Irak
Rumeurs autour dun exil de Saddam Hussein
Alors que la Turquie convoque la semaine prochaine un sommet régional pour éviter la guerre, la rumeur dun départ négocié du président irakien se fait insistante.
Lune des hypothèses évoquées lors de ce sommet pourrait
être le départ en exil de Saddam Hussein. La rumeur en court avec
insistance depuis plusieurs semaines, elle a pris quelque consistance ces derniers
jours en étant évoquée pratiquement ouvertement par de
hauts responsables égyptiens. Selon les sources, lidée originale
en revient au Qatar, qui la démenti, ou à la Turquie, dont
le premier ministre Abdullah Gül a parcouru ces derniers jours les principaux
pays du Moyen-Orient.
Aucun des États voisins de lIrak ne se soucie de trouver une issue
honorable à Saddam Hussein. Mais si la paix est à ce prix, leffort
vaut dêtre tenté. Car un point fait lunanimité
parmi tous les pays de la région, Israël excepté: il ny
a rien de bon à attendre dune guerre en Irak. Pour des raisons
évidentes, naturellement, mais aussi pour dautres, qui ne sont
pas toutes motivées par des soucis humanitaires et, pour tout dire, beaucoup
moins avouables. Tous ces États craignent les conséquences économiques
et sociales dune guerre, bien sûr, mais plus encore ses conséquences
politiques, le risque de déstabilisation nétant pas exclu,
notamment pour les gouvernements réputés proches de Washington.
De surcroît, dimportants dirigeants américains (les «faucons»
de ladministration américaine) nont pas caché quils
souhaitaient que la défaite de Saddam Hussein entraîne une réorganisation
complète de la carte du Moyen-Orient et la chute des régimes «
non démocratiques ».
A juste titre, les dirigeants syriens, saoudiens, égyptiens et iraniens
se sont sentis visés par cette référence. Qui plus est,
la perspective de voir les puits de pétrole irakiens passer sous la domination
américaine protégés par une force doccupation de
plusieurs dizaines de milliers de soldats doutre-Atlantique a tout pour
les inquiéter. Cest dans ce contexte quil faut analyser la
sollicitude manifestée envers Saddam Hussein aujourdhui par des
dirigeants qui nont par ailleurs aucune indulgence pour le dictateur irakien
quils ne connaissent que trop bien.
Naturellement, cette hypothèse na de sens que si les États-Unis
se satisfont dun départ du pouvoir de lhomme fort de Bagdad.
Hypothèse qui paraît peu vraisemblable, si lon prend en compte
le caractère de revanche de la croisade de George W. Bush contre celui
« qui a essayé de tuer mon papa ». Peu vraisemblable aussi,
compte tenu de la volonté guerrière qui se manifeste au Pentagone
et à la Maison Blanche, du déploiement colossal de force militaire
dans la région du Golfe. Comme le disait Tolstoï, lorsquà
lacte premier dune pièce de théâtre, un pistolet
se trouve sur une table, il faut quil ait servi avant la dernière
scène de lacte final. Enfin, il ne sera pas simple dexpliquer
à lopinion, auprès de laquelle Saddam Hussein a été
démonisé et comparé à Hitler, que celui-ci, avec
laccord de Washington, peut prendre sa retraite au soleil en toute impunité
sans avoir sa vie durant à répondre de ses crimes.
Comme Idi Amin Dada, Mobutu ou Baby Doc
Et pourtant, lobjectif ultime de toute stratégie nest-il
pas dobtenir la reddition totale de lennemi sans avoir eu à
combattre ? Quelle victoire, militaire, économique, stratégique
et politique pour George Bush si les États-Unis pouvaient se rendre maîtres
de lIrak sans avoir eu besoin douvrir le feu! On peut alors se rappeler
que lun des premiers à avoir évoqué un exil du président
irakien nest autre que Donald Rumsfeld, le belliqueux chef du Pentagone,
lors dune interview sur CNN à lautomne dernier. Rumsfeld
invoquait alors le précédent dIdi Amin Dada, le dictateur
ougandais, qui vit aujourdhui retiré en Arabie Saoudite, de Mobutu,
mort au Maroc, ou de «Baby Doc», le despote haïtien qui a trouvé
refuge sur la Côte dAzur, permettant une transition démocratique
dans son pays. La guerre psychologique nest pas absente de ce type de
rumeurs, lobjectif étant débranler la confiance du
deuxième cercle des partisans de Saddam Hussein: pourquoi feraient-ils
le sacrifice de leur vie pour un dirigeant prêt à les abandonner
au moment décisif ?
Reste bien sûr à sinterroger sur les motivations de lintéressé.
Pour la première fois de sa vie, sa survie, non seulement politique,
mais physique, est directement en jeu, les Américains ayant fait savoir,
contrairement à 1990-1991, que sa chute était le véritable
but de guerre. Or, après trente-cinq ans dune dictature impitoyable
qui a coûté la vie ou la liberté à des millions dIrakiens,
Saddam Hussein ne peut se faire aucune illusion sur le sort qui lattend
sil est renversé. Pourtant, rien dans lhistoire personnelle
de ce dernier ne le prédispose à une fuite honteuse, à
lexemple du Chah dIran, mort abandonné de tous en exil après
une fuite honteuse. En dépit de ses innombrables défauts, Saddam
Hussein ne manque pas de courage physique.
Toute sa carrière a été bâtie sur une absence totale
de scrupules et un comportement «machiste» qui cadre mal avec un
départ en exil. Saddam, « glaive et bouclier de la nation arabe
», se compare volontiers à Nabuchodonosor et à Saladin,
originaire, comme lui, de Tikrit. On ne les imagine pas accepter une reddition
aux conditions de lennemi. De plus, en dépit des promesses, qui
pourrait garantir une sécurité absolue à Saddam et à
ses proches, tous mouillés dans des crimes contre leurs propres populations
ou contre les combattants iraniens ? Le sort de Slobodan Milosevic ne lui fait
sûrement pas davantage envie. Enfin, au vu de la situation actuelle en
Afghanistan où le mollah Omar et Oussam Ben Laden échappent toujours
à la traque américaine, on ne peut écarter un calcul fondé
sur lhypothèse quil réussira, lui aussi, à
leur échapper, et que les forces américaines doccupation
rencontreront à Bagdad une féroce résistance qui les fera
perdre la bataille au fil des mois.
Néanmoins, la prudence est de rigueur: il nest que de se rappeler
que voici douze ans exactement, la même rumeur avait circulé: Saddam
Hussein allait trouver refuge en Mauritanie, ou en Algérie. Dailleurs,
certains croyaient savoir que sa famille avait déménagé.
Bien sûr, il nen a rien été et, même affaibli,
même au prix de la paupérisation de lIrak sanctionné
collectivement pour le comportement de son chef, Saddam Hussein est toujours
solidement installé à Bagdad. Cest tout ce qui compte pour
lui.
OLIVIER DA LAGE
16/01/2003