Arabie Saoudite

Les Américains transfèrent leurs bases au Qatar



Les États-Unis vont transférer leurs activités militaires d’Arabie Saoudite vers le Qatar, évacuant les bases qu’ils occupaient depuis 1991.


La nouvelle a été annoncée officiellement mardi par le secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, qui se trouvait sur la base Prince Sultan, près de Ryad : avant la fin de l’été, la presque totalité des militaires américains présents en Arabie Saoudite auront quitté le royaume pour se réinstaller dans l’émirat voisin du Qatar. Actuellement, près de 10 000 soldats et officiers sont présents en Arabie, principalement dans la base Prince Sultan, située dans la localité de Kharj à une centaine de kilomètres au sud-ouest de la capitale Ryad. Leur nombre a d’ailleurs augmenté récemment, dans la perspective de la guerre contre l’Irak car le volume habituel des militaires américains présents sur le sol saoudien est de l’ordre de 5 000.


La base Prince Sultan, qui a été agrandie et entièrement rénovée à la fin des années 90, servait à la fois de point de départ pour les vols de surveillance de l’opération Southern Watch, dans le sud de l’Irak, et de poste de commandement aérien intégré pour l’ensemble de la région du Golfe. C’est de Kharj qu’a été piloté l’ensemble des opérations aériennes contre l’Afghanistan en novembre 1991, même si l’Arabie Saoudite avait interdit aux Américains l’utilisation de leurs bases pour aller bombarder l’Afghanistan. Ce que l’on sait moins, car le secret a été bien gardé, c’est que la même chose s’est produite lors de la guerre contre l’Irak qui vient de s’achever : si le poste de commandement américain du CentCom était ostensiblement au Qatar, la coordination des opérations aériennes s’est en revanche effectuée dans la discrétion à partir du territoire saoudien, depuis la base Prince Sultan. Malgré l’opposition publique de Ryad à cette guerre, la coopération secrète des saoudiens ne s’est d’ailleurs pas limitée à cela : des couloirs aériens ont été ouverts pour permettre aux missiles de croisières tirés depuis la Mer Rouge d’atteindre l’Irak en survolant le territoire saoudien.


Élargir la palette des options


Si la coopération militaire saoudo-américaine semble fonctionner à la perfection, quel besoin y avait-il d’évacuer presque tous les militaires américains du sol saoudien ? Donald Rumsfeld a assuré que cette décision a été prise d’un mutuel accord par les autorités de Ryad et Washington, ce qui est parfaitement exact, mais pour des raisons différentes. Côté saoudien, le gouvernement est conscient depuis plusieurs années que la présence des troupes américaines entretient un sentiment antiaméricain vivace et une contestation religieuse contre le gouvernement. C’est d’ailleurs cette présence continue depuis 1991 qui a contribué à faire émerger Oussama Ben Laden et à lui donner l’audience qui est la sienne au sein de la population saoudienne. Il est pour le moins paradoxal que les soldats censés protéger l’Arabie Saoudite fragilisent en réalité son régime. Du point de vue américain, le motif officiel de la fermeture de la base Prince Sultan est qu’avec la chute du régime de Saddam Hussein, l’opération Southern Watch devient inutile ; or, la base Sultan servait essentiellement à cette opération, donc, elle perd également son utilité. CQFD. En réalité, les restrictions de plus en plus importantes imposées par Ryad aux militaires américains quant à leur comportement dans le pays et surtout en ce qui concerne l’usage des bases militaires ou de l’espace aérien ont conduit les stratèges du Pentagone à envisager une alternative.


Jusqu’à une période récente, les États-Unis, qui avaient déjà perdu l’Iran en 1979, n’avaient pas véritablement d’alternative à l’Arabie Saoudite dans la région du Golfe. Mais en 2000, l’émir du Qatar leur a ouvert les portes de son émirat et les travaux ont commencé à la base d’Oudeïd pour allonger la piste qui est désormais la plus longue de toute la région, et accueillir un centre de commandement opérationnel. A partir de novembre 2001, tranquillement et sans faire de bruit, les Américains ont commencé à transférer certains équipements informatiques de la base d’Al Sultan vers celle d’Oudeïd dans le pays voisin. A l’époque, Washington n’avait pas encore décidé de quitter pour de bon l’Arabie Saoudite. Il s’agissait simplement d’élargir la palette des options disponibles au cas où l’Arabie refuserait ponctuellement l’usage de ses bases pour telle ou telle opération. Mais la dégradation croissante des relations saoudo-américaines et certaines déclarations de dirigeants saoudiens affirmant que leur but était le départ des forces américaines ont progressivement convaincu le Pentagone de substituer le Qatar au royaume wahhabite, si hostile et si peu coopératif. D’autant que les Américains ont eu l’agréable surprise de découvrir que le Qatar ne mettait aucune restriction aux demandes américaines.


Avec la ceinture de bases militaires dont disposent maintenant les États-Unis dans le Golfe, en Irak, en Asie centrale (comme en Ouzbékistan) et en Afghanistan, la puissance de projection américaine sur l’ensemble du Moyen Orient et de l’Asie centrale devient considérable. Américains et Saoudiens restent officiellement alliés, mais dans cette alliance forcée en 1945 entre Ibn Saoud et Roosevelt, le poids relatif de l’Arabie vient de diminuer sensiblement. A l’époque, il s’agissait d’un échange «pétrole contre sécurité». Désormais présents en Irak, les Américains ont le pétrole. Il ne fait pas de doute qu’ils continueront à garantir la sécurité des champs saoudiens. Quant à la sécurité du régime, c’est une autre histoire.


OLIVIER DA LAGE
30/04/2003
 

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