Syrie
Damas lâche du lest
Dans un entretien au magazine américain Time, le président syrien Bachar Al Assad annonce que larmée syrienne retirerait ses troupes du Liban « dans les prochains mois ».
Il y a des signes qui ne trompent pas : ce mardi, le quotidien gouvernemental syrien Techrine révèle que le ministère de lEconomie et du commerce a décidé dautoriser limportation dhuile dolive produite dans les territoires palestiniens occupés par Israël, pour la première fois depuis 1967. Car jusqualors, même pour aider les Palestiniens, la Syrie se refusait à entériner dune façon quelconque loccupation israélienne. Le 8 février, le ministère des Affaires étrangères (parfaitement : les Affaires étrangères !) annonçait que la Syrie avait décidé dacheter 10 000 tonne de pommes provenant du Golan occupé par Israël. Cest la première transaction commerciale entre les deux pays, officiellement en guerre, autorisée par Damas.
Partout ailleurs, ces informations relèveraient de lentrefilet
dans les pages économiques. Mais sagissant de la Syrie, elles sont
à prendre pour ce quelles sont, à savoir lindice des
difficultés dans lesquelles se débat Damas sur tous les fronts.
Soumises à des pressions multiformes venant de tous côtés,
la Syrie doit lâcher du lest.
Cest ainsi quil faut prendre les déclarations du président
syrien Bachar Al Assad à lhebdomadaire américain Time. Il
y affirme notamment que le retrait de larmée syrienne du Liban
« devrait intervenir très rapidement, peut-être dans
les prochains mois, pas après cela ». Cela représente
une évolution sensible par rapport aux précédents propos
de Bachar Al Assad, qui invoquait des raisons techniques pour différer
dun an tout retrait et qui, en outre, y posait comme condition politique
un accord de paix avec Israël.
Mais mardi, à Londres, à loccasion de la conférence
de soutien à lAutorité palestinienne organisée par
les Britanniques, Tony Blair, Michel Barnier et Condoleezza Rice ont à
lunisson exigé un retrait des troupes syriennes du Liban. Dans
le même temps, les Syriens et le gouvernement libanais continuent de prendre
la mesure de lampleur du rejet dont ils sont lobjet au Liban et
qui sexprime sans retenue dans la rue et les médias depuis lassassinat
de Rafic Hariri.
Bachar Al Assad est aujourdhui un dirigeant assiégé et affaibli.
Loin de conforter son pouvoir, linstabilité qui règne en
Irak fragilise Damas, obligée tout à la fois de démentir
abriter des insurgés irakiens et den livrer quelques uns, comme
le demi-frère de Saddam Hussein, remis aux autorités irakiennes
voici deux jours. Lapaisement des relations israélo-palestiniennes
depuis lélection de Mahmoud Abbas à la présidence
de lAutorité palestinienne isole davantage encore les Syriens.
Et lorsque des mouvements comme le Hezbollah libanais ou le Jihad islamique
palestinien, qui dispose de bureaux à Damas, menacent le processus de
paix, cest en cur quIsraéliens et Palestiniens, chacun
à leur manière, désignent la Syrie.
Pris de court par les évolutions géopolitiques
Mais surtout, Bachar Al Assad a été pris de court par des évolutions géopolitiques auxquelles il a lui-même contribué, sans le vouloir, et que naurait certainement pas permis son père. Létroite coordination qui sest nouée entre Paris et Washington sur le dossier libanais, qui a notamment permis ladoption en octobre de la résolution 1559 exigeant le retrait syrien du Liban, découle directement dune mauvaise appréciation des rapports de forces par le jeune président syrien. En forçant la main aux parlementaires libanais pour quils entérinent un troisième mandat dEmile Lahoud à la présidence libanaise, Bachar Al Assad a rompu léquilibre, précipitant la réconciliation entre Druzes et maronites et lalliance de ces derniers avec les sunnites, incarnés par le premier ministre démissionnaire Rafic Hariri. Cest la clé de lélaboration, puis du vote de la résolution 1559.
Lassassinat de Hariri, quels quen soient les auteurs, a été
imputé à la Syrie, au pire coupable de lattentat, au minimum
incapable de lempêcher alors que ses agents secrets sont omniprésents
et tout-puissants. La disparition du meilleur ami personnel et politique de
Jacques Chirac au Moyen-Orient, a lévidence, a radicalisé
la politique française à lencontre de Damas. Dautant
que le président français ne cache plus sa déception à
légard de Bachar Al Assad, quil avait officiellement reçu
à Paris malgré les critiques et qui ne la guère payé
de retour.
Aujourdhui, de quelque côté quil regarde, Bachar Al
Assad comprend quil est désormais livré à lui-même.
Les Occidentaux adoptent un ton désormais uni et sans concession, les
Arabes (Saoudiens, Égyptiens notamment), tout en affectant en public
de ne pas le blâmer, lui conseillent à lévidence de
cesser de jouer les fier-à-bras.
Lalternative, pour le président syrien, est tout aussi inquiétante :
sil obtempère aux injonctions occidentales, il risque de mettre
en évidence son absence de contrôle sur larmée et
les services de renseignement syriens qui, aujourdhui au Liban et
demain, peut-être, en Syrie agissent de façon autonome, estimant
navoir de comptes à rendre quà eux-mêmes.
OLIVIER DA LAGE
02/03/2005