Irak
Vu de la Maison Blanche et du Pentagone
La politique officielle des États-Unis vis-à-vis de lIrak
repose sur largument suivant : que le 11 septembre a révélé
au monde à quel point leur pays était vulnérable aux attaques
terroristes, inspirées ou soutenues par des « États-voyous
», notamment ceux de l« Axe du Mal » dénoncés
par George Bush en janvier 2002 : Irak, Iran et Corée du Nord. Des États
qui poursuivent sans relâche leurs programmes darmements de destruction
massive, nucléaire, bactériologique, et chimique et qui partagent
une même haine de lAmérique avec des groupes terroristes
comme Al Qaïda quils pourraient équiper dans lavenir
de telles armes. Même si ce nest pas avéré aujourdhui,
la possibilité est là, et au nom de la nouvelle stratégie
d« attaque préventive » adoptée par le président
Bush en septembre dernier, les démocraties ne peuvent se permettre dattendre
quil soit trop tard pour réagir. Voilà les raisons qui motivent
une attaque contre lIrak dès à présent.
Pourtant, bien avant le 11 septembre 2001, dès laccession à
la Maison Blanche de George Bush junior, on savait que son entourage ne rêvait
que de « finir le boulot » interrompu en 1991 et venger lhumiliation
de voir le vaincu dalors toujours au pouvoir, autrement dit, se débarrasser
de Saddam Hussein en allant cette fois jusquà Bagdad. Les intéressés
ne sen cachaient guère et le disaient ou lécrivaient
ouvertement. Tous ont travaillé pour George Bush père et pour
Ronald Reagan. Tous préféraient Reagan lidéologue
de la « guerre des étoiles » et de la dénonciation
de «lEmpire du mal» (lURSS) au patricien policé
qui a arrêté la guerre quelques semaines trop tôt en 1991.
Par chance pour eux, le fils de ce dernier est beaucoup plus proche de Reagan
que de son père dans son approche des problèmes : pas trop de
travail, beaucoup didéologie, une large délégation
à ceux qui savent, et des décisions rapides et sans état
dâme. Ces faucons issus du monde de la guerre froide étaient
à la marge du Parti républicain, ils sont désormais au
cur du pouvoir à la Maison Blanche et au Pentagone. La guerre froide
est finie, leur horizon sélargit : ils vont façonner le
monde à leur image. En commençant par le Moyen-Orient. Tous partisans
inconditionnels dIsraël et proches du Likoud, ils ont décidément
de la chance : leur accession au pouvoir aux États-Unis coïncide
avec celle dAriel Sharon en Israël. Ils partagent la même vision
des choses, les mêmes objectifs politiques et coordonnent étroitement
leur action.
Il ny a pas que le pétrole
On disait des hommes de Kennedy quils étaient les plus brillants
et les plus travailleurs de leur génération. Cela sapplique
aux hommes de Bush. Avec en plus une détermination à toute épreuve.
Dick Cheney (vice-président), Donald Rumsfeld (secrétaire à
la Défense), Paul Wolfowicz (adjoint du précédent), Richard
Perle (président du Defense Policy Board et proche conseiller des deux
premiers) sont de longue date des partisans dune intervention en Irak.
Comme la langue de bois leur est étrangère, ils ne soffusquent
pas lorsquon leur fait observer que naguère, les administrations
Reagan et Bush (père) ont soutenu Saddam Hussein. Et alors ? rétorque
Richard Perle. « Même si Saddam Hussein a travaillé pour
nous, il est temps de se débarrasser de lui ». Comme ce fut le
cas du général Noriega au Panama.
Le projet dinstaurer un Irak démocratique par la guerre ne convainc
pas nécessairement les sceptiques qui rappellent que lIrak recèle
les deuxièmes réserves pétrolières du monde. Bien
sûr, avoir la haute main sur le pétrole irakien na rien pour
rebuter ces dirigeants américains qui sont tous très liés
à lindustrie pétrolière. Et garantir des approvisionnements
abondants à une Amérique toujours plus consommatrice dhydrocarbures
vient en tête des priorités stratégiques de Washington.
Mais on aurait tort de réduire le projet des faucons à un hold-up
sur le pétrole irakien. Car en sinstallant à Bagdad, les
Américains contrôlent non seulement le pétrole dIrak,
mais indirectement celui de tous les autres pays producteurs du Moyen-Orient,
et notamment lArabie Saoudite, par leur capacité de peser sur les
cours mondiaux.
Richard Perle, toujours lui, insiste fréquemment sur la valeur dexemple
dune telle intervention. Car après avoir bombardé lAfghanistan
et lIrak et renversé leurs régimes (et peut-être un
ou deux autres), les autres pays-voyous de la région se tiendront tranquilles.
Enfin, un «Irak démocratique» sous tutelle américaine
ne manquerait pas détablir des relations diplomatiques avec Israël,
permettant à Washington dexercer defficaces pressions sur
ses voisins pour quils en fassent autant. Le problème palestinien
trouverait alors de lui-même sa solution, lentité terroriste
que constitue selon eux lAutorité palestinienne ayant perdu tous
ses soutiens extérieurs, le terrorisme ne serait plus quun problème
résiduel et une nouvelle génération de leaders palestiniens,
acceptant un compromis aux termes israéliens, prendrait la relève
dArafat et des siens.
La paix reviendrait au Proche-Orient et George Bush pourrait affronter dans
de bonnes conditions les élections de 2004 pour lui-même et plus
généralement pour les candidats républicains. Caricatural
et simpliste ? Cest peut-être limpression en Europe ou au
Moyen-Orient. Mais les hommes de George W. Bush raisonnent véritablement
comme cela, ils le disent et lécrivent, ne tiennent pas de double
langage, sont convaincus davoir raison et que le monde sen apercevra
sous peu.
OLIVIER DA LAGE
07/02/2003