(extrait du chapitre 2, page 16)

Ce soir là, il s'était garé sur ce bout de parking à peine goudronné. Cent mètres plus loin, les trois baraques de chantier noircies occupaient déjà la même place. C'est étonnant comme mes souvenirs sont précis : le bougnoule s'était caché là, à l'intérieur du premier Algéco. Je ne m'attendais pas à le trouver là... Il l'a cherché. Le lendemain, le mardi précédant l'élection, la photo du malheureux Abdel avait fait la une des quotidiens. Et le dimanche suivant, le front républicain avait in extremis sauvé la Mairie. Ce genre de photo, c'est le truc qui fait perdre des voix. Nos mœurs d'alors étaient trop violentes. Le commanditaire avait eu raison de m'en vouloir.

La Mercedes contourne lentement les baraquements et arrive à quelques mètres de la porte. Sur le côté, à la hauteur du verrou, on devine encore une large éclaboussure marron, presque noire. Rien à voir avec sa couleur de l'époque : pendant plusieurs jours, cette marque était restée vermillon, écarlate. En couverture des magazines, sur la photo qui la montrait dégoulinant du mur sur l'herbe givrée, tout autour de ce qui restait du jeune Abdel, elle paraissait même fluorescente.

Cette fameuse soirée, P.A.Q. s'était installé un peu à l'écart des événements. Adossé à cet Algéco, il surveillait aux jumelles ses nervis qui commençaient à incendier les voitures. C'est alors qu'Abdel Azziz avait soudain ouvert la porte. Surpris, P.A.Q. lui avait envoyé un coup de genou dans le bas ventre. Le jeune beur n'était pas tombé à terre. Il avait même l'air de ne pas avoir très mal. Il souriait presque. Je n'aime pas qu'un bougnoule me nargue. Il n'avait rien à faire là et il le savait. Je lui ai remis un direct à l'estomac et cette fois il a accusé le coup. Affirmatif. Mais trop vite, Abdel s'était redressé ; P.A.Q. avait saisi sa batte de base ball, l'avait levée très haut, hésité un instant et en hurlant, il avait frappé. La tête avait explosé sans offrir la moindre résistance. Abdel n'avait même pas pu commencer à crier et P.A.Q. avait perçu au ralenti l'effondrement de son corps accompagné d'un bruit de grêle. Partout à la ronde, des caillots roses et blancs avaient moucheté le givre, comme des pralines qui déteignent. Au milieu, le cadavre d'Abdel n'avait plus de crâne. Sa tête n'était plus qu'une bouillie d'os et de chair.

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