On
les croyait disparus à jamais, les artistes-poètes
en quête d'authenticité. Pourtant, dans les flots
modernistes de ce début de siècle, les Belges
de Venus parviennent à nager à contre-courant,
bravant tous les écueils, afin de démontrer
que rien n'est obsolète.
Avec Venus l'ambiance est feutrée, les
volutes de fumée rappelant Gainsbourg et Brassens montent
au ciel soutenues par ce que l'on pourrait appeler les violons
de la renommée, et la vétuste contrebasse se
dresse bien fière, dernier rempart d'une civilisation
toujours plus tournée vers le futur. Rencontre avec
Marc Huyghens, chef-d'orchestre de ce combo qui force admiration
et respect.
Vous n'êtes pas très bien connus en Suisse. Racontez-nous un peu
l'histoire du groupe, comment vous vous êtes formés, etc.
Tout d'abord, nous venons de Bruxelles. C'est parti de l'idée de lancer un
projet acoustique, un peu minimaliste, avec une batterie sans charleston,
une contrebasse plutôt qu'une basse, et un violon, parce qu'après tout, deux
instruments à archet dans une telle formation ce n'est pas vraiment
conventionnel. Le violoniste et moi-même avons donc pensé que ça élargirait
un peu les choses, et que cela pouvait donc se révéler intéressant, même si
le violon et la contrebasse sont deux instruments classiques, vieux et
démodés, et qu'ils ont l'air, a priori, de ne pas avoir beaucoup de
possibilités de jeu.
Déjà, il faut préciser que le violon dont vous vous servez n'est pas
électrique, ce qui est assez étonnant dans un groupe de rock. Vous vouliez
vraiment faire dans l'authenticité?
Oui, mais ce n'était pas très réfléchi comme décision, nous voulions surtout
parvenir à créer une ambiance. Je me souviens qu'au début on a eu peur que,
si nous devions par la suite faire des concerts, les gens trouvent le projet
trop intimiste et que le tout ne leur plaise pas. D'ailleurs, un peu avant
cela, nous avions un autre projet sur lequel on avait travaillé un an: on
devait enregistrer un album, on avait un label et un producteur, le studio
était booké, et finalement tout est tombé à l'eau quinze jours avant de
rentrer en studio, pour des raisons financières. Alors à ce moment, on a eu
peur qu'en remontant un autre projet, la même chose nous arrive à nouveau et
que cela ne nous permette jamais d'enregistrer. Du coup, quitte à ne jamais
enregistrer, autant faire comme nous le sentions vraiment, et réaliser une
musique vraiment sortie des tripes...
C'était donc pour vous que vous avez lancé ce projet acoustique?
Il faut être honnête, quand tu fais de la musique, tu ne rêves que d'une
chose, c'est de la diffuser au plus de monde possible. Mais dans le cas
présent, ce n'était absolument pas un besoin ou une envie de faire des
concerts au plus vite, c'était plutôt l'envie de faire découvrir notre
musique.
Tu as donc fait cela dans le but de te faire connaître et de te faire
signer par une maison de disques?
Complètement (rires).
Et comment le label est-il venu?
On avait fait quelques concerts en Belgique et on a eu la
chance d'être sélectionnés pour faire
une petite tournée en France, organisée par
un centre inforock auvergnat, de Clermont-Ferrand, à
laquelle participaient des groupes italiens, espagnols,
belges, français et hollandais. On a alors fait la
connaissance d'un groupe italien, Scisma, qui a flashé
sur notre projet et qui voulait à tout prix nous
faire venir en Italie. On a alors pris un papier et un crayon,
on a calculé le prix du billet de train aller-retour,
et on leur a dit que s'ils nous trouvaient quelques concerts
payés pour rembourser les frais du trajet, on viendrait.
Tout s'est fait très vite, on a fait une première
tournée en Italie, puis une deuxième, et on
a alors rencontré les représentants de Sonica (ndlr: le label de Venus) avec lesquels
on a signé.
Vous avez enregistré en Italie?
Oui, on a fait une partie à Bruxelles, et l'autre partie à Florence.
Avez-vous des contacts avec d'autres groupes belges: Deus, K's Choice?
En fait, pas vraiment. Je connais Tom Barmahn de Deus et
les membres de Solwans [Soulwax ?? Note du Webmaster]
avec lesquels on a joué (ndlr: il est d'ailleurs
question qu'il remixent un des titres de Venus)
mais c'est à peu près tout. On croit que la
Belgique, de par sa taille, a forcément une scène
rock avec des gens qui se rencontrent dans des bars et tout
ça, mais pas du tout, c'est un peu chacun pour soi.
Comment êtes-vous perçus en Belgique?
Etes-vous aussi connus qu'un groupe comme K's Choice?
En Belgique, ça marche vraiment bien, ce qui est plutôt rare pour un groupe
francophone. On a joué dans plusieurs festivals en Flandres, et ce malgré un
protectionnisme culturel terrible. L'argent est en général investi pour les
Flamands: nous, on a eu la chance d'avoir percé cette frontière
linguistique, ce qui nous a permis de nous faire également connaître en
Flandres également.
En Italie aussi?
Forcément, avec nos tournées, on est également connus en Italie, encore que,
puisque Sonica est un label indépendant, il n'a pas de grands moyens pour
faire de la promotion, et en plus il ne s'y prend pas super bien. Ce sont
quand-même des Italiens (rires). Mais on a joué quelques jours à Orbino,
près de Florence, et on s'est rendus compte qu'on avait un véritable public
là-bas, qui nous suivait partout...
Quelles sont les influences principales du groupe? Nous pensions aux
Tindersticks...
On aime bien des tas de trucs, mais je vous promets qu'il
n'y a pas vraiment d'influences. Pour moi, mes influences
ont leur source dans ce que j'écoutais entre 5 et
15 ans, à savoir Brel, Brassens, et bien sûr
de vieux groupes anglo-américains: les Beatles, Grateful
Dead. Des influences anglo-saxonnes et européennes-continentales
quoi, propres à la Belgique sans doute.
Vous chantez en anglais, et votre reprise de Jacques Brel est elle aussi
en anglais. Vous n'avez pas envie de revendiquer votre culture
francophone?
Je ne revendique rien du tout. Ma langue maternelle, celle dans laquelle je
m'exprime et celle que je parle le mieux, est le français, mais je parle
aussi le néerlandais, l'italien (ndlr: Marc habite en Italie), et je me
démerde pas mal en anglais. Mais la Belgique, c'est vraiment un
melting-pot. Je garde dans un coin ma culture francophone, mais mon
besoin de l'exprimer ne passe pas.
Cela ne vous a jamais tenté de faire une fois une chanson en français, en
italien, ou même en néerlandais?
Non, ça ne va pas sans danger, je pense.
Il paraît que vous allez jouer une chanson avec Dionysos (ndlr:
qui étaient programmés juste avant Venus).
Vous les connaissez, non?
Pour la chanson en duo, je n'en sais rien. Par contre, on les connaît bien,
on a déjà joué à plusieurs reprises ensemble, dans différents festivals en
France. On est d'ailleurs sensés participer à un single.
Justement, tant vous que Dionysos utilisez des violons pour vos mélodies
à une époque où tout le monde recourt à des sonorités électroniques. Ne
pensez-vous pas que vous allez de ce fait un peu en sens inverse? Ou alors
faites-vous cela pour relancer ce genre de musique?
Ce n'est pas "relancer" selon moi, c'est le contraire: les gens sont
suffisamment ouverts pour qu'il y en ait qui aient besoin d'écouter ce genre
de musique. On ne fait pas du folk tout simple, c'est aussi dans la manière
que nous le faisons, que nous cherchons à innover en utilisant ces
instruments.
Pensez-vous que ce soit un handicap d'être un groupe belge?
Non, pas du tout (rires). Les Anglais sont trop fermés pour être
influencés par autre chose que ce qu'il y a chez eux. Ils n'auraient jamais
pu faire ce qu'on a fait!
Propos recueillis par Isti,
Lord et Zen
(postés le 1er mai 2001)
Fréquence rock Online tient à adresser ses
plus vifs remerciements à Muriel
zen Ruffinen.