Golfe
Premières élections à Bahreïn depuis près de 30 ans
Les Bahreïniens élisent ce jeudi leurs conseillers municipaux. Ce
sont les premières élections depuis la dissolution du parlement
en 1975.
Pour la première fois depuis les législatives de 1973, les citoyens
de Bahreïn se rendent aux urnes. Certes, il ne sagit «que»
délections municipales, mais pour retrouver le droit de vote suspendu
par le père de lactuel souverain en 1975, nombres délecteurs
et de candidats ont payé leur combat dannées dexil
ou de prison. Toute activité politique ou syndicale a été
réprimée très sévèrement en application dune
loi dexception adoptée par lémir en 1974. Les opposants
et parfois leur famille étaient lobjet du harcèlement incessant
de la très efficace police politique encadrée par des officiers
britanniques et jordaniens.
Fin 1994, à partir de la revendication de quelques centaines de diplômés
au chômage, brutalement dispersés par les forces de lordre,
commence une série de soulèvements violents contre le pouvoir
sans partage de la dynastie sunnite des Al Khalifa. La majorité chiite
constitue la partie la plus défavorisée de la population, elle
est tenue à lécart de la police et de larmée
et sous-représentée dans les couches dirigeantes. Les revendications
sociales, religieuses, communautaires se mêlent aux revendications politiques
dun retour à la constitution suspendue en 1975 par lémir
cheikh Issa.
L«Intifada chiite», qui va faire plusieurs dizaines de morts
en cinq ans, prend fin lorsque cheikh Hamad, le prince héritier, succède
à Issa, mort dune crise cardiaque en mars 1999. Le nouvel émir
est connu depuis longtemps, pas ses intentions politiques. Rapidement, il donne
des signes de dégel : amnistie des prisonniers politiques, retour des
opposants exilés qui sont reçus au palais. Mais le nouveau monarque
ne sen tient pas là : en février 2001, il fait adopter par
référendum du jamais vu dans une monarchie du Golfe
une charte nationale qui prévoit la transformation de Bahreïn en
royaume constitutionnel et le retour au parlementarisme. Les mouvements dopposition
sont autorisés à sexprimer. La presse de Bahreïn, naguère
encore lune des plus ternes et conformistes du monde arabe, ouvre ses
colonnes à ces opposants et aux questions de société.
Le 14 février dernier, jour anniversaire du référendum
sur la Charte nationale, lémir Hamad apparaît à la
télévision et proclame le royaume de Bahreïn. Lémir
est devenu roi, la constitution est amendée, un parlement bicaméral
est institué et des élections municipales sont annoncées
pour le mois de mai, des législatives pour le mois doctobre. Dans
le Golfe, la seule monarchie constitutionnelle à connaître une
vie parlementaire est le Koweït où les femmes nont pas le
droit de vote. A Bahreïn, non seulement les femmes sont électrices,
mais elles peuvent être candidates. A lextérieur, notamment
les pays occidentaux, le monde entier applaudit cette avancée démocratique.
La consternation de lopposition
Mais à lintérieur, lopposition est assommée.
La nouvelle constitution permet au roi de la modifier à volonté,
le sénat, entièrement composé de membres nommés
par le roi, a prééminence sur lassemblée nationale.
De plus, le calendrier ne correspond absolument pas à ce qui était
annoncé : les municipales devaient avoir lieu en 2003 et les législatives
en 2004, ce qui aurait permis à lopposition de se préparer.
Pour 2002, elle nest pas du tout prête. Faut-il faire des alliances
? Faut-il y aller chacun sous sa couleur ? Faut-il négliger les municipales
et sinvestir dans les législatives, au risque dabandonner
le terrain aux hommes du roi ? Certains dirigeants, faute davoir la réponse
à ces questions, sont un temps tentés par le boycottage.
En fin de compte, les associations politiques, autorisées depuis lété
dernier et qui font fonction de partis politiques, participent toutes au scrutin.
Certains dirigeants reconnaissent en privé que, malgré leur déception,
la situation actuelle représente un progrès considérable
par rapport à ce que Bahreïn a connu depuis près de trente
ans.
Quant au nouveau roi, très proche de Mohammed VI du Maroc et dAbdallah
II de Jordanie, il vient de faire la démonstration quil avait parfaitement
assimilé le savoir-faire des souverains jordanien et marocain, experts
sur la façon de jouer de la carotte et du bâton avec lopposition
parlementaire, tout en gardant, à chaque instant, une totale maîtrise
du jeu et de ses changements de règles.
OLIVIER DA LAGE
09/05/2002