Proche-Orient
Un «pacte de paix» non officiel
Des personnalités israéliennes et palestiniennes ont négocié pendant deux ans un «pacte de paix». Mais le gouvernement Sharon dénonce une manuvre de lopposition travailliste.
Dici deux à trois semaines, un traité de paix sera signé
à Genève entre Israéliens et Palestiniens. Lannonce
en a été faite ce dimanche à Amman par les négociateurs
qui dialoguent en secret depuis près de deux ans sous légide
de diplomates suisses. Le seul problème mais il est de taille
est quaucun des signataires nest habilité à représenter
les uns ou les autres. Pour autant, les intéressés sont loin dêtre
des hurluberlus puisquon y trouve côté palestinien plusieurs
anciens ministres (Yasser Abed Rabbo, Hicham Abdel Razzak, Bavil Qassis) et
côté israélien danciens dirigeants travaillistes de
premier plan comme Yossi Beilin, Amram Mitzna ou Avraham Burg et des représentants
du parti parlementaire dextrême-gauche Meretz. Pour la plupart,
ils ont négocié les uns avec les autres les uns contre les
autres, pourrait-on dire à Camp David en juillet 2000, puis à
Taba en janvier 2001.
Les négociations de Taba, de lavis de tous les participants, ont
été fort près daboutir et seul le manque de temps
et la pression politique ont empêché ces pourparlers de produire
un résultat : à quelques semaines des élections, le Premier
ministre travailliste israélien Ehoud Barak ne voulait pas donner limpression
de conclure pour des raisons électorales et avait donné des consignes
à ses négociateurs, de ne rien signer. Du reste, Ariel Sharon,
le candidat du Likoud, avait fait savoir quil tiendrait pour nul et non
avenu tout accord conclu à la veille des élections par le gouvernement
sortant dans lhypothèse où il serait le vainqueur. Pour
des raisons symétriques, Yasser Arafat avait donné des consignes
similaires à ses négociateurs, en dépit de la frustration
de ces derniers. La suite est connue pour lessentiel : la victoire dAriel
Sharon, la remise en cause du processus dOslo, et labandon de lacquis
de Taba.
Pourtant, tout le monde ne sy est pas résigné. Les négociateurs
israéliens et palestiniens qui, en dépit de leurs désaccords,
avaient noué des relations personnelles, ont décidé de
confronter leurs notes et denregistrer l«acquis de Taba».
Restait à trouver un «notaire», un tiers de confiance pour
en être le dépositaire : ce sera
Miguel Angel Moratinos , lénergique représentant de lUnion
européenne au Proche-Orient. Lessentiel de ce document a été
publié par le quotidien Haaretz , puis par le Monde Diplomatique , mais
le document proprement dit na jamais été publié dans
son intégralité. Il est demeuré dans le coffre du diplomate
européen, et surtout, il a servi de base à des négociations
qui se sont discrètement poursuivies depuis deux ans, en dépit,
ou peut-être en raison de leffondrement du processus de paix auquel
on a assisté depuis lors.
La démonstration quun compromis est possible
Certes, ces négociateurs, surtout du côté israélien,
ne sont pas habilités par les autorités. Selon Yossi Beilin, le
gouvernement Sharon était parfaitement au courant des contacts en cours.
Mais le gouvernement Sharon a dailleurs vigoureusement répondu
à linitiative de dimanche en affirmant que ce nétait
pas à lopposition de négocier et que les travaillistes israéliens
qui se sont prêtés à ces négociations secrètes
affaiblissent la lutte contre le terrorisme engagée par le gouvernement
légitime dIsraël.
Cela ne semble aucunement impressionner les négociateurs israéliens
qui ont fait le choix de rendre publique cette initiative avec leurs partenaires
palestiniens pour faire la démonstration suivante : alors que le gouvernement
Sharon déclare quil ny a pas dinterlocuteur côté
palestinien et aucune solution satisfaisante, ils veulent sadresser à
lopinion publique, actuellement complètement désespérée,
faire la démonstration quil est possible de parvenir à un
compromis avec lennemi qui sauvegarde lessentiel et les chances
de cohabiter. Côté palestinien, même si les représentants
sont plus proches des centres de pouvoir, la démonstration est essentiellement
la même.
Deux ans de négociations ont donc produit des résultats dont les
grandes lignes sont, daprès les éléments actuellement
disponibles : reconnaissance par les Palestiniens dIsraël en tant
quÉtat du peuple juif, renonciation des Palestiniens au droit au
retour sur les territoires correspondant aux frontières actuelles dIsraël,
souveraineté palestinienne sur lEsplanade des Mosquées/Mont
du Temple à Jérusalem, mais une force internationale garantira
laccès aux Lieux saints (notamment juifs) des visiteurs de toutes
les religions ; les colonies dAriel, Efrat et Har Homa (Jebel Abou Ghneim)
seront incorporées au futur État palestinien et Israël transfèrera
à Gaza des morceaux du Néguev, en échange des morceaux
de Cisjordanie qui seront attribués à Israël. Globalement,
à lexception de ces échanges de territoires, Israël
se retirera sur les frontières de juin 1967.
Les auteurs de cette proposition savent bien que les circonstances ne sont pas
favorables à un tel accord, mais précisément, pour eux,
il sagit dinverser la logique. Tout comme lorsque les initiateurs
de ce que lon a appelé plus tard le «canal dOslo»
ont entrepris des contacts dont nul, en dehors des négociateurs, ne pouvait
alors imaginer quils déboucheraient sur la reconnaissance mutuelle
dIsraël et de lOLP et sur lautonomie des Territoires
palestiniens, quelle quait pu être depuis lévolution
de la situation sur le terrain.
OLIVIER DA LAGE
13/10/2003