Golfe
La mort de cheikh Zayed
La mort du président des Emirats arabes unis a été annoncée
ce mardi. Cheikh Zayed, émir dAbou Dhabi, présidait la Fédération
depuis sa création en 1971.
On ne connaissait pas son âge, lui-même, vraisemblablement, ne le connaissait pas non plus. Il avait en tout cas plus de quatre-vingt ans. Cheikh Zayed ben Sultan Al Nahayan, émir dAbou Dhabi depuis 1966, qui présidait le pays dont le revenu par habitant est le plus élevé de la planète, a connu la faim dans sa jeunesse, quil a passée principalement dans loasis dAl Aïn où lon se nourrissait de dattes.
Dans les années quarante et cinquante, largent du pétrole
ne coulait pas encore à flot. Et lorsque dans les années soixante,
les royalties commencent à tomber, elles ne bénéficient
à personne : la pingrerie de lémir dAbou Dhabi,
cheikh Chakhbout, est légendaire. On assure quil surveillait lui-même
dans ses appartements le coffre au trésor de lémirat. Quoi
quil en soit, cette avarice qui maintient le pays dans larriération,
irrite le conseil de famille qui finit par le déposer en 1966. Son frère
Zayed, dont les capacités de jugement sont prisées des bédouins
parmi lesquels il a vécu vingt ans durant, le remplace.
Zayed, qui na pas bénéficié dune éducation,
est analphabète, mais sûrement pas un imbécile. Il montre
rapidement de réelles qualités politiques. Lorsque les Britanniques
se retirent du Golfe en 1971 et donnent leur indépendance aux émirats
de lancienne Côte des Pirates, une sourde rivalité oppose
notamment Dubaï à Abou Dhabi. Au terme dun partage délicat,
la capitale fédérale des Émirats arabes unis qui viennent
de voir le jour est établie à Abou Dhabi et cheikh Zayed est,
pour cinq ans, le premier président de la toute nouvelle fédération.
Entretemps, les recettes pétrolières changent le visage des émirats.
Abou Dhabi, Charjah et Abou Dhabi se lancent dans une débauche de grands
projets dinfrastructures, développés par une armée
dimmigrés, principalement asiatiques. Rapidement, les citoyens
des Émirats deviennent ultra-minoritaires chez eux, les émigrés
représentant jusquà 85 % de la population.
La lutte dinfluence entre Dubai et Abou Dhabi se solde par la victoire
politique de ce dernier : Abou Dhabi a pour cent ans de réserves
pétrolières alors que celles de Dubaï sépuisent
rapidement. Quimporte. Tandis que Dubaï abandonne jusquà
un certain point la politique à Abou Dhabi et se lance dans le
commerce, cheikh Zayed peut appliquer son sens politique à la diplomatie.
Le « clan des Fatimides »
Lui, le Bédouin ignare, devient rapidement un chef dÉtat écouté par les autres Arabes, mais aussi par les Européens. Résolument proche des Américains, il ne craint pas de se distinguer deux en conservant des liens avec lIran et lIrak à lheure où Washington prône le « double-endiguement » de ces « États-voyous » ; Les Émirats soutiennent la cause palestinienne sans barguigner, quoi quon dise à Washington. Sur le plan pétrolier, Abou Dhabi colle généralement à la politique saoudienne visant à maintenir un pétrole bon marché. Mais Zayed nest pas le dernier à appliquer lembargo après la guerre dOctobre 1973 et surtout, à se démarquer de la politique saoudienne dans bien des domaines.
En particulier la tolérance religieuse. Pieux musulman, Zayed sest
aussi institué le protecteur des chrétiens, des Sikhs et des Hindous
vivant dans son pays lorsque éclatent les émeutes intercommunautaires
de 1992, après la destruction de la mosquée dAyodhya en
Inde par des extrémistes hindous.
Sur le plan intérieur, Zayed laisse un pays politiquement stable, notamment
du fait de la richesse des nationaux, où la question de la démocratisation
ne se pose pas avec autant dacuité que dans les émirats
voisins, moins richement dotés. Mais si le successeur désigné
reste son fils Khalifa, ce dernier est désormais entouré de ses
demi-frères issus de lépouse préférée
du défunt émir, cheikha Fatima (le « clan des Fatimides »)
qui contrôlent les postes de clé de la Défense (le chef
détat-major), des Affaires étrangères, et de lInformation.
OLIVIER DA LAGE
02/11/2004