Golfe
L'émir qui voulait être roi
L'émir de Bahreïn a appelé ses sujets à se prononcer
par référendum les 14 et 15 février sur la transformation
du pays en monarchie et le rétablissement du Parlement.
L'émirat de Bahreïn, indépendant depuis le départ
des Britanniques en décembre 1971, a brièvement connu la démocratie
parlementaire entre 1973 et 1975. A cette date, l'émir Issa, au pouvoir
depuis 1961, a suspendu les articles de la constitution concernant le parlement.
Depuis, la constitution n'a officiellement jamais été abrogée,
seulement «suspendue». Et le retour à la vie parlementaire
est le leitmotiv de l'opposition, toutes tendances confondues. Celle-ci va des
islamistes chiites pro-iraniens aux nationalistes de gauche laïques en
passant par des figures de la bourgeoisie libérale et des formations
islamistes «modérées». Toutes interdites.
Car depuis la suspension de la constitution en 1975, le pays vit en permanence
sous un régime d'exception. En décembre 1994, la conjonction du
chômage, des frustrations politiques et des tensions confessionnelles
(les chiites représentent les deux-tiers de la population) ont déclenché
un soulèvement endémique contre la famille régnante sunnite
des Al Khalifa.
Une répression sans faiblesse, menée avec l'aide de mercenaires
britanniques, a en surface réduit l'ampleur des manifestations, mais
le niveau des tensions internes n'a pas faibli. Dans certains villages chiites
où la police n'ose pénétrer, on peut lire « Mort
aux Al Khalifa ! », ou « La constitution ou la mort ! ». Certains
souverains du Golfe, comme le sultan Qabous d'Oman ou le président Zayed
des Emirats arabes unis, n'ont pas hésité à reprocher au
régime son manque d'écoute de la population chiite. L'impasse
était totale, jusqu'à la mort de Cheikh Issa, décédé
d'une crise cardique en mars 1998.
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Son fils Hamad, prince héritier depuis le début des années
soixante-dix, ne tarde pas à prendre des mesures d'apaisement, en ouvrant
l'armée aux chiites, en grâciant le principal opposant chiite,
cheikh Abdulamir Al Jamri et en évoquant la réforme politique.
En 1992, suivant l'exemple de l'Arabie Saoudite, Cheikh Issa avait créé
un conseil consultatif entièrement nommé et sans pouvoirs.
Par ce référendum, cheikh Hamad entend tourner la page et revenir
à la vie parlementaire. En signe de bonne volonté, l'émir
a reçu Abdulamir Al Jamri et a annoncé le 5 février une
amnistie politique générale. Mais l'autre volet de la réforme
-la transformation de l'émirat en royaume- entend bien montrer que cheikh
Hamad reste le patron à Bahreïn et n'entend en rien abandonner ses
pouvoirs.
Cette transformation n'est d'ailleurs pas uniquement à usage interne.
Au sein du Conseil de coopération du Golfe, qui regroupe les six monarchies
pétrolières de la Péninsule arabique, seule, l'Arabie Saoudite
a le statut de royaume, et Oman celui de sultanat. On s'adresse à leurs
souverain en disant « Votre Majesté ». Les princes qui dirigent
les autres Etats n'ont droit qu'à « Votre Altesse ». Dans
cette péninsule arabique où les querelles de préséance
foisonnent entre dynasties, la famille Al Khalifa, l'une des plus anciennes
au pouvoir dans la région, entend faire la différence. Notamment
avec celle des Al Thani qui dirige le Qatar, qu'un litige territorial oppose
depuis des décennies à Bahreïn et dont le jeune émir
prétend renouveler la vie politique du Golfe en libéralisant la
presse et la vie politique.
OLIVIER DA LAGE
13/02/2001