- Qu'est-ce que la conscience ? -

[ Introduction et première partie ]
 
 

Comment définir, saisir et comprendre ce que l’on appelle la conscience ? En quoi consiste-t-elle ? Ces questions, brutalement posées, n’admettent pas de réponses évidentes, claires et simples.

Aussi, pour y répondre, faut-il faire un détour : se détourner provisoirement de ce que l’on appelle conscience pour s’intéresser à l’usage que l’on fait du mot conscience.

Du point de vue de l'usage, le mot conscience se rencontre dans un grand nombre de phrases et d'expressions dans lesquelles il reçoit un très grand nombre de sens différents. Toutefois, il est possible, au sein de cet ensemble, de distinguer trois groupes distincts :
 
 

La conscience d'un point de vue strictement psychologique : perdre conscience, être inconscient au sens d'avoir perdu connaissance. Ces expressions renvoient à la conscience comme à une chose qu'on possède et qu'on peut perdre.

La conscience comme la connaissance de quelque chose : prendre conscience de quelque chose, être conscient d'une chose, avoir conscience de telle ou telle chose, soit en soi, soit en dehors de soi. Dans ces expressions, avoir conscience signifie connaître ou penser.

La conscience comme conscience morale : avoir mauvaise conscience, avoir un problème ou un cas de conscience, agir en son âme et conscience, être consciencieux, avoir la conscience tranquille. Et dans le même ordre d'idée, être inconscient, c'est-à-dire agir au mépris de la prudence, dans l'ignorance des risques qu'on court ou fait courir aux autres...
 
 

Ce qui divise notre question initiale en trois questions :

Puisque la conscience appartient à un être, on peut se demander ce qu'est un être doué de conscience.

Puisqu'avoir conscience de quelque chose a le même sens que savoir quelque chose, ou plutôt, que penser à quelque chose, on peut se demander si la conscience ne serait pas la même chose que la pensée.

Puisque la conscience est aussi morale, on peut se demander en quoi la conscience est liée à la morale et si la conscience dite morale est bien la conscience

Rq : cette introduction "se contente" de poser des questions au lieu, comme elle le devrait, de soulever des problèmes. C'est que la notion de conscience ne le permet guère d'emblée. Les problèmes apparaîtront avec les réponses à ces questions.
 
 

I ) QU'EST-CE QU'UN ETRE CONSCIENT ?

On dit que nous sommes conscients, mais que les pierres, les objets inanimés ne le sont pas, ou encore que nous ne le sommes pas nous-mêmes lorsque nous dormons, ou que nous sommes sans connaissance (évanouissement, coma, anesthésie).

Dans ce cas, on parle d'une perte, d'une disparition. Mais de quoi ? Que perd-on lorsqu'on perd conscience ou connaissance ? Et que reprend-on en reprenant conscience ?
 

A ) Etre conscient, c'est être présent à soi et au monde.
 

Ce qu'on perd et reprend avec la conscience, c'est le sentiment d'une présence immédiate à soi et au monde, le sentiment confus mais fort que nous sommes, que nous existons et que nous sommes au monde, entouré de choses indépendantes de nous et ordonnées. Telle est la conscience sous sa forme la plus humble, la plus élémentaire : le sentiment d’une présence à soi et au monde. 

Toutefois, reconnaissons le : avoir le sentiment d'exister au monde n'est pas exactement la même chose qu'avoir la conscience d'exister au monde : la conscience n'est pas un sentiment, elle est à la fois plus et autre chose qu'un sentiment. Dans le sentiment d'exister au monde, cette double présence, celle de soi et celle du monde, s’éprouve, se ressent, se vit, mais elle n’est pas encore consciente au sens strict.
 

Un être doué de conscience, c'est plutôt un être qui se sait exister au monde. Qu'est-ce que cela signifie ? Qu'un être doué de conscience est conscient de sa propre existence et de l'existence du monde au sens où il sait qu'il existe au monde. Ou, inversement, que savoir qu'on existe ainsi que savoir qu'il existe un monde, c'est avoir conscience de soi et conscience d'objets en dehors de soi.
 

Mais, qu’elle est la différence entre se sentir exister au monde et se savoir exister au monde ? Peut-on distinguer le sentiment du savoir ? Ne peut-on pas soutenir au contraire que "se savoir" et "se sentir" au monde ne présentent aucune différence ?
 

A première vue, rien ne les distingue. Du reste, on emploie souvent l'expression "avoir le sentiment ou l'impression" là où on pourrait aussi dire "avoir conscience ou penser".

Il n'empêche qu'il existe entre ces deux états des différences :
 

  • Le sentiment d'être au monde ne porte que sur mon existence et celle du monde : je sens que j’existe et que je suis au monde, mais comme tel ce sentiment ne me dit rien de ce que je suis et de ce qu’est le monde. Sentir qu’on existe au monde n’a rien à voir avec savoir ce que l’on est et ce qu’est le monde, c’est-à-dire avec la connaissance de soi et du monde, de leurs déterminations. Or, avoir conscience d'exister au monde, c'est immédiatement savoir qui on est et dans quel monde on est, même si c'est confus.
  • Dans le sentiment, je coïncide totalement avec mon sentiment, alors que la conscience introduit une distance entre moi qui ai conscience et ce dont j'ai conscience. Quelle distance ? Celle de la représentation précisément : la conscience me permet de me représenter que j'existe au monde au lieu de seulement le sentir ou le ressentir. La conscience introduit en nous la différence qu'il y a, par exemple entre se sentir bien et se représenter qu'on est bien, se le dire à soi-même, s'en faire une idée, pouvoir l'exprimer sous une forme verbale. Un sentiment est tout ce qu’il peut être lorsqu’il s’éprouve, se ressent, alors qu’un savoir quelconque n’est possible et effectif que s’il est dit, verbalisé. Un sentiment, cela s’éprouve alors qu’un savoir, cela s’exprime. Or, pour éprouver un sentiment, il n’est pas nécessaire de parler ni même d’en être capable. A l’inverse, l’expression d’un savoir le suppose : on ne peut pas posséder un savoir en dehors des mots qui le disent. Et, lorsqu’il s’agit du savoir selon lequel on existe, par l’emploi du mot " Je ". 


Rq : On peut dire à la rigueur que le sentiment d’exister au monde est comme une sorte d’état intermédiaire entre l’existence brute, en soi et l’existence pour soi, celle d’un être doué de conscience. Parce que sentir n’est ni ignorer, ni savoir. 

Etre doué de conscience, c’est se savoir exister au monde, et se savoir exister au monde, c’est être capable de (se) dire : " je suis, j’existe, j’existe au monde, dans un monde et parmi d’autres personnes qui comme moi peuvent dire qu’elles existent. ". Un être doué de conscience est donc un être qui parle puisqu’aucun savoir n’existe en dehors d’un discours, donc d’une parole. En retour, on peut soutenir que tous les êtres qui parlent, et plus précisément qui disent " je ", sont doués de conscience, sont des êtres conscients.

Etre conscient a donc deux aspects ou deux dimensions : être conscient de soi et être conscient du monde. Sa présence instaure donc deux rapports : un rapport à soi et un rapport au monde, aux objets.

Ce sont ces deux rapports ou deux dimensions qui permettent de dire qu'un être doué de conscience est un sujet.
 

B ) Etre conscient, c’est être sujet.

Parce qu'être doué de conscience, c'est se savoir exister au monde, être doué de conscience, c'est être sujet. Plus exactement : l'être qui d'une part se sait exister et qui d'autre part sait qu'il existe autour de lui un monde indépendant de lui, est un sujet. Il est sujet autant par le rapport à lui-même que par le rapport au monde.

1 ) Etre sujet, c'est exister pour soi.

L’être doué de conscience existe doublement : en lui-même comme une chose et pour lui-même en cela qu’il se sait exister, qu’il existe à ses propres yeux pour ainsi dire. Au lieu d’exister et de l‘ignorer, l’être doué de conscience existe et le sait. C’est ce qui le distingue des êtres qui ne sont pas doués de conscience, comme les choses, ainsi de ceux qui ne sont capables que de se sentir exister, comme les animaux. Mais, cette double existence, nous pouvons la perdre : nous la perdons chaque fois que nous perdons conscience. Nous ne sommes plus alors que des choses parmi les choses, des objets qui existent, mais seulement en eux-mêmes et plus pour eux-mêmes. 

Mais, être doué de conscience, c'est non seulement faire l'expérience de son existence, c'est aussi se savoir doué de conscience, c'est faire l'expérience de sa propre conscience : se savoir exister et savoir qu'on le sait. C'est ce retour sur elle-même de la conscience, impossible avec le simple sentiment de soi, qui fait de l'être doué de conscience un sujet. Un sujet, c'est donc de ce point de vue, un être qui se sait exister et qui sait qu'il le sait. 

Mais ce n'est pas tout.

2 ) Etre sujet, c'est savoir qu'il existe des objets.
 

Un être doué de conscience sait qu'il existe au monde, est capable de prendre conscience des choses qui l’entourent, de se les représenter. A ce titre aussi, il est un sujet. Pourquoi ?

- L’être doué de conscience sait qu’il existe au monde. - Avoir conscience qu’il y a des choses autour de lui qui existent et qui se distinguent de lui-même, c’est les poser ou les affirmer comme des objets. Qu’est-ce qu’un objet ? C’est un quelque chose qui n'est pas nous mais dont on a conscience. Comme un corps physique ou une idée. Toute chose dont je prends conscience et parce que j’en prends conscience est un objet.

Ce qui signifie qu'une table est un objet pour moi, mais elle n'est pas un objet pour une chaise, parce qu'une chaise ne sait pas que la table existe indépendamment d'elle. 

Notons que l’étymologie du mot objet est à cet égard éclairante : un objet, c’est ce que l’on jette devant soi, ce que par une prise de conscience on pose devant soi. 

Rq : Observons au passage que prendre conscience et se représenter des objets, c’est-à-dire des choses qui existent à la fois en elles-mêmes et pour nous, ne concernent pas que les choses qui nous sont extérieures, mais aussi une part de nous-mêmes puisque nous pouvons prendre conscience de notre propre corps, de notre passé, de nos déterminations psychologiques comme autant d’objets. Et cela parce qu’un être doué de conscience ne se réduit pas à sa conscience : un être doué de conscience n’est pas une conscience, il est un être avec telles ou telles caractéristiques physiques et psychologiques qui a, comme en plus, une conscience.

De même, les autres ne sont pour nous d'abord que des objets et non des sujets parce que nous n'avons pas immédiatement conscience de la conscience des autres, des autres comme d'autres êtres également doués de conscience. Encore que nous le savons peut-être de manière immédiate, bien que nous n'accédions jamais à la conscience des autres, à partir de la seule perception de leurs corps, non pas en raison d'une ressemblance physique, mais parce que les autres sont dans leurs corps comme moi dans le mien. Cf : Husserl, Les méditations cartésiennes

- En prenant conscience de ces objets, il a conscience que ces objets se distinguent de lui-même, qu’il n’est pas les choses dont il a conscience, ni comme elles. Il sait qu’il n’est pas un objet de tout : il est l’être pour lequel il y a des objets. Un objet, c’est ce qui est saisi, représenté par une conscience, par conséquent cet être doué de conscience, en tant qu’il est doué de conscience, ne peut pas être qu’un objet. Il est ce par quoi il y a des objets, donc il n'est pas un objet lui-même. Mais alors qu’est-ce qu’il est, s’il n’est pas un objet ? Un sujet.

Poser des objets, c’est se poser comme sujet, c’est-à-dire comme l’être pour lequel il y a des objets et qui n'en est pas un lui-même.
 

Conclusion : un être doué de conscience, c'est un être qui se sait exister au monde et qui pour cela est appelé un sujet : un être qui sait qu'il est et qui sait qu'il le sait, et, un être pour lequel il existe des objets et qui par conséquent n'est pas seulement un objet. Ce qui implique qu'un sujet est un être qui sait qu'il existe des objets et qui sait qu'il le sait. Il sait à la fois l'existence des objets et qu'il le sait. La subjectivité est dans ce retour sur soi, cette réflexivité de la conscience. 

A contrario : toute perte de conscience se traduit effectivement par la perte simultanée du savoir de l'existence d'un monde et de sa propre existence. Rien n'a cessé d'exister, mais faute d'en avoir conscience, il n'y a plus ni monde, ni soi. Plus de conscience, donc plus d'objet. Plus d'objet, donc plus de sujet. Régression à l'état de simple chose qui comme toutes les choses ne se sait pas chose. Le sujet n'est rien sans le savoir de soi et du monde, et, c'est par la conscience qu'on accède à ce savoir.

Plus exactement, lorsque nous perdons connaissance, nous cessons d'être des sujets parce que nous perdons à la fois la conscience de nous-mêmes, des objets et la conscience d'avoir conscience de tout cela. Nous ne sommes plus alors des sujets essentiellement parce que, même si nous savions encore quelque chose, nous ne saurions pas que nous le savons. Ainsi, lorsque nous dormons, nous sentons encore, nous rêvons… mais justement, sans le savoir… Et c'est pour cette raison que nous ne sommes pas conscients dans le sommeil. 

Et, un corps matériel n'est pas un sujet parce qu'il ignore l'existence des autres choses, précisément parce qu'il n'a pas de conscience pour en prendre conscience. Une machine qui fait des calculs, qui détecte des objets, qui commande d'autres machines, n'est pas non plus un sujet, non parce qu'elle est coupée du monde mais parce qu'elle ne sait pas qu'elle "sait" ou "sait faire" quelque chose. Un animal qui réagit de manière adaptée aux événements qui se produisent dans son environnement n'ignore pas cet événement, mais il n'est pas non plus un sujet parce qu'il ne sait pas qu'il connaît : il ne peut rien en dire. 

Mais, qu'en est-il de sa conscience comme telle ?

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