Proche-Orient
Le malaise des Arabes d'Israël
Le rapport de la Commission Or sur la mort de 13 Arabes israéliens tués
par la police en octobre 2000 exonère partiellement les dirigeants politiques
de lépoque.
Cétait il y a presque trois ans, en octobre 2000. La deuxième
intifada venait tout juste déclater. Nul ne savait alors jusquà
quelles extrémités elle allait entraîner Israéliens
et Palestiniens. Pourtant, demblée, les affrontements avaient pris
un tour violent que les six ans de la première intifada avaient rarement
atteint. En solidarité avec leurs frères palestiniens, les membres
la communauté arabe dIsraël se mobilisent et manifeste leur
colère contre la politique de lÉtat hébreu, dont
ils sont pourtant citoyens. Les Arabes dIsraël (ou «Palestiniens
de 1948», comme ils se définissent eux-mêmes par référence
aux conséquences de la création de lÉtat juif et
de la première guerre israélo-arabe) représentent environ
19 % de la population israélienne et sont représentés au
Parlement. Cependant, dans cette nation en armes où le service militaire
est une ardente obligation et le creuset de la société, ils nont
pas le droit dentrer dans larmée, même comme simples
conscrits. Leurs villes et villages, principalement en Galilée, semblent
oubliés par les responsables des infrastructures et sont oubliés
des budgets, sauf en période électorale.
Résignés, pour la plupart à vivre en Israël et non
dans le futur État palestinien, ils vivent mal cependant ce sentiment
dêtre des citoyens de seconde zone. Les débuts de la seconde
intifada promettaient donc davoir des répercussions explosives
chez les Arabes dIsraël. Mais la police et le pouvoir politique (Israël
a alors Ehoud Barak pour Premier ministre) ne semblent pas en avoir pris la
mesure. Lorsquéclatent des manifestations violentes dans les localités
arabes dIsraël, Barak donne pour consigne aux chefs de la police
den venir à bout à tout prix. Le résultat est sanglant
: treize Arabes (douze Israéliens et un Palestinien) sont tués
par balles par la police. Tragique bilan pour une simple manifestation, même
violente. En Israël, le choc est rude. Moins, cependant, que parmi les
Arabes israéliens chez qui la fureur est à son comble. Ils sont
persuadés que les policiers juifs, derrière leurs fusils, voyaient
en eux non pas des compatriotes, même émeutiers, mais bien lennemi
palestinien quils affrontent fusil de guerre à la main lors de
leur période de réserve.
Les excuses maladroites du Premier ministre Ehoud Barak et de son ministre de
la sécurité Shlomo Ben-Ami ny feront rien. Pour calmer les
esprits, Barak nomme une commission composée de trois personnalités,
le juge Or, membre de la Cour suprême, qui la préside, le juge
nazaréen Hachem Khatib et luniversitaire Shimon Shamir. De février
2001 à août 2002, la Commission Or auditionne pas moins de 433
personnes lors de 92 audiences publiques. Mais ce nest que ce lundi premier
septembre que ses conclusions ont été rendues publiques.
Léchelon politique épargné
Ces dernières, quoique sévères, ne suffiront sans doute
pas à calmer les esprits dans la communauté arabe. Le Premier
ministre Ehoud Barak, quoique sévèrement tancé par la Commission,
échappe aux sanctions. Son ministre de la Sécurité publique
de lépoque, Shlomo Ben Ami, se voit reprocher de ne pas sêtre
montré à la hauteur de sa tâche et de sêtre
avéré incapable de contrôler les services de police dont
il avait la charge. La Commission Or lui interdit dexercer cette charge
dans lavenir. Bien quessentiellement moral, ce blâme pourrait
mettre un terme à la carrière de ce brillant universitaire de
gauche qui ambitionnait non pas de redevenir ministre de la Sécurité,
mais leader du courant pacifiste au sein du parti travailliste ou en dehors
avec lobjectif affiché de prendre un jour la tête du gouvernement.
Cet espoir lui paraît désormais inaccessible.
Cest donc sur la police que portent lessentiel des critiques de
la Commission Or : le rapport laccuse davoir eu une attitude a priori
hostile à lencontre de la communauté arabe et davoir
caché aux autorités politiques lusage de balles réelles
pour réprimer les émeutes.
Quelques têtes vont sans doute tomber à la direction de la police,
parmi les responsables de lépoque encore en fonction. Mais labsence
de sanction contre léchelon politique ne va pas manquer de conforter
les Arabes dIsraël dans le sentiment que leur vie na pas la
même valeur que celle de leurs compatriotes juifs.
OLIVIER DA LAGE
01/09/2003