer au système saoudien ou, quand ce
nétait pas possible (comme avec Oussama Ben Laden) de les exiler.
Puis, quanq il est apparu que Ben Laden avait lintention de sen
prendre directement au régime saoudien, à partir des années
1996-1998, Turki Al Fayçal sest rendu auprès des Taliban
pour exiger en vain son extradition.
Il semble dailleurs que cest son échec à obtenir des
Taliban la livraison de Ben Laden qui ait conduit à sa disgrâce
et à sa démission en août 2001, moins de deux semaines avant
les attentats du 11-Septembre.
Pour autant, les Américains, qui connaissent Turki de longue date, savent
très précisément à quoi sen tenir à
son sujet et nauraient évidemment pas donné leur agrément
à la nomination dun ambassadeur quils soupçonneraient
de liens troubles avec le terrorisme.
Quant à Bandar, qui a invoqué des raisons personnelles pour sa
démission et son retour au pays, il est permis dimaginer que son
avenir politique en fait partie. Fils de Sultan Ben Abdelaziz, troisième
personnage du royaume voué à devenir prince héritier lorsquAbdallah
héritera de la couronne à la mort de Fahd, Bandar veillera sans
doute avec son père à préserver les intérêts
de sa lignée, face aux ambitions des Al Fahd et des Al Fayçal,
les fils de Fahd et ceux de Fayçal.
Car au sein de la Maison des Saoud, la génération des petits-enfants
du fondateur, le roi Abdelaziz Ibn Saoud, est désormais un acteur à
part entière de la lutte pour le pouvoir.
OLIVIER DA LAGE
21/07/2005