Irak
Le «Boucher de Mossoul» et «Ali le Chimique» capturés
Avec la capture de Taha Yassine Ramadan et dAli Hassan Al Majid, ce sont
deux pièces maîtresses du régime de Saddam Hussein qui sont
tombées cette semaine aux mains des Américains.
Lattentat de mardi dernier contre lhôtel Canal de Bagdad,
qui servait de siège aux Nations unies, a fait passer au second plan
un autre événement important survenu quelques heures plus tôt
: la capture par les Américains de lancien vice-président
irakien Taha Yassine Ramadan, lun des dirigeants les plus proches de Saddam
Hussein. Quelques jours plus tard, on apprenait que les forces de la coalition
détenaient également Ali Hassan El Majid, surnommé Ali
le Chimique en raison du rôle quil a joué dans le gazage
des Kurdes en 1988.
Lun et lautre figuraient en bonne place dans le jeu de cartes distribué
par le Pentagone dressant la liste des 55 dirigeants irakiens les plus recherchés
par les vainqueurs. Si lon excepte Saddam Hussein, toujours introuvable
à ce jour, et les deux fils du dictateur Oudaï et Qoussaï,
tués lors dun affrontement dans le nord de lIrak le 22 juillet
dernier, Taha Yassine Ramadan et Ali Hassan El Majid étaient sans conteste
les personnages les plus redoutés par la population irakienne.
Contrairement à dautres dirigeants irakiens du premier cercle,
Taha Yassine Ramadan nappartenait ni à la famille, ni à
la tribu du président Saddam Hussein. Originaire de la région
de Mossoul, ce militant baassiste de la première heure avait mis sur
pied la milice du parti Baas, larmée populaire, après le
coup dÉtat qui avait porté le Baas au pouvoir en 1968. Homme
dappareil par excellence, il était une figure publique qui a souvent
représenté son pays à létranger, notamment
dans les sommets arabes, Saddam Hussein lui-même limitant au strict minimum
ses déplacements pour des raisons de sécurité. Mais contrairement
à Tarek Aziz qui présentait un visage avenant, Ramadan na
jamais fait leffort de se montrer diplomate : il incarnait au contraire
le visage brutal dun régime fondé sur la terreur. Ministre
de lIndustrie dans les années 70, il déclarait : «
Je ne connais rien à lindustrie, mais ce que je sais, cest
que celui qui ne travaillera pas dur sera exécuté ». Plus
tard, lors de loccupation du Koweït, il déclare dans une conférence
à Amman quil fera couper la jambe à tout étranger
qui mettra un pied sur le sol koweïtien ou irakien, quil soit soldat
ou journaliste. Ce nétait pas là des rodomontades. Dans
ce registre, Taha Yassine Ramadan était parfaitement crédible
: supervisant la répression des Kurdes dans les années 80 dans
sa ville natale, il y a gagné le surnom de «Boucher de Mossoul».
Qui va les juger ?
Ali Hassan El Majid, en revanche, originaire de Tikrit comme lancien président,
appartenait quant à lui au clan sunnite de Saddam Hussein des Al Tikriti.
Homme des missions difficiles, il na jamais hésité à
se salir les mains pour son cousin. En 1988, Saddam Hussein lui confie le soin
dextirper la rébellion kurde quil accuse de trahison au profit
de lIran, avec lequel lIrak est en guerre depuis huit ans. Les Kurdes
habitent dans la région frontalière de la république islamique.
Ils représentent donc un risque de sécurité pour le régime.
Ali Hassan Al Majid met au point lopération Al Anfal dont le but
est de terroriser les Kurdes pour les faire fuir de leurs régions. Ceux
qui nacceptent pas dêtre relogés dans le sud, en zone
chiite, sont soumis à une impitoyable répression. Le comble a
été atteint par le bombardement aux gaz chimiques du village dHalabja
qui fera près de 5 000 morts. Les Kurdes estiment à près
de 100 000 morts le nombre des victimes dAli Hassan Al Majid qui y gagne
son surnom dAli Al Kimiouiyya (Ali le Chimique).
Lorsque deux ans plus tard, après linvasion du Koweït, la
résistance koweïtienne commence à donner du fil à
retordre aux forces doccupation, Saddam Hussein nomme son cousin gouverneur
de la «dix-neuvième province» où il met en pratique
ses méthodes expéditives. Quelques mois plus tard, après
la défaite, cest à nouveau lui qui supervise lécrasement
de la rébellion chiite dans le sud.
Reste une question majeure : que faire de ces encombrants détenus. Le
Pentagone escompte bien leur faire dire où se trouvent Saddam Hussein
et les armes de destruction massive que lIrak est censé détenir.
Mais les Irakiens attendent que leurs anciens bourreaux rendent des comptes.
Qui doit les juger ? Les Américains ne veulent pas dune juridiction
internationale. Un tribunal irakien serait de toute façon sujet à
caution et la justice militaire américaine ne semble pas davantage indiquée.
Quoiquil en soit, lorganisation de défense des droits de
lHomme Human Rights Watch, qui a largement contribué à révéler
leurs méfaits, exige aujourdhui un jugement équitable et
indépendant pour les deux hommes, procès qui offrirait une opportunité
unique de connaître la vérité sur lampleur et la nature
de leurs crimes.
Oudaï et Qoussaï morts, Taha Yassine Ramadan et Ali Hassan Al Majid
aux mains des Américains, ce sont des éléments clés
de lappareil de terreur baassiste qui ont été neutralisés
et limpact sur la population irakienne est considérable. Reste
toutefois à capturer Saddam Hussein lui-même. Si létau
semble se resserrer auprès de lancien dictateur dont les proches
tombent les uns après les autres, lui-même est jusquà
présent demeuré introuvable. Ladministrateur américain
en Irak Paul Bremer déclarait en début de semaine au journal panarabe
Al Hayat sa certitude que Saddam Hussein finirait lui aussi par être pris
ou tué, ce qui mettrait fin, selon Bremer, au régime baassiste.
Toutefois, Paul Bremer ajoutait aussitôt une note de prudence : la capture
ou la mort de Saddam Hussein ne mettra pas fin selon lui aux attaques antiaméricaines
qui se multiplient actuellement en Irak.
OLIVIER DA LAGE
22/08/2003