Proche-Orient
Arafat reconnaît le «caractère juif» dIsraël
Dans un entretien au quotidien israélien Haaretz, le président
palestinien admet pour la première fois publiquement quIsraël
doit conserver son caractère juif.
Deux ans après avoir été déclaré «hors jeu» par le Premier ministre israélien Ariel Sharon et le président américain George Bush, Yasser Arafat tente de reprendre linitiative. Certes, il vit toujours reclus dans la Mouqataa, son quartier général de Ramallah en grande partie détruit par les bulldozers israéliens et les dignitaires étrangers sy font de plus en plus rares pour ne pas sexposer aux rebuffades du gouvernement israélien, mais pour quelquun censé être «hors jeu», Arafat est étonnamment présent au centre du terrain.
La semaine dernière, une polémique a éclaté en Israël
entre deux des plus hauts responsables militaires israéliens sur les
véritables intentions dArafat lors des négociations de 2000.
Le général Amos Gilad, actuel responsable de la planification
stratégique au ministère de la Défense et ancien numéro
deux des renseignements militaires, a soutenu dans des déclarations à
la presse que jamais Arafat navait voulu faire la paix avec Israël,
faisant le pari dune victoire démographique, les Arabes submergeant
numériquement les juifs, doù son insistance à exiger
le droit au retour des réfugiés palestiniens. Mais cette opinion
est vivement combattue par le général Amos Malka, qui a dirigé
les renseignements militaires, qui sest au contraire déclaré
persuadé quArafat aurait signé un compromis de paix à
Camp David (juillet 2000) ou à Taba (janvier 2001) si le Premier ministre
israélien de lépoque Ehoud Barak sétait montré
moins intransigeant. En particulier, Malka estime que sur la question des réfugiés
palestiniens, généralement présentée comme lun
des principaux points de rupture des négociations, Arafat aurait été
prêt à admettre que les réfugiés autorisés
à regagner le sol israélien ne dépassent pas un contingent
de 20 000 à 30 000.
Pour en avoir le cur net, deux journalistes du quotidien israélien
indépendant Haaretz sont allés voir Arafat à Ramallah et
lont longuement interrogé (plus de deux heures). De lentretien
publié par le journal, il résulte quArafat a répondu
à plusieurs reprises «certainement !» (definitely, en
anglais, langue dans laquelle sest déroulé lentretien)
à la question de savoir sil reconnaissait quIsraël devait
demeurer un État juif.
Le président palestinien affirme dailleurs que cest dans
la continuité des décisions du Conseil national palestinien de
reconnaître Israël en 1988 et dabroger en 1996 les articles
de la charte de lOLP prévoyant la destruction dIsraël,
et, dune façon générale, de tous les accords signés
entre lOLP et Israël depuis Oslo. Il nen demeure pas moins
que jamais, jusquà ce jour, il ne sétait déclaré
publiquement en faveur de la préservation du caractère juif de
lÉtat hébreu, ne serait-ce que pour ne pas saliéner
les Arabes dIsraël, que dans le monde arabe, on appelle plutôt
les Palestiniens de 1948, ainsi que les réfugiés des camps du
Liban, de Syrie ou de Jordanie.
Double langage ?
Ceci étant, cette déclaration à un journal israélien,
pour spectaculaire quelle soit, ne suffira sûrement pas à
convaincre ceux qui doutent de la sincérité du leader palestinien.
Les Israélien ont souvent fait valoir que Yasser Arafat était
un adepte du double discours, réservant lun à la presse
étrangère et à la langue anglaise, et lautre aux
discours en arabe dans lesquels il sadresse à ses compatriotes.
Pour lheure, Arafat na pas encore levé lambiguïté
sur la question des réfugiés en cas daccord de paix dans
ses interventions en arabe. Quand bien même il le ferait, cela ne suffirait
sûrement pas à faire revenir les dirigeants israéliens actuels
sur leur décision de le marginaliser (à défaut de pouvoir
lexiler ou le tuer).
En revanche, cela fournit des arguments à ceux des Israéliens,
encore très minoritaires, mais assez influents, notamment au sein des
forces armées, qui commencent à dire publiquement, comme le général
Malka, quil vaut mieux avoir Arafat de son côté que de le
laisser torpiller des négociations avec dautres. Cela renforce
également les promoteurs de l« initiative de Genève »,
ce plan de paix informel signé entre des anciens responsables israéliens
et palestiniens. Quant à la communauté internationale, elle na
pas encore complètement admis la décision israélo-américaine
de boycotter Arafat.
Cest ainsi que le ministre français des Affaires étrangères,
qui effectue une tournée de quelques jours au Moyen-Orient, a préféré
renoncer à son étape israélienne, reportée (sans
date) à la rentrée plutôt que dannuler sa visite à
Arafat lors de son passage dans les Territoires palestiniens programmé
les 29 et 30 juin.
OLIVIER DA LAGE
18/06/2004