Proche-Orient
Palestine : le syndrome libanais
La mort mercredi matin de quatre Palestiniens tués dans une embuscade de l'armée israélienne et l'attentat à la voiture piégée en soirée au nord de Tel Aviv illustrent la «libanisation» du conflit, désormais évoquée ouvertement des deux côtés.
«Si vous avez aimé Beyrouth, vous adorerez Gaza !». Le dessin
humoristique d'un cartoonist américain représentant des soldats
israéliens désemparés au tout début de la première
intifada en 1987-1988 connaît un regain d'actualité. Israéliens
et Palestiniens évoquent désormais sans fard les risques de dérive
à la libanaise des affrontements qui ont commencé fin septembre.
Les signes sont là, les acteurs du drame sont presque les mêmes.
L'armée israélienne, impuissante à faire cesser le soulèvement
palestinien, exprime sa frustration en déployant ses chars et ses bâtiments
de guerre et en faisant tournoyer ses hélicoptères larguant des
roquettes, qui pour être l'expression d'un dépit, n'en sont pas
moins mortelles. Yasser Arafat a presque retrouvé les réflexes
et les accents de l'assiégé de Beyrouth en autorisant ses policiers
à riposter en ouvrant le feu à partir des «zones A»
sous le contrôle de l'Autorité palestiniennes, quelques jours seulement
après le leur avoir interdit.
Le général Sharon, aujourd'hui chef de l'opposition de droite,
qui en 1982 avait déclenché l'offensive sur Beyrouth pour éradiquer
l'OLP et assassiner ses dirigeants, a appelé mardi ouvertement à
la « liquidation » physique de Mohammed Dahlan, le chef de la sécurité
préventive de Gaza. Lequel Dahlan, qui sait que ces menaces ne sont pas
à prendre à la légère, a pris ses précautions
en modifiant ses déplacements et son emploi du temps. Ce proche d'Arafat
a aussi indiqué que la mort de quatre Palestiniens tués mercredi
dans une embuscade de l'armée israélienne provoquerait «
une réplique du peuple » et « un nouveau cycle de violence
». Déjà, l'on peut voir des jeunes du Hamas et du Fatah
défiler masqués, candidats déclarés à l'attentat-suicide.
Conscients de l'engrenage
Mais l'analogie avec la guerre israélo-libanaise ne se limite pas aux
apparences. De fait, le retrait israélien du Liban en mai dernier, en
avance sur le calendrier prévu, a immédiatement provoqué
des résonances au sein de la jeunesse palestinienne. Le Hezbollah apparaissait
le grand vainqueur de la «retraite» de Tsahal. L'échec des
négociations de Camp David en juillet n'a fait que confirmer une opinion
déjà bien ancrée chez les jeunes Palestiniens : Israël
ne comprend que le langage de la force. Ce qu'Arafat n'a pas réussi à
obtenir en sept ans de processus de paix, à savoir le retrait intégral
de l'armée occupante, les combattants du Hezbollah l'ont obtenu par le
harcèlement sans relâche des soldats israéliens.
Les dirigeants israéliens, à commencer par le premier d'entre
eux, Ehoud Barak ancien chef d'état-major et soldat le plus décoré
d'Israël, sont parfaitement conscients de l'engrenage dans lequel ils sont
en train de s'engager. Ils ont, des années durant, subi des pertes et
des humiliations au Liban avant de s'en retirer une première fois en
1984 et définitivement en juin dernier. Les bombardements punitifs (les
derniers remontant au début de cette année 2000 !) n'ont en rien
diminué l'hostilité des Libanais, bien au contraire. Ils savent
que pour l'essentiel, Israël devra aussi évacuer les colonies de
Gaza et de Cisjordanie dont la défense coûte actuellement si cher
en vies, principalement palestiniennes, mais aussi israéliennes. Ils
savent enfin et surtout qu'un jour, Israéliens et Palestiniens devront
reprendre ce qui a été laissé inachevé en juillet
dernier à Camp David.
Mais d'ici là, l'avenir proche pourrait bien ressembler beaucoup à
un passé encore récent : celui du bourbier libanais.
OLIVIER DA LAGE
22/11/2000